Correspondance (colonne de gauche)

 

1914 - 1919

 

Félicie Mougeot (1891-1974) - Hippolyte Bougaud (1884-1931)

 

 

et

 

 

Carnets de guerre (colonne de droite)

 

2 août 1914 - 5 février 1916

 

    Hippolyte Bougaud

 

 

 

 


 

LETTRES

CARNET

1914

1914

 

"Dans le cas où je viendrais à mourir, je prie celui qui me ramassera de faire parvenir ce carnet à Mme Hte Bougaud-Mougeot à St-Aubin (Jura)"

 

2 Août -
 1er jour de mobilisation générale. L'Allemagne déclare la guerre à la Russie.

 

3 - 4 Août -
 Employés à l'habillage du 250° au grand séminaire à Besançon. Enthousiasme des réservistes qui ne demandent que de courir à Berlin. L'Allemagne déclare la guerre à la France.

 

5 Août -
 Préparatifs de départ. Revue et défilé à Chamars dans l'après-midi. Le 5ème bataillon part à 3 heures. Nous embarquons pour Belfort à 5 h 30 dans wagons aménagés (très gênés). Arrivons à Belfort à minuit 35 au débarquement orage et tonnerre qui nous force à remonter dans les wagons pour nous abriter.

 

6 Août -
 Nous gagnons ensuite la caserne Friedrich (Vallon) où nous passons le reste de la nuit tant bien que mal sur le plancher et les bancs de casernement. Dans la journée on apprend à l'officiel que l'Allemagne déclare la guerre à la Belgique, après violation de son territoire et l'Angleterre à l'Allemagne. Nous restons à ne rien faire à la caserne. Belfort est vide de population civile. On a bien espoir de l'issue de la guerre. Un réserviste du 35 se suicide sur sa baïonnette. Un capitaine du 200° s'est tué à Besançon de 2 coups de revolver. A Belfort le quartier est [?]. et je ne puis aller retrouver Alfred.

 

7 Août -
 Rassemblement du 6ème bataillon à 6 h ½ exercice sur le terrain de manoeuvres où nous voyons les aéroplanes. Pour finir la demi-journée, petite marche militaire à Roppe dans l'intention de briser la chaussure. Nous rentrons au Vallon à 10 h ½ et nous mangeons la soupe derrière les faisceaux dans la cour, car nous devons partir à midi remplacer les troupes de couverture qui ont franchi la frontière. A midi et demi départ pour Botans, à 8 km de Belfort où nous cantonnons. Il paraît que le territoire allemand vis-à-vis Belfort est vidé de troupes et les Français s'avancent sans coup férir pour ainsi dire l'arme à la bretelle. On parle que le 50ème doit être à Altkirch ce soir. Des troupes sont déjà passées avant nous et il n'y a pas moyen de trouver ni vin ni provisions à acheter.

 

8 Août -
 Le matin marche à Sevenans. L'après-midi, repos et nettoyage des armes et des effets.

 

9 Août -
 Le matin marche de 12 km à Trévenans, Moval et Sevenans. Retour à Moval à 10 h, à 10 h ½ soupe, après la soupe repos. A 11 h ½ on nous avertit de se tenir prêts à partir à midi et demi avec armes et bagages. Le soir nous couchons à Dannemarie, à 10 km en Alsace à 32 km de Botans. Nous y arrivons à 10 h. En arrivant, nous sommes en cantonnement d'alerte et poste de police à une [?]. Je prends la faction à la barricade de minuit à 2 heures. Pour un jour de dimanche, je gage qu'il a été occupé d'une drôle de façon. J'ai tiré pour la première fois aujourd'hui sur un aéro.

 

10 Août -
 Lundi. Après ma faction je vais me coucher dans la grange où nous logeons. 5 minutes après, alerte pour partir de suite du côté de Mulhouse. Nous apprenons que le 6O et le 44 après avoir occupé Mulhouse en sont délogés par 2 corps d'armée allemands et nous allons les renforcer. Nous traversons Gommersdorf et plusieurs autres pays à noms plus ou moins baroques pour arriver dans un pré à Tagolsheim où j'écris ces lignes au son du canon. Depuis hier à midi, nous vivons comme nous pouvons, ce n'est pas que les vivres n'arrivent pas ; on ne nous laisse pas le temps de les toucher. Ainsi à Dannemarie, nous avons le jus pour souper. Ce matin nous partons sans rien prendre et nous n'avons rien que ce que nous pouvons avoir dans nos musettes pour dîner. Nous avons le double chargement de cartouches, on s'attend au moment où j'écris à une forte lutte. Jamais je n'ai autant marché pour ainsi dire sans arrêt. De Botans à ici, je compte pour le moins 45 à 50 km. A Heidwiller, je rencontre Maurice Lamy qui me dit qu'ils ont eu forte affaire à la prise d'Altkirch. Dans la journée d'hier le 44 a réussi à dégringoler 2 aéroplanes allemands. L'après-midi se passe en position d'attente. Sur le soir nous tirons à nouveau sur un aéroplane sans l'atteindre. On voit des rescapés du 35 et du 178 qui nous racontent qu'ils ont été chassés la veille de Mulhouse avec d'énormes pertes. On dit que l'artillerie aujourd'hui a délogé l'Allemand. Toute la journée d'ailleurs a été une canonnade féroce. Nous couchons dehors sous des pommiers, baïonnette au canon, le fusil entre les jambes. A 10 heures nous entendons une furieuse canonnade et les mitrailleuses pas bien loin de nous. Nous nous attendons à chaque minute à refouler une attaque. Mais le jour vient sans autre incident.

 

 

 

 

11 Août -
 Après le café nous retournons occuper nos positions de la veille. A peine installés, l'ordre arrive de battre en retraite. Devant une division que nous sommes, nous nous avons trois corps d'armée sur les bras. Avec 45 paquets de cartouches en moyenne par homme, nous filons par des chemins détournés sur Dannemarie. Surchargé, chacun se laisse aller. C'est une vraie débandade. Il fait d'abord une chaleur écrasante. En cours de route, le capitaine réquisitionne une voiture et nous déposons toutes les cartouches que nous avons en plus de nos 15 paquets règlementaires. Mais la fatigue est trop grande et la débandade continue. Arrivés à Dannemarie, nous croyons y cantonner. Mais on est poursuivi ; le canon tonne fort et nous sommes obligés de filer encore 8 ou 9 kilomètres jusqu'à Chavannes-les-Grands, en territoire français, en retirant sur Delle. Soit-disant, nous devions filer jusqu'à Belfort mais on s'arrête là pour ainsi dire de force parce qu'on ne marche plus, on se traîne. Nous apprenons aujourd'hui que le 371 a été décimé, à Mulhouse, que sur les 8 compagnies qui le formaient on en a reformé 3. Je crains pour Alfred. Nous couchons à Chavannes encore en cantonnement d'alerte.

 

12 Août -
 Au réveil on fait le jus et nous repartons par la frontière pour passer à Montreux-Jeune, Montreux-Vieux et Montreux-Château. Nous tombons à Petit-Croix dans un pré en position d'attente. Nous mangeons on ne sait comment de la viande grillée, du singe, des biscuits, du pain. Les ravitaillements marchent plus ou moins. A six heures environ on trie les malades (blessés au pied) on nous distribue leurs vivres de réserve et leurs cartouches et nous partons tous la 57ème division attaquer une colonne ennemie qui sort de Dannemarie et marche sur Valdieu (Alsace). Je ne sais si j'en sortirai, je l'espère. En tout cas j'ai été souffrant toute la journée d'avoir trop bu hier. Il me semble que si j'avais pu vomir, j'aurais été dégagé, mais nous allons au feu ça va et je ferai tout mon devoir. La 114ème brigade attaque par le Nord, nous 113ème brigade, nous attaquons par le Sud. Après une dizaine de kilomètres nous passons la nuit en bivouac au village de Bretagne (je crois).

 

13 Août -
 A 5 heures du matin nous partons. Le 6ème bat. est flanc-garde. Nous nous installons dans un parc face au sud par crainte d'une attaque latérale de cavalerie. Peu après nous changeons de côté et faisons face au nord où la fusillade est nourrie. Nous, nous sommes en seconde ligne et nous ne voyons rien ; nous attendons. Pendant ce temps les vivres viennent et nous faisons le repas que nous mangeons sur place (boeuf grillé et café). Louis Mougeot que j'ai vu hier soir me dit qu'Alfred a été versé au dépôt (je suis plus tranquille à son sujet). A 11 heures environ une mitrailleuse vient s'installer droit à côté de moi. Nous préférerions qu'elle soit installée ailleurs car nous prévoyons que si elle ouvre le feu, elle nous attirera le feu de l'ennemi. A midi ½ environ, le canon commence de tonner et nous voyons les obus tomber à Montreux-Château. C'est un bombardement effroyable, l'horizon à 3 ou 4 km de nous est plein de fumée et le village ne tarde pas à être en feu. Les paysans qui sont après leurs récoltes se dépêchent de rentrer. J'en vois surtout deux avec une voiture de gerbes menant leurs boeufs à les faire courir presque. Un autre court sur la crête en face de nous plié en deux ; il va probablement chercher quelqu'un des siens. Puis nos patrouilles qui sont à 6 ou 700 mètres en avant de nous rentrent et l'on entend une fusillade ininterrompue qui se rapproche de nous. Puis nous voyons les Français (235) se replier sur Belfort petit à petit en tiraillant. Alors à 4 heures environ l'artillerie allemande pointe la lisière de notre bois et une dizaine de shrapnells éclatent à notre gauche à 30 mètres environ de la lisière. Les premières balles passent sur nous. J'en vois une qui frappe la terre à un mètre à côté de moi dans le retranchement de mon voisin. Je garantis qu'on a beau être brave, la première fois que l'on voit le danger de près et que l'on entend siffler les balles à nos oreilles, un frisson involontaire vous passe sur le dos et l'on se baisse pour se cacher. J'avais devant moi une souche de 2 acacias sur un remblai naturel. J'étais calé derrière cela avec la tête dégagée pour voir ce qui se passe en avant de moi, mais en voyant cette balle frapper si près de moi et les obus éclater à 100 mètres à côté de moi, je n'ai pas attendu pour mettre mon sac et à me descendre en arrière pour être complètement abrité. Les balles ne cessent plus de nous siffler par-dessus les oreilles jusqu'au soir au moment où les obus allemands éclatent vers nous, une batterie de deux pièces installée à notre droite se met à cracher sur le village de Chavannes, à 400 mètres en avant de nous. Les obus coupent les branches des arbres et éclatent à l'entrée du village avec un fracas de tonnerre. Un arbre de 30 cm de diamètre est fauché d'un seul coup et tombe comme un brin de paille sous une faux. Une maison toute neuve est éventrée et un trou de 3 ou 4 m est fait dans son toit. Puis l'artillerie de notre droite porte son tir plus loin et les obus allemands ne nous arrivent plus. Tout ceci est fait dans moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. Les balles nous arrivent de flanc ; la crête en face de moi à 600 m environ est nettement démasquée, mais nous ne voyons aucun Prussien, nous ne tirons pas. A un moment donné, la mitrailleuse veut envoyer une bordée à 1400 m, mais elle juge que ce serait d'ailleurs des balles perdues et on ne distingue pas, même avec des lunettes, à qui appartiennent les fractions qu'elle voit. Elle renonce par conséquent à tirer. De temps à autre la batterie de notre droite balaye la crête en face de nous et l'entrée du village. Je ne sais quels effets nos obus produisent, mais chacun estime qu'ils doivent être foudroyants et l'on est tous d'avis que notre canon de 75 est une arme formidable. Le soir vient. La 211ème Cie se porte en avant par deux fois sous le feu de l'artillerie ennemie. Le soir une cinquantaine manquent à l'appel. Un de mes anciens camarades, Bardin, père de 3 enfants, est blessé au ventre d'un éclat d'obus et de 2 balles dont l'une lui perfore un poumon ; il n'est pas encore mort, mais son état est désespéré. Notre 1ère section de la 23ème Cie poursuit la charge à l'entrée du village puis se replie dans leurs positions. A ce moment deux hommes sont fauchés par un obus français, mal réglé. A la nuit, la fusillade est loin sur notre gauche, et nous battons en retraite, sans avoir entendu le commandement qui avait été donné depuis quelque temps auparavant, à travers bois. L'artillerie a délogé, nous n'avons plus de soutien. Personne ne se fait tirer l'oreille, l'on sent l'ennemi derrière soi et personne ne sent plus ses fatigues. Nous faisons au moins 2 km sous bois. Nous nous retrouvons sur la route. 3 sections de la 22ème et la 21ème, et nous regagnons Vézelois par un chemin détourné, la nuit, en passant par Grosne, Brebotte, Eschêne et nous arrivons à minuit à Vézelois où nous couchons. En route nous voyons les lueurs d'incendies des villages en feu - à la compagnie il y a trois morts -

 

 

 

14 Août -
 Réveil à 4 heures. Départ immédiat pour Brebotte où nous devons garder trois ponts. A peine arrivés à Brebotte qui se trouve à 7 km de Vézelois, nous recevons l'ordre de revenir à Vézelois et de Vézelois nous repartons à Phaffans en repassant par Chèvremont et Bessoncourt. Nous y cantonnons. Là, chacun donne ses impressions de la bataille d'hier. Il paraît que les chefs les plus rosses en temps de paix sont les moins bons braves en temps de guerre. Nous apprenons que le 235ème a beaucoup de pertes ; presque tous ceux de ce régiment nous disent qu'ils ont moitié de pertes, mais je crois néanmoins que c'est un peu fort. Notre capitaine nous dit que sur 8 compagnons du 235, 7 capitaines sont hors de combat. Certaines compagnies n'ont plus de gradés. Nous sommes heureux de nous retrouver tous les gars de Saint-Aubin

 

15 Août (Assomption) -
Départ de Phaffans à 5 h. Nous rentrons à Belfort à la caserne du Vallon. A peine arrivés la pluie commence à tomber. Nous sommes encore heureux d'être à l'abri. C'est la 1ère fois depuis notre départ que nous allons coucher dans des lits et nous déshabiller.

 

16 Août Dimanche -

Réveil à 5 h. Départ à 6 h 30 pour l'exercice auquel personne n'y met de bonne volonté, parce qu'on n'admet pas que l'on fasse de la parade en temps de guerre. D'ailleurs on nous recommande nos armes et nos chaussures et toute la matinée nous nageons dans la rosée. Nous rentrons tout mouillés. L'après-midi il pleut. A 4 heures revue dans la cour des armes et des chaussures. On distribue les premières lettres qui nous arrivent.

 

17 Août
On doit se rassembler à 6 h 30 pour l'exercice. Mais on demande un caporal et un homme de planton et j'y vais. La pluie recommence et au lieu d'exercice la Cie a revue de munitions et de vivres de réserve. L'après-midi théorie et école de section dans la cour en chargement complet. On apprend toute sorte de nouvelles. Il paraît qu'après notre retraite du 13 les Allemands se sont retirés également en fusillant tout. On dit que vers Nancy les Français avancent partout, que nous avons pris 19 camions automobiles et 1500 prisonniers aux Allemands. Une corvée est partie ramasser les sacs des blessés et les sacs abandonnés à Montreux-Vieux.

 

18 Août -
 Exercice le matin sur le terrain de manoeuvre (parc à ballons). Le soir repos. Nous voyons dans la cour les sacs des morts qui ont été ramenés et leurs fusils brisés par les Allemands. Un sac porte encore des débris de chair et des cheveux mêlés à du sang. Il se confirme que les Allemands se sont retirés, que nous sommes à Dannemarie et que le 152ème est à Mulhouse. Les troupes du Midi arrivent toujours. Ce matin on a vu passer l'artillerie alpine avec ses canons sur le dos des mulets. La corvée des sacs rapporte qu'à Chavannes le maire a fait enterrer 20 Français et 300 Allemands. Les Allemands en se retirant ont fusillé beaucoup d'Alsaciens notamment à Dannemarie. Il paraît qu'ils y ont fait sauter le viaduc.

 

19 Août -
 Nous quittons Belfort avec armes et bagages et nous repartons en avant. Nous passons à Pérouse, Bessoncourt, Frey [Frais], Foussemagne et nous allons cantonner à Montreux-Château où nous couchons. Nous y retrouvons des troupes du Midi (chasseurs d'Afrique, infanterie alpine, le 36ème corps de Montieux [ ?]). On apprend que l'ennemi se retire en désordre devant nous et que nous dépassons Mulhouse d'une trentaine de km.

 

20 Août -
 Départ dans la direction d'Altkirch en passant par Montreux-Vieux, Retzwiller, Dannemarie, Ballersdorf. En cours de route nous voyons les troupes du 15e et 16e corps en garnison à Gap, Briançon, Chambéry, Lyon, Montpellier, Béziers, Albi, Castres, Carcassonne, etc... A 4 km d'Altkirch, nous quittons la route et nous nous jetons sur la gauche. Nous sommes en réserve et nous allons prendre nos dispositions de combat du côté d'Hagenbach. Nous restons dans un bois jusqu'au soir et nous retournons cantonner jusqu'à Retzwiller au grand mécontentement de chacun. Nous y arrivons à 10 heures environ. En cours de route un convoi de blessés nous dépasse et l'on nous apprend que nous occupons à nouveau Mulhouse.

 

21 Août -
 Réveil à 3 h 30. Départ à 3 h 50 sans avoir pris le café et nous filons jusqu'à 2 km d'Altkirch. Là, nous quittons la route et nous allons par Aspach jusqu'à Heidwiller. Nous y restons jusqu'à 4 heures et nous partons prendre les avant-postes à Luemschwiller. Là nous tombons sur le champ de bataille d'avant-hier et les morts jonchent encore le terrain. Nous remplaçons le 371 sur ses emplacements de petits postes. Des corvées civiles ensevelissent les morts. A quelques mètres en avant de nous, les morts d'une section d'infanterie qui sont étendus ont été fauchés pendant la charge à la baïonnette par notre artillerie. Nous couchons à la belle étoile.

 

22 Août -
 Au point du jour nous prenons place dans des tranchées et nous y passons la journée face à l'ennemi. Rien de nouveau que la canonnade dans le lointain dans la direction de Mulhouse, de midi à 2 heures nous avons la pluie. A 5 heures le 5ème bataillon nous relève et nous rentrons coucher à Tagolsheim.

 

23 Août -
 Dimanche. Dès 3 heures du matin nous allons occuper les lisières que nous occupions le 10 et faisons des tranchées. A 3 h et demie de l'après-midi nous retournons prendre les avant-postes aux mêmes emplacements que le 22. Nous couchons encore à la belle étoile.

 

24 Août -
 Journée passée en attente avec quelques sentinelles en avant de nous. Nous gardons les avant-postes jusqu'à 9 h du soir et nous partons la nuit dans la direction de Dannemarie en passant par Tagolsheim et Heidwiller. Nous arrivons à 2 h du matin à l'entrée d'Hagenbach et nous passons le reste de la nuit dans un champ de betteraves. Il fait du brouillard et je ne peux pas rester couché à cause du froid.

 

25 Août -
 Dès l'aube nous partons à Bütweiler [Buethwiller] que nous dépassons pour aller faire des tranchées dans un beau champ de betteraves. Nous n'avons pas pris le café et tout le monde est bien fatigué. Nous y restons toute la journée et le soir à 8 h nous rentrons cantonner à Bütweiler [Buethwiller].

 

26 Août -
 A 8h- Réveil et nous allons occuper nos emplacements de la veille. Rentrés le soir à Bütweiler [Buethwiller] où nous couchons. Dans la journée le génie fait tout sauter les ponts sur la ligne Belfort-Mulhouse ainsi que les deux viaducs de Dannemarie et incendie cette dernière gare.

 

27 Août -
Départ à 4 h et demie. Nous retournons en France en passant par Niedertraubach [Traubach-le-Bas], Obertraubach [Traubach-le-Haut], Brückensweiler [Bréchaumont], Reppe et nous arrivons à 9 h à Fontaine où nous passons le reste de la journée à nous laver et nous sécher, car nous avons eu une pluie battante le long de la route. Là nous apprenons qu'une grande bataille a lieu à la frontière belge et luxembourgeoise.

 

28 Août -
Nous partons faire des tranchées autour de Fontaine le matin. Le soir à 5 h nous partons coucher à Foussemagne, à 2 km de Fontaine.

 

29 Août -
Nous faisons de fortes tranchées contre l'artillerie à 10 mètres de la frontière.

 

30 Août -
Dimanche - Réveil à 2 heures, et départ pour une reconnaissance en Alsace. Nous passons à Reppe, Brückensweiler [Bréchaumont], Obertraubach [Traubach-le-Haut] et Niedertraubach [Traubach-le-Bas] à travers champs et allons presque à Buethwiller ; retour à 4 h ½ du soir par une chaleur épouvantable.

 

31 Août -
 Départ à 5 h pour Larivière à 4 km de Foussemagne. Là, ni auberge ni épicerie ni boucherie, pas moyen de rien trouver. L'après-midi, nous faisons des tranchées dans la direction de Reppe.

 

1er et 2 Septembre -
Continuation de nos tranchées.

 

3 - 4 Septembre -
 Nous faisons une ouverture en coupe rase au travers d'un bois pour donner un champ à une mitrailleuse.

 

5 Septembre -
 Nous partons en reconnaissance à 6 h 30 du matin en passant par Vauthiermont, St-Cosme, Guevenatten, [Sternenberg / Hanensberg ? ] jusqu'à Falkwiller. Nous sommes en avant-garde. On rit beaucoup de nos sergents qui voient des ennemis dans tous les travailleurs des champs. Nous rentrons à 5 heures par la route d'Obertraubach [Traubach-le-Haut].

 

6 Septembre -
 Dimanche - Le matin exercice dans les environs de Larivière. L'après-midi nous retournons à notre chantier d'abattis.

 

7 Septembre -
 Nouvelle reconnaissance. Réveil à 4 heures, même itinéraire que le 5, mais nous n'allons qu'à [Sternenberg Hanensberg ?] par la route. Là encore les chefs nous enlèvent toute confiance en eux. Pour une section placée en observation et non prévenue du départ du bataillon nous retournons à nos emplacements jusqu'à ce que cette patrouille soit prévenue, comme si la faute en incombait aux hommes. De ce fait nous rentrons au cantonnement à 8 heures du soir. Nous n'avons qu'une portion de viande froide pour la journée.

 

8 Septembre -
 Réveil à 6 heures. Départ à 7 pour nos abattis. En cours de travail, alerte pour aller occuper nos tranchées. A midi nous allons prendre les avant-postes à Vauthiermont. Heureusement ma section est en grand-garde dans le village, car dans la suite il survient un gros orage.

 


 

1.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: BELFORT. - Le Lion

9 septembre 1914

Bien chère Félicie

Nous sommes toujours autour de Belfort, au pays d'où je t'ai écrit la dernière fois. Nous passons notre temps à organiser la défense de Belfort par la construction de tranchées et autres ouvrages. Nous n'avons pas trop à nous plaindre et malgré notre quasi tranquillité, nous souhaitons toujours que comme la guerre, ce métier finisse le plus vite possible. J'ai reçu ta carte du 28 avec 8 jours de retard. Je crois par conséquent qu'il n'y a guère plus d'avance d'envoyer des cartes ou des lettres. Je n'ai encore rien reçu ni d'Alfred ni d'Octave. Quand tu m'écriras, donne-moi donc l'adresse exacte d'Alfred. Et d'Honoré, en avez-vous des nouvelles ? Est-il toujours au dépôt ? Quand tu m'écriras donne-moi des nouvelles de lui, son adresse au besoin, de même que des nouvelles au sujet des morts et des blessés qu'il y a déjà. Je sais que Léon Vélin et un Routhier sont blessés. On m'a dit également que Picard, de Molay, (tu comprends), était tué ; je ne sais si c'est vrai. Avez-vous des nouvelles d'Eugène ?

Je t'ai écrit le 1er septembre et j'avais joint à ma lettre une rognure de journal pour que tu fasses une demande d'allocation pendant mon séjour ici. Si tu n'as pas reçu ma lettre, tu t'informeras de cela et tu dois toucher depuis mon départ pour toi et Marie-Louise une somme de 1,75 ou 2 f par jour.

Aujourd'hui, nous étions en avant-postes à 2 km de Larivière [Vauthiermont, sans doute] et le reste du régiment est parti en reconnaissance en Alsace. En rentrant à Larivière, je trouve Fouchard qui arrive du dépôt de Besançon. Il me dit qu'Honoré est parti lundi avec le dépôt du 60 dans le Nord. J'espère qu'il aura bonne chance et rentrera sain et sauf. Car sûrement il aura plus à souffrir que nous. Ecris-moi le plus souvent que tu pourras, car pense bien que si mes lettres te font plaisir, il en est de même des tiennes pour moi - et quoique éloigné, j'aime bien savoir où vous en êtes de vos travaux.

D'après ta carte je vois que tu as bien des maux, et je. .... pas que tu aies quelque découragement étant donné ta nervosité. Je te recommande encore le calme et. ..... courage car j'ai bon espoir de te revenir le plus tôt pour te soulager. Embrasse bien pour moi ma petite Marie-Louise et donne de bonnes nouvelles de moi à tous ceux qui s'intéressent à moi. Je t'embrasse de tout mon coeur. Ton mari H.B...

 

 

9 Septembre -

Nous rentrons à midi à Larivière. Repos l'après-midi. Le reste du régiment est parti depuis hier en reconnaissance. Il est allé jusqu'à 4 km de Mulhouse. Toute la journée on entend le canon.

 

 

 

 

10 Septembre -
Le matin travaux d'abattis, l'après-midi travaux de propreté. La 21ème et 24ème Cie ne sont pas encore rentrées de reconnaissance.

 

11 Septembre -
Nous retournons prendre les avant-postes pendant que le reste du régiment repart en reconnaissance. Je suis en faction de 6 h ½ à 8 h ½ tout juste avant la pluie. Il fait froid

 

12 Septembre -
 A minuit moins le quart, réveil en sursaut. La 24ème est à la porte de la grange pour nous remplacer et nous devons partir immédiatement pour défendre le pont d'Aspach. Il pleut et le vent souffle. Nous passons par Angeot où nous nous abritons un moment contre la pluie. A 2 heures environ nous passons à Lachapelle où nous rencontrons un bataillon du 171ème qui rentre avec des prisonniers. Il a battu à la baïonnette contre 2 régiments allemands jusqu'à 7 h ½ du soir, c'est-à-dire pendant une heure de nuit, à 20 km plus en avant. A 4 heures nous arrivons à Nieder-Sulzbach (Soppe-le-Bas). Le canon tonne tout près. Nous faisons le café et l'ordre vient de rejoindre nos cantonnements où nous arrivons à 9 h environ. A Soppe-le-Bas un prisonnier se rend à nous avec armes et bagages.

 

13 Septembre -
Dimanche - Il pleut. Le matin repos, l'après-midi à 2 heures théorie et exercice. A 6 heures nous prenons la garde de police. Bonnes nouvelles de la guerre.

 

14 Septembre -
Garde de police toute la journée. Nous logeons à côté du cantonnement de la 24ème et je peux aller causer avec Louis pendant 2 heures. Il pleut toute la journée, un vent glacial souffle. Le 5ème bataillon est allé en reconnaissance. L'ennemi recule sur toute la ligne.

 

15 Septembre -
Réveil à 5 heures. A 6 heures départ pour notre travail d'abattis. Nous rentrons à cause de la pluie à 8 heures environ. L'après-midi abattis. A 9 heures du soir exercice de nuit par alerte. Nous restons une heure dehors et rentrons à 10 heures. Je suis de garde aux issues de 2 à 4 heures. Cette garde d'ailleurs est prise tous les trois jours environ depuis que nous sommes à Larivière.

 

16 Septembre -
 Réveil à 5 heures. Départ à 6 heures au bois. A 11 heures nous partons en avant-postes à Vauthiermont. Nous couchons sous bois. Heureusement il fait une nuit très douce et nous ne souffrons pas du froid.

 

17 Septembre -
 Nous sommes relevés à midi. L'après-midi repos et corvée de bois à 5 heures.

 

18 Septembre -
 Nous vidons l'eau des tranchées.

 

19 Septembre -
 Par ordre du général de brigade, travaux de propreté le matin. D'ailleurs il pleut à verse. A 10 h ½ nous partons par Reppe, Bréchaumont à Obertraubach [Traubach-le-Haut] où nous cantonnons.

 

20 Septembre -
 Dimanche - Il pleut et il fait froid. Nous avons repos et nous en profitons pour assister à la messe.

 

21 Septembre -
 Nous partons à l'exercice et rentrons aussitôt arrivés sur l'emplacement par suite du mauvais temps et du mauvais état du terrain. Dans la matinée il passe deux prisonniers faits par nos patrouilles d'avant-postes. A midi nous allons prendre les avant-postes entre Obertraubach [Traubach-le-Haut] et Falkwiller. A peine arrivés nous partons faire une patrouille à Falkwiller. Rien à signaler. Nous couchons sous bois. Nous n'avons pas trop chaud.

 

22 Septembre -
 A 4 heures nouvelle patrouille dans laquelle quatre camarades ont l'occasion de tirer sur une patrouille de uhlans. Nous sommes relevés à midi ; l'après-midi repos.

 

23 Septembre -
 Exercice le matin. Après-midi nous prenons les avant-postes. On prépare les gourbis et à 5 heures nous sommes relevés pour partir en reconnaissance. A peine avons nous le temps de manger la soupe. A 6 h ½ départ par Niedertraubach [Traubach-le-Bas], Woifersdorf, Dannemarie, Romagny, et après nous marchons au hasard sans savoir les noms de pays que nous traversons. A 11 h ½ nous arrivons à Astrick [Altkirch ?]. On se groupe tant bien que mal dans une grange et une écurie.

 

24 Septembre -
 A 1 heure départ pour Carspach, Hirtzbach et nous arrivons à Hernie [Hindlingen ?] à la pointe du jour. Nous cernons le village et gardons toutes les issues avec défense de sortir du pays. Des Allemands y sont venus la veille réquisitionner tous les territoriaux et fermes. Les habitants regrettent que nous ne soyons venus que la veille. Nous sommes très bien reçus. Dans la matinée je fais partie d'une patrouille chargée de cerner un groupe d'ennemis. L'encerclement terminé nous nous apercevons que ce sont des paysans arrachant des pommes de terre. Toute la journée, une fusillade et canonnade se fait entendre à un km à peu près de nous. Nous quittons Hernie [Hindlingen ?] la nuit pour revenir coucher à 12 km de là à Larg[itzen ?] où nous arrivons à 9 h environ. Il y a 8 voitures de blessés.

 

25 Septembre -
 Départ à 6 heures. Nous rentrons à Obertraubach [Traubach-le-Haut] par le même chemin c.-à-d.
Friesen, Hindlingen, Strueth, St-Warch [St-Ulrich ?], Altenach, St-Liggert, Manspach [St-Léger-Manspach], Dannemarie, Woifersdorf, Obertraubach [Traubach-le-Haut]. Nous arrivons à 11 heures. Soupe et nous nous préparons à passer un bon après-midi. A midi et demi rassemblement sac au dos. L'ennemi attaque nos avant-postes à Falkwiller et nous allons prendre nos emplacements de combat. Je suis de faction tout l'après-midi ; pas grande fusillade mais duel d'artillerie. L'ennemi a des pièces de siège ; les obus tombent à 2 ou 300 mètres de moi derrière un bois, vers un de nos petits postes. Le soir il y a une quinzaine d'artilleurs blessés et 2 morts à la 20ème. Nous rentrons à notre cantonnement à la nuit. On fait la soupe le [?]. On doit se tenir prêts pour le lendemain à 7 heures.

 

26 Septembre -
 Rassemblement à 7 heures; nous touchons chacun 15 paquets de cartouches et à 8 heures environ nous retournons à nos emplacements. L'artillerie ennemie tire dans notre direction mais trop court. La nôtre reprend derrière nous. Nous restons jusqu'à la nuit sous bois en ligne de section par quatre et nous rentrons.

 

27 Septembre -
 Dimanche - Messe pour les morts à 10 heures. Départ d'Obertraubach [Traubach-le-Haut] pour cantonner à Woifersdorf. Repos le reste de la journée.

 

28 Septembre -
 Réveil à 4 heures. Nous formons les faisceaux et nous attendons tout le matin le signal du départ qui ne vient pas. L'après-midi : théorie et service de campagne.

 

29 Septembre -
 Travail de réfection d'un chemin en plaçant des arbres en travers et de la terre dessus. Travaux de propreté l'après-midi. Revue à 4 heures.

 

30 Septembre -
 Réfection du chemin. Exercice l'après-midi.

 

1er Octobre -
 Idem

 

2 - 3 Octobre -
 Même emploi du temps. Le 3 à 2 heures un ordre arrive au bois de rentrer au cantonnement et de se tenir prêt à partir. A 4 heures et demie contre-ordre et la journée se termine paisiblement.

 

4 Octobre -
 Dimanche - Réveil à 5 heures ½ travaux de propreté puis ordre de se tenir prêt pour 11 h 15. A 10 heures nous mangeons la soupe, troublée par l'ordre de partir à 10 h ½. Nous partons en reconnaissance par Nieder- et Obertraubach [Traubach-le-Bas, Traubach-le-Haut], Guevenatten, Sternenberg, Diefmatten et nous nous heurtons à l'ennemi à Burnangter [Burnhaupt ??]. Après une marche en chargeant nous marchons en tirailleur et la fusillade commence. La 23, la 24 et une partie de la 22 sont en ligne, ma section est déployée derrière la route. De 2 h ½ à la nuit noire le combat dure. 3 obus allemands éclatent à 500 m en avant de nous. A 7 h après le retrait du bataillon, la 2ème section forme arrière-garde et se partage en deux pour être à la lisière d'un bois et dans un pré en avant de Diefmatten où le bataillon doit coucher. La perspective d'une nuit à la belle étoile sans aucun abri n'est pas belle ; mais à 8 heures l'ordre arrive de rentrer et tout le bataillon regagne Woifersdorf, où nous arrivons à minuit et demi. En route nous voyons brûler le clocher de Gildwiller. Là, le 242 [?] fait déloger des avant-postes puis, les uns [?] la nuit. Il y a eu 6 blessés à la 23 et 24ème Cie.

 

2.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St-Aubin 5 octobre 1914

Bien cher Bougaud

Je t'avais écrit hier une lettre me proposant de te l'envoyer aujourd'hui en même temps que ton colis contenant un chandail une paire de gants et du papier à lettres ce qui portait le poids du colis à près d'une livre, tarif demandé par la poste. Ce matin ta Maman m'envoie dire que Mme Lécrivain partait pour Belfort demain à 6h et qu'elle voulait bien se charger des colis, donc j'ajoute ta ceinture une paire de chaussettes et une plaque de chocolat que tu n'auras pas la peine d'acheter et que tu partageras avec ton ami. J'ai reçu ta lettre du 27 ce matin seulement et ta carte était arrivée d'hier, toutes deux m'ont fait bien plaisir. Marie-Louise a sommeil je vais la coucher et je reprendrai ma lettre après. BONJOUR PAPA. Elle était si fâchée qu'elle n'a pas voulu mettre PAPA tout le long elle avait pourtant bien écrit avec moi sur la lettre d'hier, elle dort je vais reprendre et te donner tous les détails que je pourrai. Je t'ai acheté un chandail ton gilet étant trop lourd sans être plus chaud et j'ai préféré à un tricot beige car ceux-ci ne ferment pas sous la gorge comme tu y es encore sensible, moi je suis enrouée voilà près de trois semaines et cela durera peut-être encore trois mois ce n'est rien du tout ; cela me gêne tout simplement, et ça passera tu le sais bien ; cependant j'ai acheté ce matin quelques pastilles et je t'en envoie la moitié. Je vois par ta lettre que tu n'as pas besoin d'argent mais je crains que tu ne fasses trop d'économie et que par là tu nuises à ta santé. Sois raisonnable et tâche de te procurer si possible ce dont tu as besoin, ne crains pas de me demander de l'argent et tout ce que je pourrai te procurer, de grand coeur je te l'enverrai, j'aurais tant de plaisir de te savoir bien muni et à l'abri du besoin le plus possible et du danger surtout. Mais je vois que vois vous n'êtes pas tranquilles pour bien longtemps ; j'aime cependant bien à être renseignée par toi car je sais que tu me diras toujours les choses telles qu'elles sont et j'aime mieux savoir la vérité que d'entendre les racontars. Je voudrais bien pouvoir me glisser dans le colis avec Marie-Louise pour aller t'embrasser un gros coup mais si je ne suis pas réellement près de toi, bien souvent j'y suis par la pensée. Vos marches sont rudes et tu me dis que tu as été fatigué ce n'est pas étonnant et c'est bien pour cela qu'il faut te soigner le plus possible. Dire que vous ne trouvez pas grand-chose et qu'ici chez vous il y a tout ce qu'il faut. Enfin c'est la guerre et nous n'y pouvons rien. Je suis content que tu puisses entendre la messe quelquefois et je suis sûre que dans ces moments je suis bien présente à ton esprit, de mon côté je ne t'oublie pas dans mes prières au contraire et quand c'est mon tour d'aller à la messe j'en suis bien aise pour te recommander plus instamment au Bon Dieu. Je suis allée hier en sortant de la messe chez Léon Miellet payer la râteleuse et la jumelle 305 frs et ce matin chez Mr Lamy régler l'acquisition des blés 408 frs c'est un bon souci de moins et il n'y a plus à y penser. Maurice est toujours au feu dès le début, est passé sergent ces temps derniers, il s'étonne d'être toujours vivant car il a son sac et sa capote criblés de balles. Honoré est blessé au bras et au côté droits depuis le 23 il a télégraphié à Madeleine le 29 et avait écrit avant à Soeur Seguin lui donnant plus de renseignements. Clotilde a transmis des détails à Madeleine sans toutefois lui envoyer la carte d'Honoré: Elle pense que la blessure du bras est peu de chose car c'est lui qui a écrit et espère que celle du côté n'est pas trop grave car il a supporté un très long voyage. Voici son adresse: Sergent Seguin Hôpital temporaire N°44, Ste Anne d'Auray (Morbihan). Ecris-lui le plus tôt possible cela lui fera autant de soulagement que les bons soins des Soeurs qui l'entourent il a encore cette chance-là. Madeleine est admirable de courage et supporte avec calme et résignation toutes les épreuves que le Bon Dieu lui envoie.

Anna est venue hier, il y avait bien longtemps que je ne l'avais pas vue elle s'est bien informée de toi et m'a chargé de bien des choses de sa part pour toi. Ta soeur Marie-Louise est arrivée hier après la messe elle est en bonne santé et regrette qu'Octave soit à Belfort car elle n'a plus le bonheur de le voir tous les dimanches. Pour nous ça va assez bien. Les santés sont bonnes et le travail marche rapidement pour ma part j'ai déjà de semé 3 journaux d'avoine d'hiver 50 ares orge d'hiver 2 journaux ¼ de seigle dont un que ton Papa m'a semé en Crimée et tous nos trèfles, nous allons prendre les sommards maintenant car les trèfles sont trop secs. Nous voudrions bien qu'on parle de livrer les betteraves car on arracherait nous ne pouvons pas trop commencer avant. Je suis allée chercher les haricots hier après-midi nous en aurons encore beaucoup cette année. Les vesces du pont du Juif sont trop sales pour semer ce serait hasardé de perdre les sements, nous laisserons donc ce lot et pensons semer tout le reste même les betteraves. Il faut voir si mes deux frères s'entendent au travail Louis-Joseph sème à grand train et Henri est passé 1er cultivateur. Il n'y a pas à s'amuser non plus. Ils battent à la machine des Vadant demain matin les charrues seront donc arrêtées. Marie-Louise Péchinot est partie à Morez de samedi ma tante est rentrée de ce matin elle a vu tante Eulalie qui s'informe de vous tous et prie pour tous. Toujours sans nouvelles de Françoise et la communauté aussi inquiète que nous de ses Religieuses belges. As-tu pu voir Alfred ? Cela vaudrait encore mieux qu'une lettre une entrevue ta lettre du 15 août lui est parvenue le 20 septembre. Marie-Louise dort bien, si tu savais qu'elle est amusante. Dommage que tu ne sois pas là pour la gâter mais elle est bien portante et s'amuse bien dans son lit, elle se sort des couvertures et s'assied sur l'oreiller, il est très rare de ne pas la trouver comme ça. Elle appelle beaucoup son Papa ces temps-ci tu es trop loin et tu ne l'entends pas sans quoi tu viendrais vite l'embrasser. Je le fais pour les deux en songeant à toi. Au revoir bien cher Bougaud à bientôt de tes nouvelles. En attendant reçois de ta femme les plus tendres baisers. J'y joins les caresses de Marie-Louise. Félicie

 

 

 

5 Octobre -

 Dès 5 heures nous formons les faisceaux en position d'attente. A 9 heures on donne l'ordre au cuisinier de faire la soupe. L'après-midi, travaux de propreté.

 

 

6 Octobre -
 Exercice toute la journée

 

7 Octobre -
 Réveil à 4 heures. Nous devons être prêts à 5 heures. Puis l'ordre vient de faire de l'exercice à rangs serrés dans le cantonnement. L'après-midi exercice. Une reconnaissance bat fort du côté de Dannemarie. Cela nous rappelle la journée de Mulhouse et de Chavannes. Un aéroplane ennemi vient planer au-dessus du ballon et envoie une bombe qui éclate à 100 m environ du bois et de nous qui lui tirons dessus.

 

8 Octobre -
 Réveil à 3 heures. Départ en reconnaissance. [?] Dannemarie et [?] avant le jour. Nous attendons en battant la semelle dans la gelée blanche jusqu'à 8 h et nous rentrons à Woifersdorf. L'après-midi à 2 heures nous retournons à notre travail dans le bois. Le soir nous touchons chacun un couvre-pied de campement.

 

9 Octobre -
 Le matin exercice. L'après-midi exercice de bataillon. Ma section [ joue ?] l'ennemi, et le reste du bataillon nous attaque et pousse la charge avec tambours et clairons. Le soir j'ai l'occasion de voir Alfred.

 

10 Octobre -
 Réfection du chemin. L'après-midi il pleut et ça nous vaut repos.

 

3.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: Gruss aus Dammerkirch, O[ber]-El[sass]

Le 11 octobre 1914

Bien chère Félicie

Aujourd'hui c'est Dimanche et pour le premier que l'on nous laisse un peu tranquille j'en profite pour t'envoyer deux lignes te disant que je me porte toujours bien et que je pense toujours à toi. Je ne t'en dirai pas long car je n'ai pas encore reçu la lettre que tu as dû m'écrire dimanche, selon ton habitude et j'attends pourtant des nouvelles que tu me donneras plus en détails que ceux qui me les ont données (blessure d'Honoré, avortement de la Marmotte, etc). Quand j'aurai ta lettre, je te répondrai longuement selon mon habitude. Attends donc une lettre d'ici deux ou trois jours.

Je n'ai pu aller à la messe aujourd'hui pour la bonne raison que dans notre cantonnement il n'y a pas d'église. Nous sommes toujours aussi tranquilles. J'ai vu deux fois Alfred cette semaine. Ils ne sont pas trop malheureux non plus, sauf qu'ils prennent les avant-postes plus souvent que nous actuellement. Il se porte très bien et n'a pas l'air de trop se faire de mauvais sang. Il vous envoie à tous le bonjour. Je t'embrasse très fort avec Marie-Louise H. Bougaud

 

 

 

11 Octobre -

 Dimanche - Travaux de propreté et repos. Dans la matinée rassemblement en hâte de la 21ème et 22ème. Nous allons jusqu'à Dannemarie pour une parade d'exécution. Deux soldats du 72 condamnés à 10 et 5 ans de travaux publics pour désertion devant l'ennemi sont dégradés devant nous. L'après-midi travaux de propreté, autrement dit repos.

 

 

12 Octobre -
 Le matin exercice de 7 à 9 h. L'après-midi travail au bois.

 

13 Octobre -
 Réveil à 3 h ½. Prêts à partir à 4 heures, nous formons les faisceaux et nous restons là à attendre. Dans la matinée revue de saut [ ??], l'après-midi exercice.

 

14 Octobre -
 Le matin exercice; le soir manoeuvre de bataillon. Dans cette manoeuvre nous faisons ce qui n'arrivera jamais dans la réalité, c'est à dire emporter d'assaut des tranchées par un seul bond, en terrain découvert puis 400 mètres de charge à la baïonnette.

 

15 Octobre -
 Exercice de 7 à 9. Le soir travaux de propreté. On s'apprête à changer de cantonnement puis contre-ordre.

 

16 Octobre -
 Exercice le matin. Le soir exercice de baïonnettes.

 

17 Octobre -
 Réfection du chemin d'Elbach.

 

18 Octobre -
 Dimanche - Réveil pour être prêts à 5 heures ½. Nous changeons de cantonnement et nous partons directement prendre les avant-postes à Gildwiller où l'église est brûlée. Ma section est garde de police et fournit la garde aux autres. Nous sommes très près des Allemands dans un endroit, il n'y a pas plus de 400 m. On les entend très bien causer et faire du bruit. A tout moment, ils envoient des coups de fusil, mais la consigne est de ne pas répondre. Ils mènent grand bruit au village en face, sans doute pour attirer notre attention mais chez nous rien ne bouge. Au loin, très loin, dans les Vosges, depuis quelques jours le canon tonne. Il gronde même aujourd'hui, toute la nuit qui ne peut pourtant guère être plus noire.

 

19 Octobre -
 A 11 heures, nous changeons de place et mon escouade est placée en poste de liaison au milieu du bois. Devant nous est faite une sorte de redoute pour se cacher si on tire des obus. Toute la journée nous nous amusons d'une charrette que les Allemands roulent à grand fracas au village en face. Dans le bois où nous sommes il y a des gros arbres coupés par des obus et d'énormes trous en terre. Le canon tonne toujours dans les Vosges jusqu'à minuit. Nous avons passé la nuit chaudement dans un bon gourbi

 

20 Octobre -
 Le canon reprend autour de 8 heures. Nous [?] et nous arrivons à Obertraubach [Traubach-le-Haut] à 2 heures. Repos le soir. Pour la 1ère fois, on nous dit que nous pouvons coucher déséquipés.

 

21 Octobre -
 A 10 heures - départ pour Gildwiller. Nous sommes en petit poste à la lisière du bois face à Ammerzwiller. Nous sommes à 800 m des tranchées ennemies. On ne voit personne. Une patrouille de dragons est accueillie par des coups de fusil. Je crois qu'un cheval est blessé car il perd du terrain. La nuit se fait par deux équipes de relais. Nuit calme. Le canon tonne dans les Vosges.

 

22 Octobre -
 Brouillard. On ne voit pas les tranchées ennemies. A 10 heures, une de nos mitrailleuses tire du côté d'Ammerzwiller. Nous sommes relevés à midi et rentrons à Obertraubach [Traubach-le-Haut].

 

23 Octobre -
 Travaux de propreté. A midi, nous prenons la garde de police au cantonnement.

 

24 Octobre -
 Garde de police le matin. L'après-midi travaux de campagne.

 

25 Octobre -
 Dimanche - Repos. Le matin, j'ai l'occasion d'assister à la messe et je vais causer un bon moment avec Louis. Le soir à 5 heures, alerte. Prêt à partir dans les granges. On se doute que c'est un frein pour ceux qui aiment trop boire. En effet, à 6 h ½, nous pouvons nous désaltérer et nous coucher.

 

26 Octobre -
 Il pleut jusqu'à 10 h. Nous repartons aux avant-postes à Gildwiller. Nous sommes en grand-garde.

 

4.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Gildviller le 27 octobre 1914

Ma chère Félicie,

C'est encore des avant-postes qu'aujourd'hui je t'enverrai de mes nouvelles, et malgré cela, je ne t'en enverrai encore que des bonnes. Nous sommes bien installés dans un bois mais il ne fait pas froid et encore nous avons nos couvertures. Nous passerons je crois bien la nuit ; le ciel d'ailleurs ne paraît pas à la pluie car nous la redoutons et si je souhaite qu'elle trempe vos terres pour faire vos semailles dans de bonnes conditions nous ne demandons de notre côté que du beau temps aussi quand les matins que nous couchons dehors nous nous réveillons secs. Nous disons : Allons, encore une qui s'est bien passée et le temps passe plus vite aux avant-postes qu'au repos. Par conséquent tout a son bon côté et ne vous tourmentez pas trop à notre sujet car assurément nous avons moins de maux que vous. Mais voici une autre histoire : un caporal de réserve avec un petit poste placé dans le village a voulu acheter du beurre et autre chose dans une maison et cela n'a pas fait plaisir au sergent qui l'envoie en punition nous remplacer dans le bois et nous rentrons au village. Je ne coucherai donc pas dehors cette nuit mais bien dans une jolie petite chambre, bien plafonnée et bien chaude. C'est là que je finis ma lettre. Je te disais l'autre jour que nous étions bien nourris maintenant. Cela va toujours de mieux en mieux. A présent il y a des prix de taxés sur toutes les denrées et on peut s'approvisionner à des prix raisonnables à bon marché relativement: vin 0,60, lait 0,20, beurre 1,50, oeufs 1,30 la douzaine, sucre 0,90, etc... Et depuis quelques jours nous touchons du vin une fois par jour et du gruyère, de l'eau-de-vie, etc. Nous ne sommes pas malheureux et nous nous félicitons de passer la guerre dans d'aussi bonnes conditions. Pourvu que cela dure le reste de la campagne, je veux dire le moins possible. Tout ceci est bien pour nous. Malheureusement il n'arrive pas de lettre qui n'annonce de nouveaux blessés, morts ou disparus. Et je compare que St-Aubin est encore bien privilégié vis-à-vis d'autres pays dont les enfants ont été dirigés plus nombreux vers le nord. Un de ceux qui sont avec moi me disait l'autre jour que sur 5 frères partis qu'une famille de son pays 4 sont morts et l'autre blessé. Il faut [?] Voilà de pauvres gens bien à plaindre que leurs parents et combien d'autres hélas sont dans des cas semblables, sans compter tous les pères de famille qui laissent des enfants en bas âge. Que c'est terrible une guerre et combien on trouve que cela dure et qu'il tarde qu'on entende de parler de paix. Ce sera encore plus long encore qu'on ne le croit car les opérations ne vont pas vite. Dimanche et lundi, que de deuils aura-t-on à déplorer et que de parents et amis pour qui chacun priera. Je pense bien profiter de cette fête de Toussaint pour communier et assister aux offices car je crois que nous aurons repos. Le service n'est pas si dur que je te l'annonçais l'autre jour. Nous sommes deux bataillons à fournir les avant-postes et pendant que l'un est à Gildviller, l'autre est au repos à Obertraubach et encore dans les 4 jours que nous sommes de garde nous n'avons guère que deux jours à coucher dehors sous des abris de feuillage plus ou moins bons mais qui garantissent quand même de la fraîcheur et cela durera trois semaines ou un mois jusqu'à ce que le 242 vienne prendre la place du 260. Nous retournerons alors passer la même période à Woifersdorf où nous avons déjà passé trois semaines dans le repos, plutôt l'exemption de service la plus complète. Voilà notre vie. Je t'ai déjà dit ce me semble que j'avais reçu ton paquet encore une fois je t'en remercie et tu remercieras bien pour moi Mme Lécrivain si tu as l'occasion de la revoir. Je vois, contrairement à ce que tu m'avais dit dans ta précédente lettre, qu'Honoré a été sérieusement blessé. Je lui ai écrit aussitôt que j'ai su son adresse. Je ne peux pas lui écrire car ma lettre risquerait de lui arriver là-bas alors qu'il serait à St-Aubin. J'aime mieux que tu te fasses mon interprète auprès de lui et de Madeleine qui doit être bien ennuyée de tout cela. Heureusement qu'il est tombé dans les mains des bonnes soeurs bretonnes qui ne lui ont pas ménagé, je suis sûr, les bons soins corporels et spirituels ces derniers non moins efficaces. Il est ennuyeux que tu aies si peu de chance avec nos chevaux. Mais je suis bien content que la Marmotte n'ait pas été arrêtée plus longtemps. C'est ce que je craignais. Il n'eût plus fallu qu'elle vienne à vous manquer huit jours. Avec ta lettre, j'ai reçu une lettre de maman et une de ta soeur Louise à laquelle ta maman a bien daigné ajouter son petit mot. Je les en remercie et leur ferai réponse sitôt que le pourrai. Louise me dit que tu es bien contente de Louise Bouffaut et que vous conserver de la conserver [??] pour l'hiver. Tant mieux. Et à l'occasion, dis lui mon contentement à son sujet. J'ai été heureux de savoir qu'elle était bien remise. Tu pourrais je crois songer un peu à Gaston Gaulard. Tu me disais dans une lettre qu'il serait bien resté un jour qu'il était venu à St-Aubin. Je crois que c'est lui qui conviendrait le mieux comme aide et bon vouloir. A toi de voir. Louise m'annonce aussi que ma chère Marie-Louise fait beaucoup de progrès pour marcher et que l'autre jour elle a fait avec elle le trajet de chez vous aux Pointus. C'est bien mais la voici à son treizième mois et je pense que bientôt vous m'annoncerez sa première course. A l'occasion je te dirai qu'à Obertraubach où nous cantonnons une jeune maman apprend aussi à sa petite fille à faire ses premiers pas. A les voir, je me reporte à St-Aubin et je vous vois également les deux Marie-Louise se cramponnant à ta main dès que tu fais mine de la lâcher. Seulement je ne fais que vous entrevoir et cependant c'est moment bien doux que de penser à vous deux. Ce qui me rappelle le plus Marie-Louise c'est que cette petite a le même cri de "ata, ata" que Marie-Louise disait quand je suis parti. Louis a reçu la photographie de sa petite Alice. Il en est bien content et je suis sûr qu'il va la regarder souvent aussi. Allons, je vais terminer, il faut comme tu dis en garder pour une autre fois. Je suis bien content que votre travail marche à peu près et de vous savoir tous en bonne santé, surtout. A l'occasion présente mes amitiés à tous les parents qui s'informeront de moi et remercie bien pour moi tous ceux qui te viennent en aide. Je te quitte en vous embrassant tous deux de tout mon coeur. Ton cher H. Bougaud.

 

 

27 Octobre -

 Avant-postes. A 11 h, nous changeons d'emplacement et je suis dans un petit poste de liaison au milieu du bois, puis notre poste est changé et je suis aux [ ? ] à Gildwiller. Nous couchons dans une bonne petite chambre, cela vaut mieux. Le canon tonne toute la nuit dans les Vosges.

 

 

28 Octobre -
 A midi, nous sommes relevés et rentrons à Traubach où nous terminons la journée au repos. Dans la matinée 8 coups de fusil. Dans l'après-midi la pluie recommence. Nous avons encore passé entre les gouttes.

 

29 Octobre -
 Travaux de propreté et revue le matin. Après-midi repos. La pluie a duré toute la nuit et par moments la journée.

 

30 Octobre -
 Nous nous préparons le matin pour prendre la garde à Guevenatten et nous partons à 10 heures. Le canon tonne vers Dannemarie. Il paraît que nous canonnons les tranchées ennemies en avant de Burnhaupt et Ammerzwiller. La bise souffle froide l'après-midi mais se calme pour la nuit. Nous sommes très bien.

 

31 Octobre -
 Il pleut un peu le matin. A 11 heures nous rentrons à Traubach. Les Allemands ouvrent le feu sur les grosses batteries en avant de Dannemarie. Cela nous vaut une alerte et d'être un peu sur les dents tout l'après-midi. Nos batteries répondent et tout se calme. Désalerte à 5 heures.

 

1er Novembre -
 Fête de la Toussaint. Repos pour ceux qui ne sont pas aux avant-postes. Nous pouvons assister à tous les offices de la journée. Foule énorme à l'église de soldats et de civils.

 

2 Novembre -
 A 6 heures 3/4 messe pour les morts. De 8 à 10 exercice. L'après-midi travaux de campagne.

 


 

5.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Obertraubach le 3 Novembre 1914

Bien chère Félicie

Au moment où je commence ma lettre je ne vois pas trop ce que je vais pouvoir te dire de nouveau aujourd'hui mais je ne veux néanmoins pas passer la semaine sans venir m'entretenir un moment avec toi de peur que le temps ne te dure trop d'avoir de mes nouvelles. L'essentiel est d'abord que je suis en excellente santé, de même que Louis et tous ceux qui sont avec moi. Dimanche fête de la Toussaint: comme je le prévoyais, nous avons eu repos et sauf le bataillon qui était aux avant-postes, chacun a pu disposer de sa journée à sa façon. J'en ai profité pour communier le matin et assister à tous les offices de la journée. A la messe du matin, on pouvait bien compter qu'il y a eu un soldat sur huit qui a reçu la sainte communion. A la messe militaire de 7 heures et demie, l'église était bondée ; et à la grande messe de 9 heures, les bancs, les allées étaient pleines et beaucoup l'ont entendu la porte ouverte, de même aux vêpres des morts. De ma vie je n'ai vu pareille assistance de militaires à un office religieux. On sent que dans les circonstances actuelles, il y a quelque chose qui travaille au fond des coeurs. De même dans la population civile, d'ailleurs très religieuse en Alsace, on sent que cette année chacun a un deuil à pleurer ou des parents à recommander à Dieu. A la messe des morts, lundi, l'église était encore bondée. Nos chefs sont d'ailleurs très croyants et nous avaient laissés deux heures pour pouvoir y assister. Tu ne peux te figurer le nombre de soldats qui ont défilé devant les tombes de deux camarades enterrés dans le cimetière du pays. Leurs tombes étaient très bien entretenues et fleuries de nombreux bouquets. Une couronne de thuyas cravatée d'un beau ruban tricolore était accrochée au sommet de chaque croix. Je te disais que le pays est très religieux, en temps ordinaire, tu ne peux te figurer le nombre de personnes qui assistent aux offices. Chacun est bien attaché à son curé et cela fait un effet quand on compare Saint-Aubin. Tout le long des chemins, il y a de nombreuses croix très bien entretenues et à tout moment, contre une maison, contre un arbre, au bout d'un champ se trouve placée une petite niche simple caisse en bois avec une vitre renfermant une Vierge entourée de fleurs et bien entretenue. Je voudrais qu'il y ait à Saint-Aubin un peu de la foi qu'il y a ici et je suis sûr que bientôt il y aurait un curé. Tu te plains que les lettres que tu reçois mettent trop de temps et que les nouvelles ne sont plus fraîches. A moi, c'est le même coup et tu ne t'y prendras pas si parfois je te dis la même chose sur plusieurs lettres. Je suis bien content que vos semailles soient à peu près terminées. Vous aurez au moins du temps devant vous pour vous y reconnaître et à part quelques labours que vous ferez si vous le pouvez pour les sarclages. Je crois que bientôt vous pourrez vous reposer de ces trois mois de grande fatigue que vous venez de passer. Tu m'annonces que tu n'as pas beaucoup de betteraves mais il ne faut pas oublier que j'avais réservé 5000 kilos de pulpe et d'ailleurs en fait de racines, on use ce que l'on a.

Pierre est heureux vraiment de pouvoir aller de temps à autre à Saint-Aubin et je suis certain que cela ne nuit pas [à] son travail. Mais d'un autre côté lui fait beaucoup de repartir de même qu'à Marie-Louise et puisque nous ne pouvons pas, nous, nous voir avant la fin, mieux vaut n'y pas penser. Nous n'avons au moins pas l'occasion de renouveler la tristesse d'une nouvelle séparation. Souhaitons seulement que cela finisse le plus tôt possible et alors nous nous retrouverons pour de bon. Mais au train que cela va, je crains bien de ne pas être rentré au moment que tu demandes. Ne t'en fais pas d'illusion, je l'aurais ardemment désiré, mais si je ne peux être rentré tu n'auras pas à en souffrir, j'en suis bien certain. Soigne bien Marie-Louise maintenant, pour que sa santé soit très bonne alors et qu'elle soit bien gentille. J'espère bien que ses dents ne la feront pas trop souffrir et qu'elle sera vite remise. Je vois d'après tes lettres que l'état d'Honoré n'est pas très satisfaisant et je crains bien que sa pleurésie ne soit plus mauvaise que sa blessure elle-même. Heureusement qu'il est bien soigné. Je pense qu'il se remettra et qu'une bonne convalescence viendra parfaire sa guérison. J'attends une lettre de lui, je ne sais s'il n"était pas trop faible quand il a reçu ma carte et peut-être n'aurais je pas encore de si tôt sa réponse. Nous avons eu quelques jours de pluie, mais ma compagnie a encore passé entre les gouttes car nous étions bien à l'abri toutes les fois qu'il a plu. Aujourd'hui nous repartons aux avant-postes ; pourvu que nous ayons encore le beau temps. Je me dépêche de terminer car nous sommes sur le point de rassembler pour partir. Je pense que vous [êtes] toujours en bonne santé et dans cet espoir, je t'embrasse de grand coeur avec Marie-Louise -

Ton cher H. Bougaud

J'oubliais de te dire que j'ai été avec Louis dimanche toute la journée. Il lui tarde bien aussi que cela finisse. Je l'ai encore rencontré hier et il m'a dit que la Mignonne était périe. C'est bien ennuyeux. Car si la perte d'argent n'est pas mortel, elle doit bien faire défaut dans le cas actuel à l'équipage de mon papa. Bien le bonjour et mes amitiés à tous. HB

 

3 Novembre -

 

A 10 heures départ pour les avant-postes. Nous sommes en garde à Gildwiller. Nous nous reposons l'après-midi. A 6 heures du soir nous partons faire des tranchées à 200 m des tranchées ennemies. Patrouilleurs et travailleurs, tout a opéré dans le plus grand calme. A 9 heures nous rentrons.

 

 

4 Novembre -
 A 11 heures, nous changeons de place et allons prendre un petit poste. Nous avons une véritable cabane de bûcheron pour nous abriter, espèce de cave entourée et recouverte de terre où nous pouvons faire du feu. On y souffre un peu de la fumée, mais tant pis. Dans l'après-midi quelques coups de feu sont tirés par les Boches. A minuit le brouillard se tourne en pluie mais nous sommes dans des abris et nous ne risquons rien.

 

5 Novembre -
 A 10 heures nous sommes relevés mais nous restons dans le bois jusqu'à 4 heures pour faire des abattis. Le soir nous rentrons à Falkwiller. La 24ème va continuer la tranchée en avant du bois. Nous passons la nuit dans le plus grand repos et nous savons le lendemain que nous étions en alerte. Dans la journée, il y a à noter le cas d'un capitaine d'état major qui s'est perdu dans le bois avec carte et boussole et que nous avons du remettre sur son chemin et reconduire à Gildwiller.

 

6 Novembre -
 Repos le matin. Nous apprenons que notre tranchée a été rebouchée par les Boches. Elle a été refaite et des patrouilles faites toute la nuit pour la garder. Résultat un blessé. A 10 heures nous retournons dans le bois faire des tranchées, abris et abattis; retour au même cantonnement et repos.

 

7 Novembre -
 A midi nous rentrons à travers champ en faisant une manoeuvre de repli. Nous arrivons à Traubach à la nuit. Grande victoire des Russes sur tout le front de la Galicie.

 

8 Novembre -
 Dimanche - Travaux de propreté le matin. A 11 heures, nous prenons la garde de police. Le régiment touche 300 [?]

 

9 Novembre -
 Nous restons de garde jusqu'à 11 heures. Au cours d'une altercation avec le sergent Chalin [ou Chaleil ??] chef de section le soldat Roland va porter plainte au capitaine et fait une déclaration grave contre lui. L'après-midi travaux de campagne.

 

10 Novembre -
 Travaux de campagne toute la journée. Le matin nous restons 7 témoins pour l'affaire du sergent. Le capitaine nous entend à la rentrée de l'exercice, audition d'autres témoins du sergent, confrontation : nous sortons et le sergent reste. Nous n'avons pas fini la soupe qu'on rassemble toute la section et nouvelle confrontation de la section et du sergent. Celui-ci est remis serre-fil et changé de section.

 

11 Novembre -
 Départ à 10 heures aux avant-postes. Nous sommes gardes de police à Gildwiller

 

12 Novembre -
 Grand vent et grandes pluies qui cessent au matin, mais nous n'en souffrons pas. A 11 heures nous changeons et sommes placés en garde au village du bas. Mon escouade est détachée dans le bois à côté des territoriaux qui sont en face de Burnhaupt. Il fait froid mais nous sommes dans un bon gourbi où nous passons la nuit à côté d'un bon feu, sans dormir il est vrai.

 

13 Novembre -
 A 11 heures nous rentrons à Hecken où nous sommes aux issues. On aperçoit la neige sur les Vosges à 20 km environ.

 

14 Novembre -
 Le matin nous allons faire des tranchées et nous rentrons par suite du mauvais temps. Après-midi nous retournons aux tranchées.

 

15 Novembre -
 A midi nous rentrons à Traubach. Nous assistons le matin à la messe dite dans une grange à Hecken.

 

6.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

16 novembre 1914 Obertraubach

Chère Félicie,

J'ai reçu aux avant-postes ta lettre du 8 courant et c'est toujours un bon moment pour moi de parcourir tes lignes. J'ai été bien satisfait de savoir que vos travaux sont à peu près terminés et que dorénavant vous allez pouvoir prendre un peu de ce repos que vous avez si bien mérité. C'est également avec un grand plaisir que j'ai appris que Marie-Louise est un peu plus calme et te fais moins de misère. Peut-être ses remèdes que tu lui donnes lui redonneront de l'appétit et tu auras moins de dépit de lui préparer en vain ce que tu imagines de meilleur. Heureusement qu'elle sera là cet hiver pour te tenir compagnie et grâce à elle malgré notre séparation forcée, le temps passera plus vite pour toi. De même tu auras souvent la compagnie de tante Jeanne et de l'une ou l'autre de tes soeurs, sans compter les bons moments que tu ne manqueras pas de passer dans nos deux familles chaque fois qu'il te sera possible. Ce qui est ennuyeux c'est la gène que te procure ta position, et la fatigue qui en résulte. J'espère bien que malgré notre absence, tu passeras l'hiver comme il doit être passé, c.a.d à prendre du repos. Ne négliges pas de prendre de l'aide si tu en as besoin et épargnes toi le plus possible. Songes que ce n'est pas la moisson et que si tu peux te reposer il faut en profiter. D'ici là, il y a encore bien des jours, mais en correspondant souvent nous ferons passer le temps plus vite. De plus en nous sachant dans une presque entière sécurité, tes soucis seront beaucoup moindres. Quant à ne pas rentrer pour la moisson, ne jette pas l'alarme trop tôt, et j'espère bien que nous serons à Saint-Aubin malgré la lenteur des opérations.

Quand ma lettre va t'arriver, tu seras seule probablement ; plus de Louise ni d'ouvrier. Ah! que je voudrais être là pour pouvoir te soulager et te tenir compagnie en rôdant autour de l'établi et de la chaudière. J'aurais moins à redouter le mauvais temps, bien que, comme je te l'ai déjà dit, nous avons fait de bons travaux et que nous nous sommes prémunis de notre mieux contre les intempéries. Probablement tu auras un autre domestique, je souhaite qu'il soit convenable et fasse bien son service. S'il te faut également une bonne, n'hésite pas à t'en procurer une, car si gentille que puisse être Marie-Louise, elle est pour toi d'une grande fatigue.

Tu me parles que tu dois avoir Cyrille pour battre, probablement c'est le reste et tu seras débarrassée ensuite de tout souci à ce sujet. A l'occasion tu me diras si on a fait un bon marché avec les blés que j'avais acheté et que je n'avais pas pu battre tous avant de partir. Merci également des bonnes intentions de mon parrain et fais-en part à ma marraine pour lui, car il sera reparti à l'arrivée de cette lettre. Nous sommes rentrés hier après-midi des avant-postes. Toujours favorisés, nous avons couché dans le bois le seul jour qu'il n'ait pas plu. Aujourd'hui le vent est froid et il pleut à verse, mais nous sommes au repos et peu nous importe. Nous plaignons seulement ceux qui sont dehors. Les Vosges, à une quinzaine de km sont blanches de neige. Probablement nous l'aurons bientôt aussi. On dit que nous allons changer avec le 242 ème qui va revenir aux avant-postes et on profitera que nous serons au repos pour nous vacciner contre la typhoïde. Hier, nous avons assisté à la messe dite par un prêtre qui est dans mon escouade, dans une grange, car il n'y avait pas d'église au pays. Le soir, il est arrivé un certain renfort du dépôt et parmi eux Henri Bachut. J'ai vu également le petit Routhier qui est revenu au 235ème et qui m'a donné quelques nouvelles de Saint-Aubin. Henri Bachut m'a dit qu'il était question de reverser dans l'armée les infirmiers des hôpitaux comme Raymond et Pierre. Je ne sais pas si c'est vrai. Il m'a dit qu'Honoré était toujours à Dole. Tant mieux, car plus longtemps Clotilde le retiendra, mieux cela vaudra pour lui. Les bons soins et les précautions ne sont jamais de trop dans des cas semblables.

Je termine en te faisant mon interprète auprès de tous tes parents. Dis leur bien de bonnes choses de ma part et remercie les bien de tous les services que les nécessités actuelles leur ont fait me rendre. Pour toi, je te recommande la plus grande prudence et je t'embrasse de tout coeur. Dépose un gros baiser pour moi sur le front de Marie-Louise. Ton mari qui t'aime bien. H. Bougaud

 

16 Novembre -

 Travaux de propreté. Il pleut toute la journée. Vent très froid.

 

 

17 Novembre -
 Toute la journée nous avons été employés à changer deux pièces de 155 long.

 

18 Novembre -
 Travaux de campagne. L'après-midi, nous allons encore déposer pour l'affaire du sergent. Il gèle à pierre fendre

 

19 Novembre -
 Départ à 10 heures aux avant-postes, nous sommes dans le bois cote 224 bis. Par suite du froid nous tirons heure par heure. Dans la nuit le feu prend dans l'abri d'un petit poste détaché de notre poste. Résultat : 4 sacs brûlés et un fusil. Rien d'autre à signaler sinon qu'il fait très froid.

 

20 Novembre -
 Nous rentrons en grand-garde à Gildwiller-du-Haut. Une section va faire une tranchée devant l'ennemi et nous sommes équipés en cas d'alerte. Bise moins forte mais très froide.

 

21 Novembre -
 A 10 heures le 242 nous remplace et nous partons en repos à Lutran et Valdieu en passant par les Traubach, Woifersdorf.

 

22 Novembre -
 Dimanche - Repos - Froid toujours vif.

 

23 Novembre -
 travaux de propreté.

 

24 Novembre -
 Vaccinations contre la typhoïde. L'après-midi la plupart en sont indisposés. Dans la nuit j'ai une grande fièvre.

 

25 Novembre -
 Il neige. Nous passons notre journée auprès d'un bon feu à jouer aux cartes, histoire de nous guérir.

 

26 Novembre -
 Le matin toute ma section est convoquée pour être entendue par le Colonel à propos du sergent Chaleil [ou Chalin ?]. L'après-midi ½ heure d'exercice.

 

27 Novembre -
 A 7 heures départ pour Traubach-le-Haut où nous allons remplacer le 242 qui change de division et va à Soppe-le-Bas et Lachapelle remplacer des chasseurs qui partent dans le Nord.

 

28 Novembre -
 Travaux d'installation du cantonnement. Une prise de service compte à tort pour notre tour.

 

29 Novembre -
 Dimanche - Repos

 

30 Novembre -
 Nous allons aux travaux de campagne toute la journée, après des emplacements de batterie lourde. Le bataillon territorial monte aux avant-postes.

 

1er Décembre -
 Canonnades toute la matinée avec les batteries installées aux avant-postes. A 9 heures revaccinations contre la typhoïde.

 

2 Décembre -
 Dès le matin, il passe dans la direction de Gildwiller, de l'artillerie et un bataillon du 49ème territorial. On va attaquer Ammerzwiller. Quoique vaccinés, nous devons nous tenir près à partir à 9 heures 30. La soupe est mangée à 9 heures. Je reçois deux lettres m'annonçant la mort de l'oncle Fanfan Mougeot et la mission de l'apprendre à Louis. Alfred arrive aussi du 371 et affecté à mon escouade. Nous allons tous deux trouver Louis et je lui laisse entrevoir la maladie grave de son père. Pendant que nous causons, alerte. En hâte nous regagnons notre cantonnement et le 6ème bataillon part. Déjà sur la ligne de feu sont un bataillon du 56ème, un du 4ème et le 5ème bataillon du 260. Le 235 est engagé à côté. Dès 9 heures, grosse artillerie et 75 crachent sans cesse. A proximité de Falkwiller, nous prenons la formation en échiquier et restons en réserve jusqu'à la nuit. A la nuit les 21 et 22èmes Cies sont portées jusqu'à Gildwiller, les 23 et 24 restent à Hecken et Falkwiller. Nous attendons. Le canon s'apaise à la nuit mais la fusillade est vive et les mitrailleuses crachent sans trève. Les blessés arrivent et sont immédiatement embarqués à Dannemarie. Il en meurt deux au poste de secours. A 10 heures ½, nous rentrons au cantonnement d'alerte à Falkwiller. La fusillade se calme un peu. Puis le 5ème bataillon se replie, le 56ème reste aux avant-postes et l'affaire se termine. Résultat nul. 17 morts et 48 blessés au 260. Occupation de Pont-d'Aspach et Burhaupt.

 

3 Décembre -
 Nous restons à Falkwiller jusqu'à midi. Nous rentrons à Traubach ensuite.

 

4 Décembre -
 A 10 heures départ pour les avant-postes, la Cie est à Hecken. Nous sommes aux issues.

 

5 Décembre -
 Nous restons encore à Hecken. Garde aux issues au moulin. Le soir, nous écrivons puis en sortant nous entendons une fusillade nourrie aux avant-postes. La Cie part en renfort, ma section reste un peu puis nous partons à notre tour. Nous restons au pont entre Hecken et Gildwiller jusqu'à ce que le 56ème territorial vienne nous remplacer. Puis nous montons à Gildwiller et restons en réserve. La fusillade se calme à 11 heures. A 11 h ½ nous redescendons à Gildwiller en cantonnement d'alerte où nous couchons.

 

6 Décembre -
 Dimanche - A 11 heures nous montons à Gildwiller (église) nous allons travailler dans un abri. Nuit calme.

 

7 Décembre -
 Le matin travaux de campagne. A 11 heures nous partons en petits postes. Le soir les Allemands font marcher les projecteurs. La nuit se passe tranquille.

 

8 Décembre -
 A 11 heures nous sommes relevés et rentrons à Traubach. La 23 et 24ème restent à Hecken et Guevenatten.

 

9 Décembre -
 repos le matin. A 11 heures nous partons à Guevenatten prendre la garde de police.

 

10 Décembre -
 Nous redescendons à Traubach à midi. Le canon tonne du côté de Burnhaupt et nous sommes en alerte jusqu'à 4 heures.

 

11 Décembre -
 Travaux de campagne toute la journée. Des sections du 260 passent au 56ème territorial et réciproquement des territoriaux sont encadrés.

 

12 Décembre -
 Travaux de campagne

 

13 Décembre -
 Dimanche - Dès le matin nous nous proposons de passer une bonne journée. Puis l'on doit aller aux douches et contre-ordre arrive et nous sommes en alerte, prêt à partir à 8 h 45. Le canon tonne tout autour de nous. A 11 heures environ, nous partons. A peine sortis de Traubach nous prenons la disposition de marche sous le feu de l'artillerie. Nous rencontrons deux chevaux blessés du génie. C'est le ballon qui s'est trop aventuré en allant jusqu'à Hecken et a dû revenir à mi-chemin entre Guevenatten et Traubach où nous le rejoignons. Un aéroplane passe et nous lui envoyons une bordée qui lui fait poursuivre son chemin. Nous apprenons que les marmites ont détruit un avant-train d'un 120 long et blessé 2 artilleurs. Ces canons sont ramenés vers le ballon et nous changeons de place pour nous mettre derrière une crête boisée à droite de la route où nous restons jusqu'au soir. 2 marmites éclatent à la cote 305 à 200 m en avant de nous. A 4 heures nous rentrons à Traubach et sommes désalertés.

 

14 Décembre -
 Nous sommes dès notre entrée garde aux issues. La pluie commence vers minuit et dure presque toute la journée. A 8 heures nous sommes à nouveau en alerte jusqu'à 10 heures. A midi, garde de police.

 

15 Décembre -
 Garde police le matin - travaux de campagne l'après-midi.

 

16 Décembre -
 A 10 heures nous partons aux avant-postes. Nous sommes en réserve à Guevenatten. L'après-midi travaux de campagne.

 

17 Décembre -
 Le matin nous allons aux travaux de campagne à 224 bis. Je fais des réseaux de fil de fer à la lisière du bois, en pleine vue. On voit très bien les Boches sur leurs tranchées. Ils travaillent et doivent trouver qu'il ne fait pas bon dans les tranchées. Repos l'après-midi.

 

18 Décembre -
 Repos le matin. A midi nous allons en petits postes à 224 bis. Dans la nuit il pleut par moment. Heureusement que nous avons nos couvre-pieds. Les Allemands ne sont pas tranquilles car toute la nuit leurs projecteurs nous inondent de lumière. Ils lancent aussi des bombes éclairantes. Malgré cela le génie pose des réseaux de fil de fer à 50 m en avant de la lisière protégé en avant par une patrouille de 4 hommes.

 

19 Décembre -
 Dès le matin le génie est salué par une dizaine de coups de fusil et les balles sifflent à nos oreilles pendant que nous buvons le café. Ce n'est pas le moment de se faire voir car les Boches tirent sur tout ce qu'ils voient. A midi, comme la veille, ils lancent des bombes sur nos avant-postes. A midi nous sommes relevés et travaux de campagne l'après-midi. Il n'y fait pas bon dans le bois : boue épouvantable.

 

20 Décembre -
 Dimanche - Travaux de campagne le matin. Repos forcé l'après-midi parce qu'il pleut. Nous allons cantonner à Hecken.

 

le 19 à midi toutes les cloches d'Alsace si loin qu'on a pu les entendre ont sonné à toute volée. J'ignore à quelle occasion.

 

21 Décembre -
 Le matin travaux de campagne. L'après-midi travaux de propreté.

 

22 Décembre -
 Travaux de campagne le matin et l'après-midi.

 

23 Décembre -
 Travaux de campagne aux avant-postes. Nous mangeons sur le terrain.

 

24 Décembre -
 Nous quittons Hecken à 8 heures pour rentrer à Traubach. Nous nous arrêtons en route pour faire des réseaux de fil de fer. Nous mangeons sur le terrain.

 

7.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Traubach-le-Haut le 25 décembre 1914

Ma bien chérie

Je profite d'un instant que j'ai eu ce jour de Noël, qui est fête pourtant, mais que nous avons passée tout entière en travail, au son du canon. Il n'y a guère de fête que nous passions sans alerte et cela ne nous a pas surpris ; je le prévoyais déjà dans ma dernière carte - et au moment où je t'écris, alors que nous sommes rentrés et qu'il est six heures du soir, et que tout est rentré dans le calme, nous sommes encore tous équipés prêts à repartir. Je réponds à tes deux lettres du 16 et du 20 et à ta carte du 17, et comme j'ai à écrire beaucoup en ces temps, à Marie-Louise, Marguerite, Honoré, Madeleine, Octave, Pierre, chez nous et chez vous, qui m'ont tous écrit et que je ne réponds pas d'avoir beaucoup de moments ces temps ci que l'offensive marche sur tout le front de Thann, à 10 km de nous jusqu'à la mer du Nord, je ne te promets pas de t'écrire avant huit jours. Si je le peux je le ferai, mais tu ne t'en étonneras pas.

Quand j'ai reçu ta carte m'annonçant les premiers pas de Marie-Louise, j'ai vu que tu étais contente autant que moi de l'événement. Dorénavant, elle ne fera que faire des progrès qui ne peuvent être qu'à ton avantage. A présent, c'est sa petite intelligence qui va se développer et puisque je ne puis assister à son développement, il faut en prendre son parti. A mon retour je n'aurai que plus de plaisir à la trouver bien grande, bien gentille et bien aimante.

Aujourd'hui jour de Noël, malgré nos alertes, nous avons été plus heureux que vous comme service religieux. Nous avons eu messe de minuit et ce matin, par nécessité, je n'ai pu assister qu'à la messe basse. Le paquet que vous nous avez expédié nous est arrivé sans encombre, un peu écrasé mais sans dégât, le 24, par conséquent juste à point et c'est avec plaisir que nous en avons goûté le contenu. Quelque chose de Saint-Aubin fait sûrement bien plaisir mais quand on y trouve un peu du coeur de ceux qu'on aime, c'est encore autre chose et de tout mon coeur je te remercie. Louis, n'étant pas avec nous ces quatre jours, j'ai beaucoup regretté qu'on n'ait pu faire le réveillon ensemble, mais j'espère bien qu'il en restera encore un peu pour qu'il en goûte quand nous pourrons le revoir. A la messe de minuit, un soldat a chanté "minuit chrétiens" pendant l'offertoire. De longtemps les voûtes alsaciennes n'avaient retenti d'un semblable cantique et involontairement j'ai associé aux événements du jour la fin du 3ème couplet: " Peuple à genoux, attends ta délivrance, Noël, Noël, voici le rédempteur" Peut-être, l'effort actuel mettra hors de France tous les Allemands, ce serait déjà un grand pas vers la paix.

J'ai bien pensé à toi en cette journée et bien prié pour que la guerre finisse bientôt, pour que tu te maintiennes en bonne santé jusqu'au moment où j'aurais tant aimé être près de toi, et pour que nous puissions bientôt tous être réunis.

Cette lettre ne t'arrivera probablement guère avant le nouvel an et j'en profiterai pour te faire part des meilleurs souhaits que je forme pour toi. Le temps n'est pas à la joie comme les autres années et le 1er janvier 1915 sera beaucoup plus triste que d'habitude. Néanmoins, souhaitons ensemble que cette vilaine guerre ne dure pas trop longtemps et plaise à Dieu qu'il veuille bien nous ramener sains et saufs au milieu de vous. Qu'il veuille vous conserver à tous la santé au milieu de tous vos soucis et de toutes vos fatigues. A toi particulièrement je te souhaite et t'exhorte à être courageuse et forte jusqu'à l'épreuve qu'il te faut subir. Je prie Dieu ardemment qu'il te soutienne en ces moments toujours pénibles. Pour ma part je ne fais pas de choix, je saurai me contenter et l'essentiel sera pour moi de savoir que tout s'est passé pour le mieux. Que Marie-Louise soit bien gentille pour toi et qu'elle ne fasse que grandir en intelligence et en forces. Malgré les absences nombreuses, passez cette fête de famille de votre mieux, sans trop d'arrière-pensées. Ce jour-là, je serai de tout coeur avec tous ceux qui, à Saint-Aubin, pensent à nous. D'après mes prévisions, je serai aux avant-postes et ce sera mon jour d'être en sentinelle face aux Boches. Si je peux en voir un, j'aurai bien de la peine de ne pas lui envoyer une dragée pour ses étrennes.

Tu me demandais dernièrement si je n'avais pas besoin d'argent. Eh bien quand tu recevras ma lettre j'aurai encore un peu plus de 20 francs. Attends donc encore quelque temps avant de m'en envoyer d'autres. Je n'ai pas besoin d'en avoir tant à l'avance et quand tu m'en enverras le plus simple est de mettre l'argent en billets dans une lettre recommandée. Ici d'abord les mandats sont payés en billet et cela revient au même.

Je regrette comme vous que la réquisition n'ait pas ramassé la Marmotte. Mais si l'offensive qui se pousse activement maintenant réussit, il y aura sûrement encore d'autres réquisitions et peut-être sera-t-elle prise. Elle serait mieux payée, mais si vous jugez utile de la débarrasser et que vous en trouviez l'occasion, vous feriez peut-être bien de le faire. Le plus ennuyeux serait de la remplacer, mais vous pourriez peut-être trouver une pouliche d'un an plus facile à trouver qu'un cheval fait, quitte à la dresser l'an prochain. Mais je sais bien que vous faites pour le mieux et je vous laisse là-dessus entière liberté.

Espérons également que malgré le prochain recensement de la classe 1916, il n'y aura peut-être pas lieu de l'appeler et que si Louis-Joseph est convoqué ce ne sera pas pour bien longtemps. Tu le vois, j'ai bon espoir, Dieu veuille que je ne sois pas trompé. Alfred se joint à moi pour t'envoyer ses meilleurs souhaits à l'occasion de la nouvelle année.

Je termine, chère Félicie, en t'embrassant de grand coeur et te charge d'embrasser bien fort Marie-Louise pour moi. Ton aimé.H.B..

 

25 Décembre -

 Nous avons permission d'assister à la messe de minuit mais nous devons prévenir les chefs de sections. On est averti que, en raison de Noël, les travaux de campagne ne commenceront qu'à 8 h ¼. Messe basse par conséquent. Puis contre-ordre et la soupe doit être mangée à 10 heures. A 11 heures alerte et une violente canonnade jusqu'à la nuit. Nous allons aux travaux de campagne prêts à marcher de l'avant en cas de besoin. Nous rentrons le soir à Traubach mais nous restons en alerte, jusqu'à 6 heures.

 

 

26 Décembre -
 Réveil en alerte à 6 heures. Nous touchons des outils et repartons aux travaux de campagne comme hier. Soupe sur le terrain. L'après-midi nous sommes en position d'attente. L'artillerie tonne toute la journée. L'après-midi bombardement d'Ammerzwiller. On voit brûler une maison on ne sait pas le résultat. Rentrée à Traubach à 5 heures. Désalerte à 6 heures.

 

27 Décembre -
 Dimanche - Hier soir à 9 h ½ les Boches envoient quelques marmites. Résultat : alerte. Nous nous levons, formons les faisceaux puis le Colonel nous fait rentrer et coucher équipés. La nuit se passe sans aucun incident. Le matin même chose qu'hier. La canonnade est très vive du côté de Thann.

 

28 Décembre -
 Il pleut toute la journée nous partons aux avant-postes et sommes à Gildwiller-Village. Le canon tonne, moins fort sans doute à cause du brouillard.

 

29 Décembre -
 travaux de campagne toute la journée. Le soir à 3 heures nous voyons bombarder Ammerzwiller d'une dizaine d'obus de 120. A 5 heures réponse des Boches. 4 ou 5 marmites sur 7 ou 8 n'éclatent pas.

 

8.- PG=>H [Pierre Gagnoux]

Carte postale: JOFFRE et de CASTELNAU, adressée à : Monsieur Bougaud Hippolyte, soldat 22ème Cie 6ème bataillon 260ème régiment d'infanterie par le dépôt commun du 60 et 260 à Besançon

Cachet de l'Hôpital Auxiliaire de Besançon (Société de secours aux blessés militaires)

St Aubin 30-12-14 Service Militaire

Cher beau-frère

Je suis à St Aubin pour 5 jours. Hier soir nous sommes allés veiller chez toi. Ma visite a fait plaisir à Félicie et ta petite Marie-Louise a fait une bonne partie avec mon Pierre ils se couraient après et il est venu un moment où ils se sont battus et naturellement les pleurs sont venus puis le sommeil. J'ai réglé ce petit compte avec Félicie puis nous avons mangé les châtaignes et trinqué à ta santé en compagnie d'Arsène. Les voeux que je forme cette année sont la santé et notre prompt retour. La Sophie est périe et je reste avec sa pouliche de 2 ans pour travailler juge..(illisible) En attendant de tes nouvelles Je t'embrasse ton beau-frère Pierre

 

 

30 Décembre -

 Travaux de campagne le matin. A midi nous prenons la garde de police à Gildwiller-Eglise. Le soir en faction je vois des lueurs d'incendie vers Cernay.

 

 

31 Décembre -
 A midi nous partons en petits postes à la cote 332. Le soir nous sommes prévenus que d'après renseignements secrets nous devons être attaqués. On nous distribue 50 cartouches en prévision et on recommande la vigilance aux sentinelles. Je suis en patrouille de 9 à 11. A 11 heures les cloches d'Ammerzwiller et de Bernwiller sonnent, les Boches lancent des fusées éclairantes et chantent en choeur pour le nouvel An. Ils ont travaillé jusqu'à 11 heures sans se gêner de faire du bruit. Après les sonneries, une quinzaine de coups de feu. Je crois que cela va déclencher. Mais c'est toute l'attaque, la nuit passe tranquille. Incendie vers Cernay.

 


 

1915

1915

 

1er Janvier 1915 -
Le canon bombarde Ammerzwiller. Les Boches répondent et envoient 3 marmites sur notre poste. Nos 155 donnent et on ne les entend plus. A midi nous sommes relevés et rentrons à Hecken.

 

2 Janvier 1915 -
A 8 h ½ la soupe doit être mangée et nous attendons jusqu'à midi. L'après-midi travaux de campagne.

 

3 Janvier -
Dimanche - Nous allons travailler aux avant-postes et nous mangeons la soupe sur le terrain. La 21 et la 24ème travaillent à des travaux

 

4 Janvier -
Travaux de propreté le matin. L'après-midi, travaux de campagne à des fils de fer le long du ruisseau. Il vient 3 marmites sur le moulin et à gauche de la route. Notre artillerie à vite fait de faire taire les batteries ennemies.

 

5 Janvier -
Il pleut toute la nuit. Le matin nous allons cueillir des gaulettes. A midi rentrée à Traubach. Travaux de propreté l'après-midi suite au mauvais temps

 

9.-Alfred=>F

Carte postale :

Les portails de la Cathédrale de Reims après le bombardement

adressée à Mme Bougaud Mougeot à Saint-Aubin Jura

Traubach 6 Janvier 1915

Chère Félicie

Nous descendons des avant-postes où nous avons fini 1914. Nous avons bien pensé à vous en cette nuit, ce jour de l'an car nous l'avons passée dans un gourbi. Je te dirai qu'avec Bougaud le temps passe plus vite et nous n'avons pas à nous plaindre du genre d'avant-postes du 260 ; bien des régiments voisins ne sont pas aussi bien favorisés. Je vois que Marie-Louise devient grande, cela fait bien plaisir à savoir toutes ces bonnes nouvelles. Ne te fais pas du mauvais sang pour nous car jusqu'à présent tout va bien.

A l'occasion de la nouvelle année reçois les meilleurs voeux que je forme pour toi et ta petite famille. Chère Félicie, embrasse bien ma petite nièce pour moi. Avec l'aide de Dieu espérons que tout finira bien, aie bon courage.

Alfred Bougaud

 

 

 

 

 

6 Janvier -

Douches le matin - Travaux de campagne de 11 à 3 h ½. Le canon tonne toujours vers Cernay.

 

10.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Traubach, le 7 janvier 1915

Bien chère Félicie

Je profite d'un après-midi que nous avons de libre et que je suis bien installé dans une chambre (il est vrai que nous avons pris cette habitude quand nous arrivons dans un cantonnement de nous attribuer une chambre) pour venir converser un moment avec toi. Je suis d'ailleurs si heureux lorsque je peux venir te donner de mes nouvelles car je sais que mes lettres te tiennent compagnie dans ta solitude et chaque fois que je peux t'écrire je le fais. Je vois d'après ta lettre qu'il fait aussi mauvais temps à St Aubin qu'ici et que cela te cause bien du souci à notre sujet. Or pour nous, il n'y a à craindre la pluie que les jours où nous sommes aux avant-postes. A part cela il n'y a pas à se soucier de nous, car notre situation n'est toujours pas plus pénible que ceux qui vont par exemple, tout l'hiver couper l'osier. Et quand il pleut un peu trop, cela nous vaut des travaux de propreté (que nous appelons repos) et alors on en profite pour se racommoder et surtout pour... vous écrire. Quand à patauger dans la boue, on n'en est pas chiche et assurément nous aimerions mieux un froid sec. Mais lorsqu'il ne veut pas venir, que veux-tu qu'on fasse ; il n'y a qu'à en prendre son parti. Comme toujours nous avons été favorisés du plus beau temps le 31 décembre et 1er janvier que nous étions aux avant-postes, le 1er janvier surtout valait la plus belle journée de printemps. Les veilles c'était la pluie battante et c'a repris le lendemain. Depuis ce n'est que pluie et grand vent, mais je pense bien que nous aurons le beau temps les premiers jours de la semaine. Il t'est facile de savoir quels jours nous sommes dehors ; tu n'as qu'à compter 12 jours en partant du 31 décembre à midi au 1er janvier à midi, soit du 12 ou 13, du 24 au 25 ainsi de suite tant qu'il n'y aura rien de changé dans notre situation.

Je t'envoie une demande que j'adresse pour avoir une allocation journalière. Chez nous voudraient que je puisse l'obtenir, Marie-Louise m'écrit que j'y ai droit, qu'il y a des cas semblables nombreux à La Loye. Marguerite me conseille de demander et je sais qu'Henriette Caty, la femme de France Pouget la touchent. Aussi je vais hasarder le coup, advienne que voudra. Seulement je t'adresse la lettre pour que tu la voies et ça te fera une sortie pour la porter à mon papa que je charge de la présenter à Morand. Tu le feras le plus tôt possible pour que je soies bientôt fixé. Si ça ne réussit pas, je m'adresserai plus haut ; la correspondance ne coûte rien et il n'est pas impossible que je réussisse.

Je t'annonçais dernièrement la reprise de l'offensive française. Mais je crois bien, à voir les communiqués, qu'il n'y a pas grand changement dans le front et que le plus fort de l'attaque s'est prononcé autour de Thann, à côté de nous. Si cela continue, nous en avons pour longtemps. Il faut croire que les coquins étaient bien prêts et qu'ils tiennent bon. Quoiqu'il en soit, nous sommes loin de l'enthousiasme qu'avaient la plupart en partant de Besançon.

Je t'ai écrit l'autre jour pour te donner mon avis sur les noms à donner à notre futur bébé, mais je ne veux pas obliger ta volonté et tu feras comme tu l'entends si mon goût n'est pas le tien. Je pense que tu auras encore le temps de m'écrire à ce sujet et nous nous entendrons bien. En attendant l'heureux événement, bon courage et n'oublie pas que plus il approche, plus je pense à toi.

Tous trois nous sommes en excellente santé. Je pense que vous prenez de votre côté toutes les précautions pour vous y conserver, surtout pour Marie-Louise qui ne va pas manquer maintenant qu'elle marche de te jouer plus d'un tour à sa façon. Elle doit vraiment être bien amusante.

Tu me demandes de te renseigner sur nos opérations. Malgré l'agitation qui se fait en Alsace, nous n'avons que la canonnade française, mais pas d'action d'infanterie, mais il paraît que la lutte a été très chaude à côté de Thann, à Steinbach et à Cernay que nous aurions pris, le premier en entier et Cernay que les Français arrachent maison par maison. De ce côté, pendant au moins dix jours, à part quelques rares intervalles, c'est une canonnade intermittente et je suis sûr que c'est un véritable enfer d'être là-bas. De ces deux pays, il ne resterait presque rien.

Tu ne m'as jamais parlé si vous aviez récolté du trèfle de graine, car il va bientôt falloir penser où il faudra en semer. Je t'en reparlerai. Question d'argent, Louis me dit que Marguerite lui envoie 5 francs à la fois sans recommander la lettre. Tu feras comme tu voudras, les lettres nous arrivant toutes. Je t'embrasse de grand coeur et te charge de la commission envers Marie-Louise. Ton cher H. Bougaud

 

7 Janvier -

Toujours mauvais temps. Travaux de campagne le matin. Travaux de propreté l'après-midi.

 


 

 

8 Janvier -
Alerte à 6 h ½. Départ à 7 heures et nous sommes position d'attente derrière Hecken. Nous avons un repas froid à 3 heures le bataillon part du côté de Diefmatten et attend encore sur la route de Burnhaupt, 3 batteries ouvrant un feu nourri sur Burnhaupt-le-Bas. A la nuit nous formons le cantonnement à Diefmatten pour repartir après une demie heure dans la direction de Soppe-le-Bas. En route nous rencontrons un bataillon du 172 qui a battu à Burnhaupt et a subi de grosses pertes. Le canon gronde toujours. Puis l'ordre de rentrer à nos cantonnements arrive et nous rentrons à 10 h ½. Burnhaupt brûle comme la veille, mais est toujours aux mains des Boches qui l'avaient perdu hier et l'ont repris aujourd'hui.

 

9 Janvier -
Départ à 9 heures pour les avant-postes. Nous sommes en réserve à Guevenatten. Repos.

 

10 Janvier -
Dimanche - Repos le matin. Travaux aux avant-postes l'après-midi. Nous voyons les dégats que les obus ont fait à l'église et aux maisons de Gildwiller.

 

11 Janvier -
Travaux de propreté le matin. A midi nous allons dans le bois travailler et coucher dans les abris Rossignot.

 

12 Janvier -
A midi relève des petits postes. Mon escouade est en liaison avec le 235. Les Boches manoeuvrent toujours des projecteurs et des fusées.

 

13 Janvier -
Nous sommes relevés à 11 heures et nous redescendons à Guevenatten. Les territoriaux du 56 sont retirés de nos compagnies et le régiment reformé comme au début.

 

14 Janvier -
Travaux de propreté. Nous sommes aux issues à midi. Le soir on voit les fusées et projecteurs boches

 

11.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte postale EOK Paris, représentant un enfant, mains jointes et tenant un crucifix, avec la légende : la prière d'enfant monte droit aux cieux

Le 15 janvier 1915

Ma chère Félicie,

J'attendais hier une lettre de toi, mais elle n'est pas venue. Nos lettres ne viennent pas si régulièrement qu'à notre ancienne adresse et je t'envoies cette carte pour que tu ne perdes pas patience. Ici nous sommes toujours dans la même situation, toujours le mauvais temps et la même tranquillité. De ce côté nous sommes même plus tranquilles puisque tout est rentré dans le calme absolu après les violentes canonnades de ces temps derniers. Nous ne nous en plaignons pas parce que plus cette situation dure, plus nous nous approchons de la paix et plus nous avons de chances d'y arriver. On parle beaucoup en ce moment d'une intervention contre l'Autriche de l'Italie et de la Roumanie. Si cette éventualité se produisait assurément la situation changerait et l'on ne peut que souhaiter que cela arrive pour que la paix arrive plus vite. Si cela ne se produit pas on prévoit que la guerre sera longue et ne se finira peut-être pas par les armes car il est difficile d'avancer d'un côté comme de l'autre tellement les deux côtés sont bien fortifiés. La santé ici est bonne, je pense que toi, Marie-Louise également êtes bien portantes.La marraine m'a ---- étrennes, remercie la pour moi en attendant que je leur écrive, d'ici peu.

Il va vous être difficile, je crois, de vous procurer du bois. Tu pourras faire fabriquer l'orme qui est dans la cour, on ne peut pas tirer grand chose autre que du bois de feu. Si tu en achètes de l'autre, tâches possible d'en faire avoir du même que l'an dernier. Il est aussi bon et bien meilleur marché (--- le, cousins, etc... ).Au revoir chère Félicie. Bon courage et mes baisers les plus affectueux. Ton cher HBougaud

 

 

 

 

15 Janvier -

Nous restons aux issues jusqu'à midi. Repos l'après-midi. Il pleut beaucoup dans la nuit

 

  

16 Janvier -
Il pleut. Repos toute la journée.

 

17 Janvier -
Repos. A midi nous allons à Guevenatten.

 

18 Janvier -
Travaux de campagne. Repos l'après-midi. Il a neigé la nuit et l'après-midi la gelée fond. Le canon tonne vers Thann.

 

19 Janvier -
Repos le matin. Travaux de campagne l'après-midi. Dès le grand matin et toute la journée canonnade vers Thann comme on n'a encore jamais entendu. La gelée continue.

 

20 Janvier -
Travaux de campagne toute la journée. A 10 heures la canonnade reprend vers Thann et l'on voit des fumées d'incendie. Le ciel est très beau et les aéroplanes en profitent. On en voit une vingtaine dans l'après-midi. On voit les Boches leur tirer dessus.

 

21 Janvier -
A midi nous partons de Guevenatten à Gildwiller-Village où mon escouade est garde de police. Le matin grand verglas.

  

12.- JV=>Hip+Alf

[Lettre de Jules Vernotte

= gendre de Joseph Bougaud, mari de la Séraphine Bougaud

= père de Maurice Vernotte appelé "Potisse"

lettre à la famille]

Jeudi 22 Janvier 1915

Bien chers cousins et amis

Je viens par la présente un peu m'entretenir avec vous pour vous dire ce que je fais et même temps savoir ce que vous faites. Vous savez sans doute que j'ai fait un séjour à l'hôpital pour des rhumatismes qui m'ont tenu pat tout le corps et dont j'ai beaucoup souffert. J'y suis resté trois mois et je suis rentré à ma batterie il y a quinze jours. Ça va bien maintenant malgré que je ressens encore quelques tiraillements dans les jambes et les reins, mais je ne fais rien du tout. Le major m'a dit de me tenir au chaud et c'est tout.

Et vous, mes chers cousins, que faites vous ? Combien de fois je me suis fais cette question. Au moins vous, vous servez à quelque chose. Vous faites réellement la guerre. Vous faites de la belle et bonne besogne. En un mot vous défendez la France. Tandis que moi, à quoi suis-je bon, à rien, sinon de servir d'embarras. Je croyais en sortant de l'hôpital aller passer ma petite convalescence chez nous, mais ici, il n'y a de permission pour personne, ni petite ni grande. Nous avions espéré d'après les journaux que tu as dû voir comme nous que les classes 87 et 88 devaient être libérées immédiatement. Mais il n'en n'est rien du tout. Je ne sais pas, si ça ne finit pas bientôt, ce qu'on va devenir. Plus personne pour travailler, pour faire les semences pourtant si on ne peut semer, on ne récoltera rien, et pour vivre, il faut du pain, il ne faut pas que des fusils. Pour défendre le pays, il faut aussi le nourrir. Ah maudite soit cette calamité, cette hécatombe de vies humaines et toutes ces misères et ces ruines qu'on appelle la guerre. Mais enfin, mes chers cousins, espérons que Dieu mettra un terme à tout ce bouleversement et qu'il nous donnera la victoire et la paix et non pas une paix boiteuse, mais une paix pour toujours reposant sur le droit, la justice et l'humanité, et puissions nous rentrer tous et bientôt dans nos chers foyers et nous retrouver tous en bonne santé et encore une fois, chers cousins, que Dieu nous garde et nous ramène dans nos familles et bientôt. Dites moi si Louis Mougeot est avec vous aussi. Vous devez être heureux d'être ensemble. En attendant de vos bonnes nouvelles, je vous embrasse de tout coeur, votre cousin qui pense à vous souvent.

J. Vernotte

8° Artillerie, 40 batterie territoriale de dépôt Epinal Vosges.

Vous donnerez le bonjour à vos bons parents et à toute ma famille. Vous me donnerez aussi quelques détails sur ce que vous faites et votre opinion sur la durée de la guerre.

 

 

22 Janvier -

Garde de police jusqu'à midi. L'après-midi travaux de campagne à la défense du village.

 

 

23 Janvier -
Repos le matin. A 11 heures nous allons en petits postes, poste 4. Violente canonnade du côté de Thann jusqu'à 8 heures du soir. De minuit à 1 heure on entend le canon et la fusillade d'une contre-attaque ennemie.

 

24 Janvier -
Relevés à midi nous rentrons à Gildwiller-Village. Brouillard et bise froide un peu de neige. Dégel l'après-midi.

 

25 Janvier -
Repos le matin, l'après-midi nous partons au poste de renfort de Kébacker [= Berbacker ??]. Nos canons d'Hecken tirent sur Burnhaupt-le-Bas.

 

26 Janvier -
Canonnade le matin. Je vais vers les observateurs d'artillerie. Ils se plaignent des projectiles qui ne vont pas à leur idée ou n'éclatent pas. Une batterie boche ouvre le feu sur la lisière et le poste 5. Un territorial est blessé. La nuit, il a neigé et il y en a une couche de 5 cm. A midi nous allons ramasser des éclats d'obus et au moment de la relève, la batterie ennemie recommence et nous tire dessus. Les obus nous dépassent de 50 mètres et ne nous touchent pas. Je ne les avais encore pas entendu de si près. Nous restons l'après-midi en repos à Gildwiller-Village où 7 marmites ont éclaté le matin. Hier une marmite a tué un soldat de la 24ème à Hecken. On s'attend pour demain à une attaque pour la fête de l'empereur.

 

27 Janvier -
Réveil en alerte pour partir à 5 h ½. On nous distribue 80 cartouches, des paquets de fils de fer, des sacs de terre. On n'a pas bonne idée de la journée. Nous partons du côté du poste 5. La neige couvre la terre d'une couche de 10 cm. A 7 h ½ l'attaque doit commencer. La 260 doit attaquer Ammerzwiller, le 5ème bataillon par 224 de l'église au côté droit; le 6ème bataillon par 224 de l'église au côté gauche, la 114ème brigade appuie notre mouvement à gauche et attaque face à Bernwiller. Le soir les avant-postes doivent être portés à Ammerzwiller et Bernwiller, mais avec ce temps personne n'y croit. La 23 et 24 doivent aller en avant jusqu'à la route d'Ammerzwiller - Burnhaupt. Là, la 21 et 22ème doivent passer devant et attaquer le fil de fer et les tranchées. A 7 h ½ l'artillerie commence de tout côté et arrose les tranchées. L'infanterie débouche du bois. Nous sortons presque tous en même temps. La 23 et 24 se postent en avant assez facilement. (L'ennemi a dû être surpris) et arrivent à la route sans trop de perte, sans avoir subi le feu de l'artillerie allemande. La 21 et 22 sont à 200 m du bois quant la 1ère marmite arrive. Alors elles commencent à tomber sans arrêt, un peu long d'abord puis le tir se précise et elles tombent dans nos lignes. La 22ème Cie est déployée à droite dans un pré et subit des pertes surtout des mitrailleuses et du fusil, n'ayant aucun abri. Ma section a la chance de passer dans des champs en travers offrant des tranchées naturelles contre les balles. Bientôt nous sommes mélangés dans la 21ème et nous perdons de vue nos chefs. Les marmites tombent et une éclate à 10 m de moi à peine. Alfred qui est à côté de moi reste un peu en arrière et nous voilà séparés. Mon souci est d'arriver le plus tôt possible au pont et au talus de la route. Les balles sifflent au moindre mouvement. Un instant, je tombe dans un chemin en long n'offrant aucun abri. Je le descends en plusieurs bonds et j'arrive à un petit chemin creux en biais. Je m'y crois garanti mais il est battu en enfilade et à peine arrivé une dizaine de balles sifflent à mes oreilles. Je me rejette dans les champs à gauche et en 4 ou 5 bonds de 30 m, je puis arriver à la route. Je suis en sûreté. Là sont plusieurs blessés, le capitaine de la 24ème et le commandant blessé au pied par-dessous le pont. On fait un barrage de terre en face du couloir du pont. A 10 h ou 11 h au plus je suis au pont mais je suis en souci d'Alfred resté en arrière. Mon capitaine arrive à la route et compte approximativement 150 de sa compagnie hors de combat. Le lieutenant Euvrard est blessé. L'adjudant Fatelet tué, les sergents Bey et Sèves tués, les sergents Prost, Vuilley blessés. La 114ème brigade ne progresse guère et le 6ème bataillon ne peut pas se mettre en liaison avec le 244, et les officiers du bataillon estiment que nous ne pouvons pas aller plus loin sans renfort. On nous avertit que 2 Cies du 235 vont nous renforcer. Petit à petit les hommes arrivent à la route et je suis heureux d'y voir arriver Alfred. Le chef arrive et annonce au capitaine qu'il reste seul de sa section. L'artillerie ennemie ne cesse de bombarder les réserves qui sont dans le bois à 1 km derrière nous. Un bataillon du 133ème territorial se replie à 2 reprises devant les marmites. 2 Cies du 235 nous arrivant bien amoindries aussi à la nuit. A 4 h 20 l'ordre arrive que la 112ème brigade doit attaquer à 4 h 05 et la 113ème à 4 h 10. Mais la 244ème n'a pas encore atteint la route. Nous sommes subordonnés à son mouvement. Plus tard, le 244 fait savoir qu'il se retranche et attend ce que va faire le 260. Il a de grandes pertes aussi. Le fil du téléphone est cassé et un fourrier va aux ordres vers le colonel. Puis vers 9 h, on apprend que le 244 a reçu l'ordre de se retirer, nous attendons et l'ordre arrive aussi au 260 de se retirer soutenu par le 235. La terre est blanche et on voit les hommes à 1 km à la lisière du bois. On ne pouvait choisir plus mauvais jour pour attaquer. L'ennemi envoie toujours des shrapnells et nous commençons à nous retirer par petits groupes. Les mitrailleuses ennemies donnent quelques coups, mais nous ne sommes pas trop inquiets quand même et à 11 h nous arrivons à Hecken. On se rattroupe un petit peu et le capitaine estime toujours approximativement 120 à 130 hors de combat. Plusieurs ont les pieds gelés et nombre de blessés ont dû mourir faute de n'avoir pu être relevés de suite. Chacun est exténué, moulu d'avoir passé 13 h couché dans la neige.

 

13.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

[Carte "Correspondance des Armées de la République"]

Bougaud Hippolyte

Soldat

260° - 22° Cie

Secteur 42

28 Janvier 1915

Bien chère Félicie

Je m'empresse de t'envoyer cette carte pour te tranquilliser à notre sujet car il va arriver des lettres alarmantes du 260. J'ai eu un drôle d'anniversaire hier et ça ne valait pas précisément l'événement d'il y a trois ans. Nous avons attaqué les positions en face de nous, tout le régiment et dans mon bataillon c'est ma compagnie qui a le plus souffert. Louis, Alfred et moi sommes en bonne santé de même que les Saint-Aubin qui sont au 6° bataillon. Il paraît que dans l'autre bataillon la 17, 18 et 20 ont aussi assez de pertes, mais je n'ai pas de renseignements précis et je t'enverrai une grande lettre de détails peut-être demain. Tranquillise toi, je m'en remets à la grâce de Dieu et conserve comme moi la confiance et le courage qui ne me manquent pas. Je t'embrasse bien affectueusement. H. Bougaud

28 Janvier -

Nous passons la journée en repos et on fait le recensement de la cie. Elle compte 17 morts, 49 blessés, 3 disparus et une dizaine de pieds gelés. Il reste 4 sergents à la Cie et le capitaine qui a pris le commandement du bataillon. A 4 h ½ du soir nous partons pour Traubach.

 

 

29 Janvier -
Repos, on en profite pour se recoudre un peu. L'après-midi on demande un volontaire par demi-section pour reconnaître un mort à Gildwiller. J'y vais et ai l'occasion de voir plusieurs camarades désignés seulement blessés. On profite de nous pour charger les morts sur une voiture. Triste corvée. Je vois Henri Monnot qui me donne des nouvelles du 5ème bataillon. J'apprends que Louis Larderet et Jules Consolin sont blessés légèrement. On apprend aussi que plusieurs blessés de la Cie sont morts de leurs blessures, ce qui porte le chiffre de morts à 20 ou 25. Le 2ème Bataillon du 56ème territorial relève la 3ème aux avant-postes qui sont maintenus à la route.

 

14.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Traubach le 30 Janvier 1915

Ma chère Félicie

Je t'avais promis de t'écrire hier pour te donner des détails sur notre journée du 27, mais j'ai été pris et il était trop tard le soir pour que je m'y mette. Aussi, comme je te sens en grand souci, je m'y mets aujourd'hui de grand matin pour te rassurer et te recommander le calme. Il est ennuyeux que ce soit arrivé juste au moment le plus délicat pour toi, mais je pense que tu n'en seras pas trop affectée pour autant et que tu resteras maitresse de toi même jusqu'au bout. Je te l'ai déjà dit dans ma carte. Louis, Alfred et moi sommes en parfaite santé, c'est l'essentiel. Quand je t'ai écrit cette carte, je n'avais pas de nouvelles du 5e bataillon et je te disais que les St-Aubin du 6e étaient tous sains et saufs. Or, j'ai vu Henri Monnot hier et il m'a dit que Louis Larderet et Jules Consolin étaient blessés, tous deux légèrement. C'est toutes les pertes pour St-Aubin que nous aurons à déplorer cette fois et je pense qu'ils seront bientôt remis de leurs blessures. A ma compagnie, il y a eu un Mairet de Petit-Noir qui a été tué. Or j'en viens à l'affaire que je vais te raconter telle que je l'ai vue, en toute sincérité. Le 27 nous rappelait un grand jour de notre vie commune, et comme toi, j'avais l'intention de la bien célébrer à nos intentions communes. Il paraît il aussi que ce jour est la fête de Guillaume et nos chefs ont voulu lui souhaiter à leur façon. L'intention était bonne, mais c'est nous qui en avons fait les frais. Le 260 entier devait attaquer Ammerzviller, le 5e bataillon à droite, le 6e à gauche. Le 5e était à 4 ou 500 mètres des tranchées. Le 6e avait 1300m à franchir d'une plaine sans un arbre, sans un buisson, couverte de neige. On ne pouvait choisir plus mauvais jour. La 114e brigade (244, 371, etc) devait attaquer à la gauche du 260. On nous réveille en alerte à 4 h pour partir à 5 h l/2 et munis de tout l'attirail d'attaque et de cartouches nous voilà partis aux avant postes. On croit toujours que nous allons là pour parer à une attaque éventuelle des Boches, tellement chacun juge le temps défavorable. Il n'en était rien et à 7h ½ notre artillerie commence à bombarder les tranchées ennemies très violemment. La 23 et la 24èmes Cies débouchent en même temps du bois et ont mission de se porter à la route qui se trouve à 1 km en avant et là de protéger par leur feu la marche de la 21 et 22è qui, arrivées à la route, seront chargées de passer devant et d'attaquer les rideaux de fils de fer et les tranchées. Elles y arrivent encore facilement sans avoir trop souffert, car l'attaque a été soudaine et les Boches n'étaient probablement pas prêts. La 21 et la 22è sortent du bois un quart d'heure après. Ce simple retard leur a valu d'avoir souffert davantage. En effet nous sommes tombés sous le feu de l'artillerie et des mitrailleuses qui nous a forcés à ralentir notre marche en avant et nous a causé des pertes assez sérieuses. Poutant mon but était d'arriver à la route le plus tôt possible où je serais en sureté derrière le talus et j'y suis parvenu un des premiers de ma Cie à 10 h environ. Si tous avaient fait comme moi, peut-être aurions nous eu moins de morts et de blessés. Le moindre mouvement de ceux qui étaient couchés dans la neige été épié et dès qu'ils essayaient de se lever une dizaine de balles arrivaient autour d'eux. Jusqu'à 3 heures, heure à laquelle Alfred est arrivé à la route, j'ai été bien en souci pour lui ; il est vrai que lui était de même à mon sujet dès le moment qu'il avait commencé à rester en arrière. Il s'en est tiré avec une balle dans sa cartouchière qu'il conserve en souvenir et une dans son sac. J'ai vu éclater une marmite à 10 m de moi à peine. Elles font de beaux trous, je t'assure, mais ne font pas encore beaucoup de mal si l'on est couché. Il en est éclaté une à 2 ou 3 m de Denis Bon et il n'a pas eu de mal. De 9 heures du matin à 6 h du soir, je ne saurais te dire ce que l'artillerie ennemie nous a envoyé de projectiles et pourtant la majeure partie des blessés et des morts est dûe aux balles et aux mitrailleuses. C'était un vacarme épouvantable. Le soir, malgré les renforts nombreux qui étaient derrière nous, la situation a été jugée mauvaise pour continuer l'attaque, et à 10 heures du soir, nous nous sommes repliés, après que le 235 nous a eu remplacés, les avant-postes restant désormais établis à cette route à 300m des tranchées ennemies. Tu as pu voir que nous avions maintenu nos positions conquises à l'ouest d'Ammerzviller dans la journée du 25. Cela signifie rien, car ce terrain n'était occupé par personne et les Boches sont toujours au même endroit. Tu peux juger de la valeur des communiqués sur tout le front et je ne crois pas que d'ici longtemps la ligne de combat soit beaucoup modifiée. Je ne connais pas les pertes du 5è bataillon mais je sais que c'est la 22è qui a le plus souffert du régiment et notre capitaine a pris le commandement du bataillon, le commandant étant blessé. Le capitaine de la 24è est blessé ; notre lieutenant blessé ; nous avons un adjudant et deux sergents de tués et une vingtaine de soldats et caporaux tués une cinquantaine de blessés et une dizaine qui ont eu les pieds ou le ventre gelés. Je te promets que je garderai longtemps souvenir de notre 3è anniversaire. Quoi qu'il en soit sache bien que j'ai eu un peu d'appréhension avant l'action, et qu'une fois engagé, ça ne m'a rien fait du tout. J'avais la ferme conviction que je ne serais pas touché, comme j'ai toujours eu bon espoir que je sortirais de toutes les épreuves que j'aurais à traverser. Je n'ai jamais perdu mon sang froid et cela m'a valu de me garantir peut être des balles, mais sûrement du froid, car, je te le dirai carrément malgré la neige et une bise glaciale j'ai passé 13 heures couché dans la neige sans souffrir le moindre du monde du froid et j'en suis encore à me demander comment d'aucuns ont pu se laisser geler, sans avoir la moindre blessure. Je ne doute pas non plus que la présence d'un prêtre dans mon escouade ait valu à ma section d'être la moins éprouvée de la compagnie. Nous en avons profité les 2 Alfred pour nous confesser immédiatement avant l'action et c'est l'âme tranquille que je suis allé au combat. Espérons toutefois que nous n'aurons pas à répéter souvent pareille action. Garde ton courage et confiance à notre sujet. J'ai promis à N.D. de Mt Roland d'aller au pélerinage le 2 août suivant la guerre. Je ne doute pas qu'elle me garde la faveur de pouvoir y assister. Tu voudras bien me le rappeler quand nous aurons le bonheur de nous trouver réunis. Je n'ai pas reçu de nouvelles depuis ta lettre du 19. Sans doute il y a du retard dans les lettres à cause de l'action que nous avons engagée. Je pense que tu es toujours en bonne santé. A part cette journée du 27, nous ne souffrons pas de rien et maintenant nous sommes au repos pour nous reformer. Je ne sais quand et comment nous reprendrons les avant-postes. J'ai reçu ton colis et pense le déguster ce soir avec Louis, je t'en remercie de tout coeur.

Je t'enverrai bientôt une autre lettre pour que le temps te paraisse moins dur en ces moments où tous les jours sont pour toi des jours d'attente. Embrasse Marie-Louise pour moi, et reçois les meilleurs baisers de ton mari qui t'aime.

Ton Cher H. Bougaud

 

30 Janvier -

Repos l'après-midi; funérailles des morts à qui assite qui le veut.

 

 

31 Janvier -
Dimanche - Repos. A 8 h office pour les morts. Le régiment est reconstitué en cadres par de nouvelles nominations

 

15.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Traubach le 1er Février 1915

Bien chère Félicie,

Comment te peindrai-je la joie que j'ai eue de recevoir hier ta lettre du 25 et ta carte du 27 toutes deux si remplies de bons sentiments. Je les ai attendues avec impatience trois jours de suite, déçu que j'étais de ne rien avoir à chaque distribution. Non que je t'en fasse un reproche, oh non, car je me mets bien à ta position si tu ne peux m'écrire aussi régulièrement, mais, après une échauffourée comme notre engagement du 27, on est heureux d'avoir des nouvelles de ceux qui restent à St Aubin et l'on se retrempe à venir s'entretenir avec ceux que l'on aime. Ne crois pas, d'après ceci, que nous soyons découragés et démoralisés ; mais cela fait peine de se voir séparé si brusquement de tant de bons camarades que l'on connaissait depuis déjà six mois. Je te dirai par exemple que notre capitaine a été très affecté de la perte de sa compagnie et je l'ai vu pleurer, dimanche matin, au service qui a été célébré pour les morts du régiment. Si, par hasard, nous sommes de nouveau engagés, cela ne nous empêchera pas de faire encore tout notre devoir et de revenir peut-être plus heureux cette fois, encore que nous ne devrions pas aboutir dans notre tentative. Quoi qu'il arrive, aie comme moi confiance en l'avenir et ne te laisse pas aller au découragement. Ne fais pas attention aux racontars de pays et de journaux et dis toi bien que si nous ne parvenons pas facilement à chasser les Boches de la France, du moins, nous sommes sûrs de les tenir en respect où ils sont et qu'ils ne viendront jamais à St Aubin, comme Marguerite le dit à Louis. Je vois qu'à St Aubin, on voit un peu tout en noir,mais je crois que si tout soldat trouve le temps long et désire ardemment la paix, il a au moins confiance en l'avenir et est certain du résultat final.

Mais, chassons ces visions de guerre et causons un peu de choses de famille. Cela vaudra mieux, pour toi surtout, car je crains que tu n'en sois trop affectée, bien que je voie par tes lettres et que je sache de l'un ou de l'autre que tu es bien courageuse, plus que beaucoup d'autres qui ne sont pas dans la même position.

A la suite de cet engagement, les tours d'avant-postes ont été changés et je ne sais comme nous serons organisés désormais. Nous avons eu du repos depuis ce jour-là, il est vrai que nous en avions bien besoin. De nouvelles troupes arrivent, déjà nous avons vu de l'artillerie (active) et il paraît que nous allons avoir aussi des régiments d'infanterie de l'active ; qui viendront bien en aide à la réserve. Le 235 abandonne son secteur et vient à nos côtés dans le nôtre. S'il y a de nouveaux engagements, nous ne serons au moins pas seuls et le tour d'attaque revient comme le tour d'avant-postes ; seulement on ne peut savoir les jours à l'avance. Je te dirai dans quelques jours comment marche la nouvelle organisation. Le dépôt ne peut combler nos vides et on a reformé ma Cie à 170 hommes au lieu de 250 par des nominations de gradés et en prenant des hommes aux autres compagnies. Je suis bien content de savoir qu'Honoré va mieux et je pense bien que malgré tout, en prenant des précautions contre le froid, il parviendra à dominer le mal et à se rétablir complètement. De même que pour ta maman, la tranquillité et le repos auront encore vite fait de la remettre d'aplomb et ce n'est pas étonnant qu'elle ait eu cette crise après la série de mauvais temps pluvieux que nous avons traversée. Ici nous avons toujours la neige, avec des alternatives de gel la nuit et de dégel à midi ; aujourd'hui elle tombe et semble vouloir monter à moins qu'elle nous amène le dégel complet, car la température se radoucit. Nous n'en souffrons pas et nous préférons de beaucoup ce temps à la pluie et à la boue. On a mis un habit de plus et nous passons les nuits aussi chaudement qu'avant bien que le matin la glace pende aux toits. Il faut dire aussi que nous sommes rudement plus acclimatés qu'en hiver ordinaire et que lorsque vous pensez que nous sommes bien malheureux du froid, nous n'en souffrons pas énormément. Je crois néanmoins que les plus grands froids sont passés et que nous n'aurons pas un fort hiver. C'est assez d'avoir d'autres souffrances sans avoir encore à combattre les rigueurs d'un gros hiver

[Cette lettre sur feuille quadrillée pliée en 2 s'achève ainsi, la suite est peut-être perdue?]

 

1er Février -

Travaux de campagne le matin. Repos l'après-midi.

 

 

2 Février -
A 9 h ½ remise de médaille à l'adjudant Fémy. A 10 h départ aux avant-postes. Nous sommes à Gildwiller-Village. Les 20 d'Hecken tirent quelques bordées. Le soir nous allons poser des fils de fer en avant des tranchées.

 

3 Février -
Travaux de campagne dans le bois. Repos l'après-midi. A 5 h il arrive une dizaine de marmites sur le village et nous allons occuper les tranchées ; au bout d'une ½ h la soupe.

 

4 Février -
Dès le matin nouvelles marmites qui font évacuer le village et nous allons travailler aux avant-postes. A 11 h nous passons les petits postes à 224 bis; d'importants travaux de sape sont en cours.

 

5 Février -
Relevés des avant-postes nous revenons aux abris Rossignot. Lutte d'aéroplanes et plusieurs aéros ennemis sont salués par nos mitrailleuses.

 

16.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 6 Février 1915

Mon bien cher Bougaud

Je ne veux pas tarder davantage à répondre à ta lettre du 30 arrivée hier, peut-être l'aurais-je fait hier si je ne l'avais pas portée chez nous, mais comme moi ils étaient inquiets de connaître tous les détails de cette terrible journée. Grâce à Dieu, vous êtes saufs et de tout coeur, je l'en remercie en le suppliant de vous conserver jusqu'au bout.

Espérons qu'il exaucera nos prières et que la Ste Vierge à qui tu es tant recommandé te préservera malgré tout et te rendra bientôt à notre affection. J'ai lu avec anxiété et intérêt tous les détails que tu as bien voulu me donner, je préfère savoir ce qu'il en est que d'avoir à me fier aux racontars. Je constate avec satisfaction que le courage et le sang-froid ne t'ont pas manqué et sincèrement je t'en félicite, Maman est fière de toi ainsi que d'Alfred dont Marguerite nous a apporté la lettre hier. Il est vrai qu'avec l'âme tranquille on peut affronter les dangers non pas sans crainte de la mort, mais avec la conviction que si elle arrivait, on serait en ordre. C'est déjà une grosse affaire et la plus importante et je n'hésite pas à penser que ce qui t'a donné tant de courage c'est la paix de la conscience et le bon espoir d'être préservé.

Aurais-je eu pressentiment de cette affaire? mais je t'assure qu'en ces jours du 27 et suivants j'ai été bien triste sans en connaître le motif. Je te sentais si loin de nous, oh combien je souhaite vivement ton retour ; nous serions si heureux avec notre chère petite Marie-Louise et de combien de caresses elle te comblerait pour te faire oublier toutes tes peines. Bientôt, j'espère, j'aurai le bonheur de t'annoncer la naissance car je ne pense pas attendre bien longtemps. Je deviens bien lourde et ne suis plus libre du tout, tout travail me fatigue beaucoup aussi je ne me fie plus à coucher seule. Depuis dimanche Jeanne vient coucher près de moi, de cette façon je suis tranquille et quoiqu'il arrive j'aurai de la compagnie. Nous nous proposons de reprendre ma chambre et d'y installer le dortoir complet. Il y aura donc 4 lits dont 2 bien petits et je me figure que ce sera joli à voir ; bien triste aussi car on ne pourra faire autrement que de penser à ton absence et ce sera bien dur pour moi je t'assure, mais je me résigne et ai confiance en Dieu. Espérons que tout ira bien.

Voici les beaux jours et déjà il faut songer à repartir dans les champs. Si le temps continue comme ces jours-ci Papa pense aller à la charrue lundi. Il s'effraie du travail qu'il aura à faire et il y a de quoi car vraiment il y en a beaucoup à entreprendre. Pourrons-nous tout faire, je ne sais, mais ce qu'il y a de certain c'est que nous ferons tout ce que nous pouvons. Je reçois à l'instant ta lettre du 1er et je te dirai que chaque lettre est pour moi une joie et que c'est avec plaisir que je parcours tes lignes. Je comprends qu'après une telle secousse vous ayez besoin de repos et aussi bien que vous je comprends que la séparation brutale des camarades est dure. Tant mieux que votre courage est grand et votre espoir si certain de voir terminer cette guerre par un beau succès. Que Dieu hâte les choses et qu'Il nous donne la victoire. Je serai contente de savoir comment vous êtes organisés désormais, il faut croire que les pertes sont assez grandes pour que vous soyez réduits à un si petit effectif par compagnie.

Maman va beaucoup mieux, il n'y a je crois maintenant qu'à ne pas se fatiguer. Ton Papa est venu hier soir chercher des nouvelles et demander la Marmotte pour conduire les osiers à Brazey. Louis-Joseph est en train de relever le grillage de clôture du meix et Jeanne est restée ce matin pour me faire un lavage. Ne crois pas que nos Parents consentiraient à prendre une ouvrière et à me laisser seule, ils se feront un plaisir d'être auprès de moi et ne voudraient pas être remplacés par une étrangère. Sois donc tranquille sur mon compte et je te demande seulement de prier pour nous. De mon côté je ne t'oublie pas et Marie-Louise non plus car elle fait souvent son Jésus pour le papa. Elle est de plus en plus intéressante et appelle bien maintenant palin manaine elle dit d'ailleurs tous les mots qu'elle veut. Si tu savais comme elle est heureuse de trotter dans la cour et de donner à manger aux poules et aux pinpins.

On vient de publier un interdit de vendre toute denrée utilisable: blé, avoine foin paille, il faut déclarer en mairie toute denrée à vendre, on demande encore 15 têtes de bétail d'un moment à l'autre je m'attends à voir partir la génisse. Le blé valait 30 F depuis 3 jours mais je me proposais d'en vendre 30 sacs à St Jean de Losne pour payer les fermages car je vois qu'il faut un bon tas d'argent pour tout régler. J'ai payé le meunier lundi 70 F et chez nous ont payé Girodet 10.5 et les communaux et l'entrepôt du tas de terre de Raymond 14.5. J'aurai encore à payer ces temps-ci Arsène une cinquantaine de francs. Louise m'a loué ces jours derniers Louise Choplin 15 francs par mois ; j'ai donc cette fois commis et bonne mais ce sont de petits aides et il en faudrait bien comme eux pour faire le travail d'un patron. Nous ne pensons plus du tout à vendre la Marmotte et quant à la culture je laisse pour le moment comme je te l'ai écrit lundi. Pour les trèfles nous en sèmerons où tu le dis.

Merci de tes bons encouragements et de tous les bons sentiments que tu as pour moi. Je te retrouve bien toujours dans chaque lettre avec ton bon coeur et ton affection sans bornes. Crois bien que de mon côté je te suis toute dévouée et bien affectionnée car la distance n'amoindrit pas mon amour pour toi. Une bonne nouvelle! Papa arrive de l'enterrement de Pierre Benigne et passe ici m'annoncer qu'il a reçu des nouvelles de Françoise par Sr Elisabeth ce matin même. Elle est à Labuissière à faire la classe c'est-à-dire dans la maison-mère du St Esprit en Belgique. Nous sommes tous heureux après 6 mois d'attente de la savoir en vie et papa dans son contentement n'a pu me dire tout ce que la lettre contenait l'ayant fait porter chez nous. Courage donc car Dieu nous garde et saura nous protéger. Dans cette assurance je te quitte mon cher Bougaud en t'embrassant de tout mon coeur.

Ta femme qui t'aime

Félicie

 

6 Février -

Service pour les morts à Gildwiller. La moitié de la faction de la Cie qui n'est pas de service y assiste. A midi nous rentrons à Traubach-le-Bas, la 21ème à Traubach-le-Haut la 23 et la 24 à [Hecken ?].

 

17.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 7 février 1915

Bien cher Bougaud

Je pense que malgré ma lettre d'hier, tu es toujours prêt à recevoir des nouvelles et comme j'ai encore à te raconter je me hâte de te dire tout ce qui t'intéresse. Et d'abord, hier je t'annonçais que nous avions des nouvelles de Françoise ; voici ce que je peux t'en dire aujourd'hui. Les Religieuses de Belgique ont écrit au St Esprit une carte datée du 22 janvier contenant seulement ces quelques mots : "Très chère Mère. Nous avons attendu longtemps de vos nouvelles et pourtant rien ne nous est encore parvenu. Nous offrons ce sacrifice en union à tant d'autres pour ceux que nous aimons. Nous avons eu une petite retraite du 2 au 6 et toutes nous en sommes très contentes. Nous continuons notre travail habituel, nous entendons tonner dans le lointain. Nous vous embrassons toutes comme nous vous aimons. Prions les unes pour les autres. Tout va bien à Labuissière mais pas de pensionnaires." D'où nous concluons tous que les Religieuses du St Esprit en Belgique sont au service des Allemands puisque à Labuissière qui est pensionnat il n'y a pas de pensionnaires et par le travail habituel nous songeons qu'elles continuent le travail, peut-être soigner les blessés, qu'elles font depuis 6 mois. La carte n'a pas été écrite par Françoise et ces quelques mots énigmatiques nous disent déjà) qu'elles sont encore là et c'est l'essentiel. Les correspondances adressées à elles doivent être passées par la Hollande mais la Supérieure de Poligny par prudence préfère que nous n'écrivions pas. Nous avons confiance cependant et espérons avoir un peu d'éclaircissement sur leur sort.

Je te disais également hier qu'il était interdit de vendre toute denrée, cependant les négociants ont eu encore hier et demain pour recevoir leur grain acheté. J'en ai profité pour livrer hier à Louise Péchinot 30 [90?] sacs de blé à 30 frs ; de cette façon j'aurai mon argent et ce que je craignais par la vente de réquisition, c'était qu'elle ait lieu trop tard ou qu'on ne soit payé que d'ici longtemps. Voilà une affaire réglée ; il reste encore au grenier une dizaine de sacs de blé et en voilà 65 de vendus plus 2 à Pierre, il est vrai que là dessus nous avons les blés achetés qui nous ont encore bien rendu mais nous ne pourrons savoir ce que nous avons eu comme récolte des nôtres. Papa Louis-Joseph et Henri sont venus pour faire la livraison et je t'assure que ça pas été long.

Ce soir à 5 heures la réquisition de bétail est passée ici et a pris la génisse de 2 ans ; on doit la conduire demain matin à Chemin, elles sont payées autour de 40 frs le 100 mais c'est un peu suivant qualité ainsi la génisse de Papa qui était très bonne a été payée 42 frs et le boeuf de Pierre 44. Les boeufs sont payés généralement 3 frs en plus des vaches par 100. Je te dirai ce qu'elle a fait d'argent. Dommage qu'on me la prenne tout de même, car elle aurait fait une belle bête mais sais-tu que pour le moment ils choisissent d'abord les grasses, le tour des maigres ou moins grasses viendra ensuite mais on peut s'attendre à en voir partir beaucoup. Je regrette de ne pas avoir pu lui donner des lavures plus tôt, mais je craignais que la pulpe demandée ne vienne pas et je conservais mes betteraves pour les vaches au moment des veaux. Malgré cela elle est en bien bon état comme les autres aussi, elle aurait eu peut-être plus de poids ; cependant elles ont eu du fourrage jusqu'à présent et cela ne leur a pas nui.

Aujourd'hui ont eu lieu les prières publiques et solennelles prescrites par le Pape pour la paix ; mais voilà que Marie Mougeot est bien en souci car toute l'Europe doit prier et dit-elle si les Allemands prient aussi il n'y aura guère d'avance puisqu'ils sont si forts. Une bonne voiture de chez nous est allée à la messe à Peseux, ils étaient 11 sur la voiture dont M-Louise Seguin, Marthe Marie Gagnoux Madeleine et le reste de chez nous avec Marie. Par ce mauvais chemin tu peux croire si la Brune en avait assez et combien il serait plus facile d'aller à la messe à St Aubin. C'est tout de même bien triste. Cet après-midi je suis allée un peu à l'église avec Marie-Louise mais j'ai profité d'une heure où il n'y a personne car Marie-Louise babille toujours et ne peut tenir en place. Si tu savais que de tours elle a fait dans tous les bancs de l'église, elle était heureuse de trotter, mais il n'y avait que deux personnes à distraire et je suis partie avant que l'heure du chapelet soit arrivée. Jeanne est en train de lire près de moi et nous n'allons pas tarder à partir au lit où Marie-Louise nous attend depuis une heure. Que bonnes parties elle fait dans son nin-nin, si tu voyais si elle est comique quand elle s'assied sur son oreiller, sitôt éveillée elle jase et reste cependant un peu tranquille tant qu'il n'y a pas de lumière mais dès qu'elle entend craquer l'allumette, elle est debout et me tend les bras appelant maman. Elle aime bien venir faire son petit tour près de nous mais elle n'est jamais dans les couvertures et fait la gymnastique en nous donnant des coups de pied de tous côtés.

Ma lettre ne partira que demain et c'est très probablement Madeleine Bougaud qui la portera à la boîte. C'est elle ma petite commissionnaire, elle est très gentille et voudrait bien que Marie-Louise soit vite grande pour la conduire en classe. Elle est déjà venue 2 jeudis la chercher pour aller à la velle. Mais elle n'y va que le matin et revient après dîner à 1 heure pour faire pour faire son somme.

Allons bonsoir et tâche de dormir aussi bien que nous. Jeanne se joint à moi et à Marie-Louise pour t'embrasser affectueusement. Je le fais plus particulièrement. Ta femme qui t'aime beaucoup. Félicie

 

7 Février -

Repos et à midi nous prenons la garde de police. Il pleut toute la matinée.

 

 

8 Février -
Relevés à 7 heures. Nous partons aux travaux de campagne à 9 heures et mangeons la soupe sur le terrain. Réseaux de fil de fer.

 

9 Février -
Même travail - tranchées.

 

10 Février -
A 10 heures départ pour Gildwiller-Village. Le soir repos. Nous occupons la tranchée derrière le village en prévision des marmites car notre artillerie [tonne ?]. A 9 h ½ réveil en alerte, car les shrapnells tombent sur le village et nous courons aux tranchées.

 

11 Février -
Le matin il arrive encore une dizaine de marmites et nous recourons à la tranchée. Le soir nous partons à la tranchée de la route vers le pont.

 

12 Février -
Nous sommes relevés avant le jour. Repos le matin. L'après-midi, nous commençons des abris d'artillerie.

 

13 Février -
Travaux de campagne toute la journée.

 

18.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: Guerre Européenne

Haute-Alsace Viaduc de Dannemarie

14 février 1915

Bien chère Félicie

Je me figure la joie que tu as éprouvée à recevoir des nouvelles de Françoise pour que tu m'en informes si vite et j'en suis aussi content que vous. Elle est en vie, c'est l'essentiel pour vous, peu importe quelle soit son occupation. Je vois que les relations sont un peu longues et qu'il est à peu près inutile que je te donne mon appréciation sur l'état des réquisitions comme je l'ai fait sur ma dernière lettre, écrite le même jour que j'ai reçu la tienne annonçant la vente du blé et de la génisse. Tu me tiendras toujours au courant de vos ventes et du prix de la génisse, comme des renseignements que tu pourrais avoir au sujet de ma demande d'allocation, qui n'a pas l'air de marcher bien fort.

Nous sommes redescendus aujourd'hui à midi des avant-postes et nous rentrons à Traubach pour 4 jours. Nous serons avec Louis et nous serons bien contents de nous retrouver. Nous sommes toujours en bonne santé, je pense que vous de même. Puisque Jeanne est maintenant ta pensionnaire, dis-lui bien des bonnes choses de ma part et remercie la bien pour....... de son dévouement ; allons bon espoir et bon courage. Je t'embrasse avec Marie-Louise comme je vous aime, bien fort. H. Bougaud

 

14 Février -

Dimanche - Réveil à trois heures pour aller prendre les avant-postes au pont pendant le jour. Rentrée le soir à 10 h à Traubach-le-Haut.

 

19-SB-H Suzanne Belleville

[carte postale : la Vierge consolatrice]

Tavaux le 15 février 1915

Bien chers cousins

Nous avons reçu vos cartes de tous deux et je vois que vous êtes bien en danger aussi. Je savais déjà de plus grands détails par une lettre qu'Alfred avait écrit à St-Aubin et dont Marguerite était venue nous apporter. Voici les beaux jours vous n'aurez pas tant à souffrir du froid et peut-être verrons-nous bientôt la fin de cette guerre. Je pense qu'Eugène doit vous avoir écrit, il ne peut pas écrire bien souvent car il est toujours dans les tranchées et malgré sa bonne volonté cela est impossible il se porte pas mal ses pieds vont mieux mais il est bien fatigué, son régiment a été renforcé encore une fois par des types du dépôt de Langres et renvoyé en première ligne. Comme vous êtes tous deux à la même compagnie c'est inutile que j'écrive deux cartes, écrivez nous souvent si vous le pouvez, car nous pensons bien à vous. Soyez sans inquiétude, tout va bien à St-Aubin et chez nous aussi. Nous sommes en bonne santé quoique j'ai un peu la grippe mais ce n'est rien par ces temps

là ce n'est pas difficile toujours de la pluie et des grands vents. Rien de nouveau à Tavaux les réformés partent cette semaine presque tous dans l'infanterie. Rien de plus à vous dire, je termine en vous embrassant tous deux bien affectueusement. Tous se joignent à moi pour vous embrasser. Votre cousine qui vous aime et pense à vous.

Suzanne Belleville

 

15 Février -

Repos et nettoyage des armes. On apprend que le Général Bernard est remplacé par le Général Cordonnier. Le Colonel Albert de la 113ème brigade est également relevé. Le capitaine Roussel passe commandant et notre capitaine reprend la 22ème Cie.

 

 

16 Février -
Travail au Fulchöberg vers Ueberkumen [?].

 

17 Février -
A 10 h ½ nous repartons aux avant-postes à cause d'une nouvelle disposition des avant-postes. Le 26ème va prendre le service seul [?].

 

18 Février -
Travaux aux avant-postes. L'après-midi violente canonnade à notre droite.

 

19 Février -
Réveil à 3 h ½. Départ pour passer la journée aux tranchées avancées à la nuit. Rentrée le soir à 8 h. A 4 h je tire un lièvre à 60 m en avant des tranchées.

 

20 Février -
Travail aux avant-postes le matin. Repos l'après-midi et départ aux tranchées avancées à la nuit.

 

21 Février -
Dimanche - Relevés au matin. Repos et départ à 11 h pour Traubach où nous prenons la garde de police.

 

22 Février -
Garde de police jusqu'à midi. Repos l'après-midi pour ma demi-section.

 

23 Février -
Douches le matin. Travaux de campagne.

 

20.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Carte postale, Nancy-Vue générale

[St Aubin, le 24/25 février 1915 ?]

Mon bien cher Bougaud

Deux mots pour te dire que ça va bien et que je suis heureuse d'avoir donné un garçon. Il est très gentil jusqu'à maintenant et je regrette que tu ne sois pas auprès de moi pour contempler sa bonne figure. Je t'embrasse très fort pour nous trois. Jeanne ne te parle pas des noms mais comme c'est convenu on lui dira: Albert Hippolyte Jean Joseph. Mes meilleurs baisers Félicie

[de Marie-Louise: ] "baisers et bonjour papa" écrit au recto de la carte n° 142 - Nancy - Vue générale, prise de la basilique Saint-Epvre

 

24 Février -

Repos le matin. Travaux de campagne.

 

21.- MS=>H

[carte postale : petite réfugiée Charité]

Mon cher frère

J'ai reçu ta lettre qui m'a fait grand plaisir, merci de tes bons souhaits, je t'offre les miens, bien tardifs, il est vrai, mais non moins sincères. Le plus ardent pour cette année est de demander à Dieu qu'Il te garde et te protège jusqu'à la fin de cette maudite guerre et te ramène le plus tôt possible pour contempler avec Félicie les progrès de ta grande fille et faire connaissance avec ton second gentil bébé, le reste ira assez bien après, une fois que tu seras revenu. Honoré va mieux maintenant en attendant, comme tu le dis qu'il aille te rejoindre. Félicie va bien, je l'ai vue avant

hier soir en lui portant montrer ma lettre nous avons passé une bonne veillée ensemble. En attendant qu'on en passe aussi de bonnes avec toi. Je t'embrasse bien fort avec Marie

Louise. Madeleine Seguin

 

 

22.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

[Carte postale:] Belfort. - Pont Carnot et Faubourg de France

25 Février 1915

Ma chère Félicie

J'attends aujourd'hui une lettre de toi, mais comme nous partons aux avant-postes et que là ce n'est pas facile d'écrire, je t'envoie deux mots pour te rendre compte de notre santé qui est assez bonne. Alfred se sent un petit peu de grippe, mais je pense que d'ici un jour ou deux il n'en aura plus. Ces 4 jours que nous avons passés à Traubach ont été assez doux et nous n'avons eu qu'une journée de travail. Un jour nous sommes passés aux douches et de se laver à fond vous fait un bien sans pareil. Le temps se refroidit un peu et ces derniers jours il est tombé de la neige qui n'a pas pris. Ce sont les derniers soubresauts de l'hiver. J'attends impatiemment la bonne nouvelle et je trouve que tu tardes bien. Je suis certain que le temps te dure beaucoup aussi, mais ce retard est peut-être l'indice de la naissance d'un gros garçon. Si je me trompe, ça ne fait rien. Je désire seulement que tout se passe comme il faut. En attendant bon courage et reçois les baisers les plus affectueux de ton mari pour toi et Marie-Louise. Ton cher H Bougaud

Bien des bonnes choses de ma part à tous les parents et amis.

[Naissance d'Albert le 24/02/1915]

 

25 Février -

Départ à 10 h pour les avant-postes. Nous restons à Gildwiller-Eglise et allons au travail l'après-midi.

 

 

26 Février -
Travail le matin. Nous transportons des chevalets de fil de fer ronce aux avant-postes - même travail l'après-midi. Le soir il arrive des marmites à Gildwiller-Village et sur les postes des cavaliers à Balschwiller.

 

27 Février -
Repos le matin. A 11 h nous partons aux avant-postes à 224. A 2 heures violente canonnade et fusillade du côté de Soppe. Il paraît que c'est une attaque allemande qui a été repoussée.

 

28 Février -
Dimanche - à 11 h nous sommes relevés et revenons aux abris Rossignot. Travail l'après-midi. Je reçois l'après-midi la lettre m'annonçant la naissance dans la nuit de mardi à mercredi d'un garçon qui s'appellera Albert.

 

23.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Traubach le 1er Mars 1915

Bien chère Félicie

Selon ma promesse, je suis heureux de venir passer un instant avec toi, à seule fin de te procurer un délassement et de faire paraître le temps moins long dans ton lit. Je sais que tu aurais désiré que je sache la naissance de notre garçon plus vite et que tu aurais été plus satisfaite d'avoir une réponse à ce sujet un jour ou deux après. Mais puisque nous ne sommes pas maîtres de la rapidité de notre correspondance, tu voudras bien m'excuser et je pense que tu n'as pas trop perdu patience de savoir si j'étais content ou non du résultat. Je te l'ai déjà dit plusieurs fois, je ne faisais pas de choix et je ne désirais qu'une chose, ton heureuse délivrance. Bien mieux que cela, tu nous as donné un garçon l'objet de notre commun désir. Je ne sais lequel de nous deux est le plus content ; mais je crois bien que, à ce sujet, je te cède encore la place. Puisque nos voeux se réalisent, je ne doute pas que celui de mon heureux retour près de toi se réalise à son tour et la naissance de notre petit Albert m'en est le gage. Je t'ai d'ailleurs toujours dit que j'avais bon espoir à ce sujet.

Depuis quelque temps, j'attendais tous les jours la bonne nouvelle et il me tardait un peu de voir passer chaque jour sans rien savoir de nouveau. Aussi, lorsque j'ai reçu la lettre de papa, j'ai compris avant de l'ouvrir et malgré que tu aurais voulu pouvoir m'annoncer toi-même le résultat en mettant l'adresse, le "Correspondance militaire" de papa a trahi le secret de la lettre et je n'ai pas été long à l'ouvrir. Il m'annonce que tout s'est bien passé et assez vite et que tout se passe normalement. Je pense que depuis ta santé est bonne et que la maman comme le bébé vont bien. Je te recommande de ne pas trop t'impatienter et de ne pas faire d'imprudence à vouloir te lever trop tôt ou reprendre ton travail avant que tu n'en aies la force. J'ai d'abord l'assurance que nos parents feront tout leur possible en ce sens. Comme toujours, en ce qui me concerne, je ne puis que regretter de ne pouvoir te donner tous les soins qu'il serait en mon pouvoir de te donner pour la circonstance. Je ne peux t'apporter que de bonnes paroles et serais heureux de savoir que tu n'as rien négligé pour te bien rétablir. Encore une fois, prends toutes les précautions nécessaires et n'obéis pas trop au principe d'économie pour te bien soigner.

Papa me dit que c'est un gros garçon, bien gras et bien portant. Est-il aussi mignon qu'était Marie-Louise ? Tu me diras s'il est bien gourmand et s'il ne trouble pas trop ton repos la nuit. Je souhaite, sans me flatter, qu'il soit comme son papa, pas trop exigeant. Tu me raconteras un peu aussi, mais je ne veux pas te presser à ce sujet et seulement quand tu seras relevée, tout ce qui peut m'intéresser sur ton accouchement et ta santé après ; si tu as eu beaucoup à souffrir de la fièvre de lait, si tu n'as pas trop souffert tes premiers jours de l'immobilité dans ton lit, etc.. - Je serai heureux de connaître toutes tes petites misères, comme suis content de te donner tous les détails qui concernent notre vie par ici.

Jeanne a écrit l'autre jour à Alfred. Elle a l'air contente d'être la marraine et le temps lui durait que ce fût bientôt. Elle va être contente cette fois. Tu me diras quel jour a eu lieu le baptême. Pour un peu que tu aies attendu, Louis-Joseph aurait risqué de ne pouvoir figurer comme parrain. Je pense qu'il est aussi content que Jeanne. J'ai été obligé de m'excuser auprès d'Octave de ne pouvoir l'inviter, pour cas de force majeure, au tricot qu'il pensait bien faire. .. au début de la campagne !! Mais depuis le mois d'août, les choses ont bien changé. Pour autant je ne pense pas qu'il ne se passe de dragées ; Jeanne nous en a promis comme elle nous a promis de nous en garder pour notre prochain ? retour. Je souhaite qu'il soit proche, mais on ne peut rien dire là dessus et c'est les premiers beaux jours qui décideront. Si nos opérations tournaient bien, peut-être aurions-nous bientôt une solution.

Nous sommes rentrés à Traubach aujourd'hui à midi. Il faisait un temps affreux et il tombait de la pluie mélangée de neige fondue chassée par un vent fou qui nous claquait au nez. C'est la deuxième fois depuis le début que nous avons eu à souffrir du mauvais temps et nous étions contents d'arriver au cantonnement pour nous rechanger. Heureusement que j'avais du linge sec dans mon sac et je me proposais encore justement de changer de linge aujourd'hui. Ça ne pouvait mieux tomber quoique je me serais bien passé de cette douche. Alfred était dans le même cas que moi. Quant à Louis, sa compagnie était partie plus tôt et il était arrivé à Traubach avant la bourrasque. C'est encore plus gai que de se faire mouiller et d'aller prendre les avant-postes là dessus, et notre situation n'est pas à comparer à celle des camarades qui ont dû passer la journée entière dans la tranchée avancée, sans abri et rentrer à Traubach ce soir à 9 heures. Dans 4 jours nous retournerons prendre ces avancés. J'espère bien que comme d'habitude nous aurons le beau temps.

J'ai reçu également ta carte et ta dernière lettre, je te remercie de tous les renseignements que tu me donnes et je suis content comme toi d'avoir affaire à de bons propriétaires. Tu me diras plus tard si tu es satisfaite de ta petite bonne et tu verras que tu seras bien aise parfois de l'avoir pendant le mois de mars. Je souhaite qu'elle te donne autant de contentement que son père. Peut-être il serait utile de le réserver pour la moisson, s'il n'est pas pris autrement. Mais je crois que pour l'instant il te faut laisser ce côté tout souci de l'extérieur et t'appliquer à te bien rétablir et nous reparlerons de culture plus tard. Je pense également que Marie-Louise est bien guérie de ses dents et que pour l'instant elle ne te donne aucun souci sur son compte. Est-elle contente d'avoir un petit frère et gentille lorsqu'elle est autorisée à le voir ? Je ne crois pas qu'elle soit jalouse de ce que les caresses ne lui sont plus exclusivement réservées.

Alfred et Louis sont très contents d'avoir un petit neveu et me chargent de t'adresser leurs plus vives félicitations. Nous sommes tous trois en excellente santé et souhaitons de nous conserver toujours ainsi. Tu me demandes également si je n'ai besoin de rien et je reconnais là la crainte que tu as que nous souffrions de quelque chose. Je te remercie de ta bonne intention mais je te l'ai déjà bien dit des fois, nous n'avons besoin de rien et quand il nous manque quelque chose, il nous est facile de nous le procurer. Nous touchons du chocolat par exemple au point que nous en sommes embarrassés et nous n'arrivons pas à le débarrasser. Je voudrais bien pour l'occasion t'en faire passer quelques tablettes. Avant de terminer, je te prie d'offrir mes plus vifs remerciements à tous ceux qui te prodiguent leur aide dans la circonstance et en te recommandant encore, ma chère Félicie, de te bien soigner, je t'embrasse de tout mon coeur. Je te cède ma place pour embrasser Marie-Louise et son petit frère, et suis certain que je serai bien remplacé. Ton mari qui t'aime H Bougaud

[note d'Albert: 1e lettre de papa à maman après la naissance d'Albert. A me conserver ainsi que la carte du 25 2 15 Albert]

 

1er Mars -

Repos le matin. A 11 heures départ pour Traubach. Il fait un grand vent froid le matin et nous avons une pluie battante pour rentrer de Guevenatten à Traubach. Nous sommes obligés de nous changer et de nous sécher à l'arrivée.

 

24.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

[de Félicie, peut-être 1er Mars 1915]

[Recto]

[...]resser les chers [...]ce jour ne [...]joie de réunir [...] [...]porterons courageusement [...]nous arriverons au [...]Néanmoins dés que [...]permettra et [...]peu se soulever [...]tographie. [...]exprime sa joie [...]à ta soeur Jeanne [...]ce Félicie, lui [...]tant que ce serait [...]. [...]du bonheur de [...]ngé d'inquiétude [...]la tristesse de ta [...]avoir bientôt [...]uvelle. [...]dans une froide [...]vous n'ayez pas [...]froid, les bourrasques [...]grésil nous font [...]prenez toutes les

[Verso]

précautions[...] pas pour[...] que vous[...] nous mais[...] Le mauvais[...] de reprendre[...] ne rempl[...] gendarm[...] vidés san[...] prises et[...] Pap[...] de bois, ap[...] allés à[...] à 16 frs[...] tâcherons[...] Honor[...] de 24 heures[...] jours po[...] Pierre[...] avis du m[...] auxiliair[...] sera bienve[...] quoique n[...] Louis-Joseph[...] moment[...] Papa n'en[...]

La Croix de Paris annonçait hier que les religieuses du St Esprit de La Buissière sont en bonne santé, cette nouvelle réconforte et encourage. Toute la famille va bien et se joint à moi pour t'offrir nos bien affectueux sentiments et nos meilleures amitiés. J'y joins un bon baiser de Marie-Louise et bientôt un premier [...]

 

]avoir bientôt [...]uvelle. [...]dans une froide [...]vous n'ayez pas [...]froid, les bourrasques [...]grésil nous font [...]prenez toutes les

[Verso]

précautions[...] pas pour[...] que vous[...] nous mais[...] Le mauvais[...] de reprendre[...] ne rempl[...] gendarm[...] vidés san[...] prises et[...] Pap[...] de bois, ap[...] allés à[...] à 16 frs[...] tâcherons[...] Honor[...] de 24 heures[...] jours po[...] Pierre[...] avis du m[...] auxiliair[...] sera bienve[...] quoique n[...] Louis-Joseph[...] moment[...] Papa n'en[...]

La Croix de Paris annonçait hier que les religieuses du St Esprit de La Buissière sont en bonne santé, cette nouvelle réconforte et encourage. Toute la famille va bien et se joint à moi pour t'offrir nos bien affectueux sentiments et nos meilleures amitiés. J'y joins un bon baiser de Marie-Louise et bientôt un premier [...]

 

 

 

2 Mars -
Repos le matin. Nous en profitons pour nous recoudre et nous nettoyer. Travail l'après-midi.

 

3 Mars -
Même emploi du temps. Exercice de cadres l'après-midi.

 

4 Mars -
Douches le matin. Exercice et revue l'après-midi.

 

5 Mars -
Départ à 10 h pour les avant-postes. Repos l'après-midi. A la nuit nous allons à la tranchée à [?]. Tout l'après-midi on entend une violente canonnade du côté de Thann. La nuit autour de 9 heures nous sommes spectateurs à 9 km environ d'une attaque de nuit. Le ciel est continuellement éclairé par 7 ou 8 fusées. Violente fusillade et canonnade qui dure environ ½ h puis tout rentre dans le calme. Incendie du côté du Pont d'Aspach.

 

6 Mars -
Repos. Le soir il arrive 4 obus de 91 à côté de notre cantonnement. J'en ramasse une fusée. Il pleut toute la journée.

 

7 Mars -
Dimanche - A 7 heures travail. On entend encore le canon du côté de Thann.

Travail encore l'après-midi.

 

8 Mars -
Réveil à 3 heures nous prenons la journée à la tranchée avancée. Retour à 7 h du soir.

 

9 Mars -
Repos le matin. Retour à 11 h à Traubach-le-Bas.

 

10 Mars -
Repos le matin. Nous sommes aux issues de Woifersdorf l'après-midi.

 

11 Mars -
Aux issues le matin. Marche manoeuvre de bataillon l'après-midi pour Elbach, [Bréchaumont ?], Traubach.

 

12 Mars -
Repos toute la journée.

 

13 Mars -
Repos le matin. A 10 h départ pour Guevenatten. Travaux dans le bois aux avant-postes l'après-midi.

 

14 Mars -
Dimanche.

 

15 Mars -
Même travail.

 

16 Mars -
Travail le matin. Repos l'après-midi..

 

17 Mars -
Repos le matin. Nous allons aux abris Rossignot l'après-midi.

 

18 Mars -
A midi nous prenons les avant-postes.

 

19 Mars -
Relevés à 4 h nous rentrons à Gildwiller-Eglise. Je cherche des fusées de marmite.

 

20 Mars -
A 11 heures nous prenons les issues à Gildwiller-Village.

 

21 Mars -
Dimanche - A midi retour à Traubach.

 

22 Mars -
Repos le matin. Pendant un rassemblement de la Cie un aéroplane nous lance 3 bombes qui nous épargnent, mais une tombe sur une maison [?] et tue un caporal et blesse 2 hommes de la 23ème Cie. Le soir arrive la nouvelle de la prise de Przern [?]. On sonne les cloches. La musique joue et défile dans le pays. Le colonel ordonne de sonner aux avant-postes pour que les Boches entendent.

 

23 Mars -
Enterrement des morts le matin. Le soir marche manoeuvre du bataillon pour Guevenatten, Bellemagny, St-Cosme, Bréchaumont, Elbach, Traubach-le-Bas. Nous rentrons à 6 h ½ fatigués bien inutilement.

 

24 Mars -
Repos le matin et le reste de la journée. Le soir [?] pascales par l'aumônier de la [?]

 

25 Mars -
Communion pascale [?] à 12 heures départ pour le travail

 

26 Mars -
Travail toute la journée.

 

27 Mars -
Travail toute la journée. Des bombes sont lancées sur la tranchée avancée. La nuit, il neige.

 

28 Mars -
Dimanche - La neige couvre la terre et dure toute la journée. Travail le matin. Revue d'armes par l'armurier l'après-midi.

 

29 Mars -
Il neige encore - Repos le matin - à 1 heure nous allons à Gildwiller-Village - Repos.

 

30 Mars -
réveil à 2 h ½ et départ pour la journée à la tranchée avancée. Tout se passe bien.

 

31 Mars -
Travail le matin - Repos l'après-midi. Nous passons la nuit à la tranchée avancée.

 

1er Avril -
 Repos toute la journée. Dans la nuit une patrouille du 260 allant au 235 évente une attaque allemande contre la tranchée du pont. Il s'ensuit une fusillade et une violente canonnade allemande de 2 h ½ du matin à 9 heures. Le 235 fait une dizaine de prisonniers et n'a que 1 mort et 2 ou 3 blessés.

 

2 Avril -
 Nous sommes en alerte à cause de l'attaque. Une section boche passe la journée dans la plaine. Il y a des pourparlers entre eux et le 235 et je crois qu'ils se sont retirés à la nuit. Nous rentrons à midi à Traubach.

 

3 Avril -
 Repos - On nous habille avec la nouvelle tenue. Dans le matin un aéro boche lance 3 bombes sur Dannemarie sans résultat.

 

4 Avril -
 Pâques - Repos. la musique joue à 4 h ½

 

5 Avril -
 Travail le matin. Travaux de propreté l'après-midi. A minuit ½ alerte à cause d'une violente fusillade aux avant-postes. On croit à une attaque allemande, mais ce n'est qu'une patrouille allemande éventée. Une heure après nous sommes désalertés et nous nous recouchons.

 

6 Avril -
 Repos le matin - départ à 10 heures pour Guevenatten - Travail l'après-midi à Ueberkumen [?]

 

7 Avril -
 Repos toute la journée et revue.

 

8 Avril -
 Travail le matin. Il a plu hier toute la journée et aujourd'hui encore la pluie. Travail à la sape de minuit à 6 h du matin.

 

9 Avril -
 Repos - Revue l'après-midi.

 

10 Avril -
 Travail toute la journée.

 

11 Avril -
 Dimanche - Repos -

 

12 Avril -
 Travail

 

13 Avril -
 Repos - Travaux de propreté. Nous assistons à une lutte d'aéroplane. L'aéroplane français atteint l'officier observateur ayant reçu 2 balles dans le dos.

 

25.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: 410 La Grande Guerre 1914-1915 - L'Alsace reconquise. Un coin de STEINBACH après sa réoccupation par nos soldats. A.R.

14 Avril 1915

Bien chère Félicie

Deux mots seulement pour te faire prendre patience et te dire que nous sommes toujours en bonne santé. Nous allons monter pour huit jours aux avant-postes à midi. Je souhaite que nous ayons le beau temps. Rien d'impossible à cela car voilà assez longtemps que nous avons la pluie et la neige. Il vous serait d'ailleurs aussi utile qu'à nous pour faciliter vos travaux.

J'ai reçu hier une carte d'Eugène. Il en est encore sorti une fois indemne à l'Harmansvillerkopf [Hartmannswillerkopf = Vieil Armand]  et le temps lui dure bien comme à tous que tout ceci finisse. Octave a bien regret maintenant d'avoir annoncé partout son départ car il leur est arrivé contre-ordre et ils restent où ils étaient précédemment. Etes-vous toujours en bonne santé et notre petite famille te donne-t-elle toute satisfaction ? Embrasse pour moi nos chers mignons et reçois mes baisers les plus affectueux- Ton mari qui vous aime H. Bougaud

Cette carte est une vue du pays où Charles Latour a été tué à côté d'Eugène. C'est un coin qui n'est pas aussi tranquille que le nôtre.

 

 

14 Avril -

 Repos le matin - A midi départ pour les avant-postes où nous passons le service au poste 3. A 4 heures, il arrive à 100 m de nous une dizaine de 105 dont nous allons chercher les fusées quand le calme est rétabli.

 

 

15 Avril -
 Relevés à 11 h nous revenons aux rossignots

 

16 Avril -
 Nous sommes relevés par le 242 et nous partons au repos. Le 5ème bataillon à Dannemarie, le 6ème à St-Cosme, Bellemagny et Bretten. Il fait très chaud et la marche quoique peu longue est très fatiguante.

 

17 Avril -
 Travaux de propreté - revue nous sommes garde aux issues un aéro lance 3 bombes vers Guevenatten

 

18 Avril -
 Dimanche - A 10 h du soir et à 2 h du matin nous entendons le canon à propos de deux attaques allemandes vers Pont-d'Aspach - Hagenbach. A 9 heures du matin on nous vaccine encore contre la typhoïde.

 

19 Avril -
 Repos

 

20 Avril -
 Service en campagne vers Vauthiermont l'après-midi exercice.

 

21 Avril -
 Marche par Vauthiermont - Larivière - Fontaine - Reppe - Bréchaumont - Exercice le soir à 9 heures du soir, nous assistons à une attaque du côté des Vosges. Nous voyons les fusées lumineuses et les éclatements des shrapnells.

 

22 Avril -
 A 10 heures marche du bataillon. Nous allons remplacer aux avant-postes le 50è bataillon à Soppe-le-Bas pendant qu'il va rendre les honneurs au Général Joffre à Lachapelle.

 

23 Avril -
 Il pleut - Exercice dans les granges et travaux de propreté - Confection de galeries l'après-midi.

 

24 Avril -
 Marche de bataillon malgré la pluie par Bellemagny - Eteimbes - Soppe-le-Haut et Mortzwiller et retour. Repos l'après-midi - Douches à 4 heures.

 

26.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: couvent de Bellemagny (Alsace)

(Cette vue représente un couvent de religieuses du Sacré-Coeur. Il se trouve à Bellemagny qui fait suite à St Cosmes comme la ville d'Oran fait suite à St Aubin. Une ambulance y est installée et actuellement il s'y trouve 2 blessés allemands de l'attaque qu'ils avaient faite le 1er avril contre le 235. Chaque jour des ambulances anglaises y viennent chercher les blessés et malades capables d'être dirigés plus à l'intérieur.)

le 25 avril 1915

Bien chère Félicie

Je ne veux pas laisser passer cette journée de Dimanche sans venir m'entretenir quelques instants avec toi. Nous avons ce matin reçu une nouvelle vaccination et cela nous vaut pour aujourd'hui et demain repos. Il est vrai que nous ne pourrions pas grande chose. Nous en avons profité pour assister à la messe en l'église de St

Cosmes, petite et d'aspect extérieur délabré, mais très belle à l'intérieur comme d'ailleurs toutes les églises d'Alsace.

Je regrette que vous n'ayez pu avoir Arsène et que tout le travail retombe sur nos parents. Personne en effet n'aurait cru que cette guerre dût s'allonger de la sorte et je ne puis pour l'instant offrir à ceux qui te viennent en aide que ma reconnaissance et mes plus sincères remerciements. Quand vous pourrez trouver de l'aide d'un côté ou de l'autre, paie ce qu'il faudra pour en profiter c'est tout ce que je puisse te conseiller. Nous avons eu une belle période de beau temps et je crois qu'elle va encore durer malgré quelques jours de brouillard et de bise froide. Ce sera un bien pour vous car vous aurez moins de retard dans vos travaux.

J'ai reçu aussi ta photographie et si je peux t'envoyer la mienne d'ici peu je le ferai. Nous avons un photographe dans ma section, mais il remet tous les jours pour nous prendre, je ne sais quand il se décidera. Dès qu'il nous aura pris, je te l'enverrai, mais je ne sais quand. Je termine en vous embrassant tous trois de grand coeur. Ton mari H. Bougaud

 

25 Avril -

 Dimanche - Nouvelle vaccination - Repos.

 

 

26 Avril -
 Revue de linge et de chaussures par l'intendant. L'après-midi travail.

 

27 Avril -
 Petite manoeuvre le matin. Travail l'après-midi.

 

28 Avril -
 Même travail. Octave vient nous trouver.

 

29 Avril -
 Nous allons cueillir des fleurs qui seront vendues au profit des blessés. L'après-midi marche manoeuvre. Mon escouade en garde de police.

 

30 Avril -
 Marche le matin - Travail le soir.

 

1er Mai -
Marche de bataillon par Eteimbes, Lachapelle et route de Masevaux et retour. L'après-midi travaux de propreté et revue.

 

2 Mai -
Dimanche - Douches et repos passons l'après-midi avec Octave.

 

3 Mai -
Nous partons de St-Cosme à 9 h 30 et nous allons relever le 235 aux avant-postes. La 22 et 23 sont à Guevenatten la 21 à Sternenberg et la 24 à Diefmatten. Le 5ème bataillon aux avant-postes à Hecken. L'après-midi repos.

 

4 Mai -
Exercice le matin - Corvée de lavage et travaux de propreté.

 

5 Mai -
Marche à 7 h par Sternenberg - Diefmatten - Soppe-le-Bas - L'après-midi nous allons aux fleurs. Il pleut et rentrons avant l'heure.

 

6 Mai -
Marche par Traubach - Bréchaumont - Vauthiermont - St-Cosme - Bellemagny. L'après-midi travail à la confection de chemin de bois.

 

7 Mai -
Repos le matin - Départ à 10 h pour Diefmatten.

 

8 Mai -
Repos le matin - Départ à 10 h aux avant-postes. Le soir nous voyons un convoi et des cavaliers allemands sur lesquels nous tirons

 

9 Mai -
Relevés à midi, nous rentrons à Sternenberg

 

10 Mai - Exercice le matin - Travail l'après-midi.

 

11 Mai -
Repos le matin. A 10 h départ à Hecken. Départ à 5 h le soir pour les abris du Berbacker [= Kébacker ??] de minuit à 4 h ½ du matin. Travail à la tranchée avancée de la cote 294.

 

27.- LJ=>Parents
[Carte postale Service militaire - Corps expéditionnaire
A toute la famille Ls Mougeot Péchinot, St Aubin Jura

Expédiée par Mougeot L.J. Chasseurs, grade: soldat

3e bataillon 14° compagnie, 2e escouade]

 

Langres 12 Mai 1915

Chers Parents

Deux mots pour vous donner de mes nouvelles, elles sont bonnes. Mon rhume est passé, mais les exercices deviennent fatigants ; nous en avons tous assez, à 10 h et à 5 h quand nous rentrons. Mais vous avez encore plus de maux que nous, il ne faut pas se plaindre ; c'est demain l'Ascension, nous avons repos comme un dimanche ordinaire. Voilà plus d'un mois que nous sommes là ; ça passe encore vite, vous devez faire beaucoup d'ouvrage car il fait très beau. L'autre jour nous avons touché 2 fr 50 pour l'indemnité de notre voyage, toujours autant. Plus rien de nouveau pour le moment. Je vous enverrai une lettre ces jours-ci. En attendant recevez, chers Parents, les meilleurs baisers de votre fils et frère qui vous aime

Louis-Joseph.

A bientôt (Peut-être)

 

12 Mai -

 

Retour à 5 h aux abris. Repos toute la journée. A 6 h nous prenons les avant-postes à la cuvette. Il a tonné et plu à verse toute la journée ; pour gagner les tranchées avancées nous sommes obligés de faire 500 m de boyaux dans l'eau jusqu'au genou, même plus. Le soir de 6 h ½ à 10 h du soir nous sommes spectateurs d'un bombardement et d'un combat à Hartmanns-willerkopf (Vieil Armand).

 

 

13 Mai -
Ascension - Nous sommes aux avant-postes assez fatigués par suite de notre bain involontaire de la veille. Relevés à 6 h nous rentrons à Hecken.

 

14 Mai -
Repos le matin. Travail aux avant-postes l'après-midi.

 

15 Mai -
Travail le matin. Repos l'après-midi. A 5 h départ aux abris. Travail de 7 h ½ à minuit.

 

16 Mai -
Dimanche - Repos - A 6 heures nous prenons les avant-postes au ponceau. Assistons à la messe au bois.

 

17 Mai -
Relevés à 6 h du soir nous rentrons à Hecken. Des shrapnells arrivent au ponceau le soir.

 

28.- LJ=>H

Langres 18 Mai 1915

Cher Bougaud

Deux mots pour te donner de mes nouvelles, j'ai su par Honoré ce matin que vous avez reçu du renfort dont il devait faire partie ; il regrette de ne pas être arrivé à temps pour aller te rejoindre, mais il ne veut pas tarder à partir.

Ici ça va toujours à peu près, le peloton marche à peu près, les exercices, le tir, le service en campagne, la théorie, tout marche assez vite ; voici bientôt 1 mois et demi que nous sommes là et la guerre n'est guère plus avancée qu'avant notre départ. Il peut tout de même arriver un événement qui modifie la situation, soit par l'Italie ou autre chose imprévu, enfin de cette chose, Dieu est le maître et s'il n'arrête pas bientôt ce mouvement infernal, il y a grandes chances que nous allions vous rejoindre, ce sera bien malheureux, car si ça dure à ce point, qu'allons-nous devenir ? Qui fera la moisson, nous espérions toujours que vous seriez rentrés, mais il y a encore bien à faire.

J'ai reçu la photographie de mon filleul, sa maman et sa petite soeur, comme tu as la pareille, tu peux constater qu'ils sont tous trois en bonne santé et que mon filleul ne souffre pas de l'absence de son parrain ; il faut tout de même espérer que bientôt tu pourras aller voir ta petite famille en y ramenant la joie et la paix qui se fait tant désirer.

J'ai reçu l'autre jour une grande lettre de Louis Mougeot. Tu l'en remercieras à l'occasion, car maintenant, nous n'aurons pas autant de temps libre parce qu'il y a la théorie à apprendre et beaucoup de correspondances à faire. Je te dirai que j'ai changé d'Escouade, cela a peu d'importance, je suis à la 2e au lieu de la 1ère, je ne perds pas en caporal.

Nous avons déjà fait quelques marches de 18 à 25 km. Nous allons commencer les cantonnements cette semaine ; n'étant plus dans la zone des armées, on nous a retiré ¼ de vin mais nous en avons encore un qui provient du boni de la Cie, et nous paierons le tabac, chose que je n'use pas.

J'ai su de par chez nous que ton cousin de Tavaux était blessé. Je n'en ai pas de détails. Ce doit être où tu m'as dit que la 152e s'est distinguée à Harmantsvillerkof et Alfonse Fontaine et Charbonnier prisonniers.

La semaine dernière a été chaude paraît-il, notre Commandant a été tué, plusieurs officiers et 600 Chasseurs, le Capitaine nous a fait rendre les honneurs à ces braves par un présentez Armes à la sonnerie du Clairon.

Voilà à peu près le nouveau qu'il y a pour le moment, j'ai eu tout de même la visite de Victor Seguin qui est à Perrancey à 7 km de Langres, nous y passons de temps en temps et j'espère voir Aubin Bougaud qui est au bas de Langres au 3e bataillon, c'est un de mes copains qui l'a vu à qui il a demandé après moi.

Plus rien de nouveau pour le moment, tu m'enverras de tes nouvelles et reçois de ton beau-frère les meilleures amitiés. Bonjour à Louis et Alfred.

Louis-Joseph Mougeot 2e Esc. 14 Cie 3e bataillon

 

 

18 Mai -

 Travaux de propreté le matin. Travail aux avant-postes l'après-midi ; des shrapnells sont envoyés sur une section qui travaille à la sape du ponceau - aucun dégat.

 

 

19 Mai -
Travail le matin. A 11 heures nous rentrons à Hecken. Nous voyons aux abris du bois un fanion que les Boches avaient planté entre les 2 réseaux de fil de fer.

 

20 Mai -
Travaux de propreté et revue le matin. L'après-midi travail.

 

21 Mai -
Repos le matin - A 10 heures départ à Diefmatten. Nous montons directement aux avant-postes.

 

22 Mai -
Dès le matin les Allemands dirigent un bombardement intense sur Pont d'Aspach mais non suivi d'attaque puis le brouillard vient et tout rentre dans le calme. Relevés à 11 h nous rentrons à Diefmatten

 

23 Mai -
Pentecôte - Au moment de la relève à 11 h un aéroplane ennemi passe sur Diefmatten à 100 m environ. Nous ouvrons le feu sur lui et il réussit à atterrir à Pont d'Aspach ou Burnhaupt. Il doit avoir été sérieusement atteint. Puis nous rentrons à Guevenatten où nous avons repos. Sur le soir un autre aéro survole la région et le feu de nos batteries et mitrailleuses ne réussit pas à l'éloigner. Un monoplane français lui donne la chasse et engage un combat aérien que nous suivons avec curiosité. La lutte dure un instant, puis le monoplane français file rapidement vers Belfort. Il doit être touché et l'aéro allemand rentre tranquillement chez lui

 

24 Mai -
Travaux de propreté le matin et travail l'après-midi. L'Italie déclare la guerre à l'Autriche. Le soir la musique va jouer aux avant-postes pour l'occasion et les artilleurs annoncent la nouvelle aux tranchées allemandes à coups de canon. Au retour de Guevenatten la musique fait retraite et concert. Toutes les cloches des environs ont sonné la bonne nouvelle

 

25 Mai -
Marche à 5 h 30 par Traubach - Falkwiller - Hecken. Nous assistons à une chaude lutte d'aéroplanes dont nous ne pouvons pas voir la fin. Travail l'après-midi.

 

26 Mai - Exercice le matin. Garde aux issues à partir de midi.

 

27 Mai -
Départ à 10 heures pour Hecken et les abris du bois. A 6 heures le soir nous prenons les tranchées et ma section reste aux postes du bois.

 

28 Mai -
La pluie commence à 3 heures du matin et dure toute la journée. Heureusement que nous avons les abris. A 4 heures du matin à la suite d'une patrouille que le 242 a faite jusqu'au réseau de fil de fer allemands, ceux-ci ont cru à une attaque de notre part et engagent une violente cannonade sur les tranchées avancées du 242 et le bois de Gildwiller. Cela dure environ 2 heures puis tout rentre dans le calme. Résultat 1 mort et 3 blessés au 242. Le reste de la journée se passe sans incident et à 5 heures nous sommes relevés et rentrons à Hecken.

 

29 Mai -
Il pleut encore. Repos le matin et travail aux avant-postes l'après-midi.

 

30 Mai -
Dimanche - Repos toute la journée. Départ à 6 h aux abris et travail de minuit au matin. La veille, les Allemands attaquent à 8 h du soir et sont repoussés à Steinbach.

 


 

29.- A=>F?

[Carte postale non datée représentant 6 soldats dont Bougaud comme guetteur dans une tranchée]

[Date : 31 mai 1915 ???]

Alfred Bougaud 260e - 22e Cie

Honoré aurait été versé dans notre compagnie. Celui qui l'a remplacé est avec nous ; la fête de Jeanne d'Arc et le prêtre qui est passé caporal nous a dit que la Ste Vierge n'avait pas voulu laisser passer la neuvaine de Jeanne d'Arc et que nous devions bien la remercier pour l'intervention de l'Italie. Nous allons remonter aux avant-postes demain. Nous avons reçu une carte d'Eugène et je suis très satisfait de le savoir rétabli. J'en ai reçu une également de Mareschal qui dit que leur position n'est vraiment pas belle. Depuis nos positions nous voyons très bien le Vieil Armand à la lunette où tous les arbres sont déplumés. J'attends toujours de vos bonnes nouvelles et je vous quitte en pensant bien à vous et en vous embrassant tous de grand coeur. [Alfred]

[Allusion à la déclaration de guerre de l'Italie à l'Autriche le 23 mai 1915.]

 

31 Mai -

 Repos aux abris. A 6 heures nous allons à la tranchée à la cote 294 sur la route de Gildwiller à Burnhaupt. Les Boches font sauter le viaduc de Dannemarie.

 

30.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: En Alsace. Eglise de Gildwiller, bombardée par les Allemands

La Tranchée, le 1er juin 1915

Bien chère Félicie

Je n'ai rien de bien nouveau à te raconter aujourd'hui. Je me contenterai de t'envoyer cette vue qui te représente l'état actuel de l'Eglise de Gildwiller, centre de nos anciens avant-postes. Bien que les villages que nous occupons ne soient pas atteints par le bombardement (sans doute parce que les Boches pensent garder l'Alsace et qu'ils les respectent pour ne pas payer les dégâts) cette église, qui domine tous les environs a reçu un certain nombre de marmites qui ont endommagé les murs et la toiture. Même à présent elle est encore plus abîmée, un obus ayant traversé le choeur et éclaté à l'intérieur.

Comme toutes les églises par ici, l'intérieur est très joli. C'est même un lieu de pèlerinage régional à N. D. de Gildwiller. Cependant sa destruction n'est pas due uniquement aux Boches et c'est le 242 qui, par une fausse alerte, a mis le feu au clocher le 4 octobre, en signal de retraite, alors que nous faisions une attaque contre Burnhaupt-le-Haut. Elle se trouve à vol d'oiseau à 1 km environ des tranchées avancées et à 1400 m environ d'Ammerzviller dont l'église est encore en plus piteux état.

Tu remarqueras le long du mur les tombes des braves du 260ème qui sont tombés le 2 Décembre et le 27 Janvier. D'autres tombes sont à l'intérieur. Les 2 taches noires sur le terrain en avant sont 2 trous de marmites. Aujourd'hui, jusqu'à 6 heures, nous sommes à la tranchée avancée devant Burnhaupt-le-Bas, à 700 m des Boches.

Après 2 jours de pluie consécutifs, voici le beau temps revenu et il fait même chaud à l'heure de midi où je t'écris ces quelques lignes. Pourvu que ce beau temps active les opérations et que Juin que nous commençons voie un réel progrès sinon la fin des hostilités. Espérons-le et prenons courage. J'ai reçu ta lettre avec les photos de mes neveux et nièces, j'y ferai réponse dans un jour ou deux. Nous sommes toujours aussi bien portants et aussi tranquilles. Portez-vous bien également. Je vous embrasse tous trois. Ton mari qui t'aime H. Bougaud

 

1er Juin -

Dans la nuit le capitaine et un petit groupe vont garder une pancarte et un drapeau italiens placé entre les lignes dans l'espoir de faire des prisonniers. La nuit se passe sans incident. A 10 heures les Boches répondent à notre artillerie et nous envoient quelques shrapnells qui ne font aucun dégat. Nous sommes relevés à 5 h et rentrons à Hecken.

  

 

2 Juin -
 Repos le matin. Travail le soir.

 

3 Juin -
 Travail le matin. A 6 heures du soir départ des abris. Travail au ponceau jusqu'à minuit, nous assistons à des exercices de fusées éclairantes et de bombes entre le 242 et les Boches mais ceux-ci mettent le double.

 

4 Juin -
 Relevés à 11 heures nous partons aux abris du Buchwald - repos - un soldat de la 20 est tué par un créneau.

 

5 Juin -
 Repos le matin. Nous prenons à 11 heures les avant-postes aux poiriers.

 

6 Juin -
 Dimanche - Nous gardons les avant-postes jusqu'à 11 h. Dans la matinée échange d'obus entre les 2 artilleries. Celle des Boches tapant sur le fortin Bouvy, surtout à l'heure de la relève. Nous rentrons par une extrême chaleur à midi à Sternenberg. Repos l'après-midi.

 

7 Juin -
 Travaux de propreté - Douches

 


 


31.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: 333 En Alsace: Nos troupes

Le 8 juin 1915

Bien chère Félicie

J'ai reçu ta bonne lettre du 2 et je savais déjà la nouvelle de la mort de Séraphin. Quand donc la guerre, cette grande mangeuse d'hommes sera-t-elle rassasiée et cessera de mettre fin à des vies si pleines d'avenir. Tout St-Aubin regrettera sa disparition et je m'associe de tout coeur à la douleur de ses parents.

En attendant, le temps passe et nous sommes toujours à peu prés pareils et au train que marchent les Russes, c'est bientôt que nous voyons la fin. Pourvu que l'Italie continue et ne se casse pas le nez dans un piège qu'on lui tend peut-être. Nos parents ne sont-ils pas trop fatigués par l'excès de travail. Recommande-leur bien de ne faire que le strict nécessaire. Je suis heureux de voir le beau temps car cela vous permettra de tenir plus facilement les champs en état de propreté et vous aurez beaucoup moins de travail après le fourrage que vous devez couper grand train.

Nous sommes toujours en excellente santé et suis heureux d'apprendre la même nouvelle vous concernant. Merci des amitiés de Marie-Louise. Embrasse-la bien fort comme je le fais pour tous les trois. Ton mari qui t'aime H. Bougaud

 

8 Juin -

 A 5 h marche par Bretten - Eteimbes, La-douane-brulée, Soppe et retour à 10 h à Sternenberg. Confection de chevaux de frise l'après-midi.

 

32.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 9 Juin 1915

Bien cher Bougaud

J'ai reçu ce matin ta lettre du 2 et dimanche ta carte. Merci de tous tes détails ils me font grand plaisir et j'aime à savoir tout ce que tu fais pour te suivre de plus près. Je t'expédie aujourd'hui même un colis contenant: du saucisson que tante Jeanne m'a apporté exprès pour toi avant-hier et j'ai voulu te l'envoyer au plus tôt, j'y ai joint un petit flacon d'alcool de menthe et deux boîtes de conserves mais j'ai peut-être fait une bêtise. J'avais pensé que quelques fleurs de notre jardin te feraient plaisir. Mais j'ai eu la sotte idée de les mettre près des quelques croquets que je t'envoie (j'y ai pensé quand tout a été cousu, trop tard). Enfin s'ils sont perdus, ce n'est pas grand-chose. Je pense que vous trouvez du sucre assez facilement, c'est pourquoi je n'en ai pas mis dans le colis, l'alcool, je crois, te sera bien utile par ces chaleurs sur un morceau de sucre. Cela rafraîchit. J'avais commencé ma lettre hier et n'ai pu continuer à cause des petits qui criaient aussi fort l'un que l'autre et sur le soir j'ai conduit Pucet et la mère Palaud mettre du fourrage en tas à la Madrille pendant que Madeleine Bougaud était gardienne. Nous avons beaucoup à faire et tu ne m'en voudras pas si je ne suis pas régulière à t'écrire. Il y a si peu de monde pour travailler que tu ne peux te faire une idée du chantier et c'est partout pareil. Mon Papa est débordé de tous côtés, ses filles, ses nièces et par-dessus tout cela, le curé de St Lamain qui a eu une hémorragie jeudi dernier a demandé déjà deux fois quelqu'un par dépêche. Marguerite ta soeur y est allée vendredi dernier, Marie Mougeot samedi et comme Papa s'apprêtait hier à faire un second voyage au bois pour ramener mon affouage qui a été tiré dimanche, la seconde dépêche est arrivée et il est parti immédiatement au train de 10 h ½ avec Marie pour descendre à Chaumergy et faire le reste du trajet 13 km à pied en plein midi et Marie à bicyclette. Je ne sais comment il tient [le] coup car il est rudement surchargé ; heureusement qu'il est fort de moral et courageux. Marie est rentrée hier soir. Il paraît que ça va très doucement et Papa doit rentrer ce matin par le train qui vient d'arriver à 7 h, mais pour cela il faut qu'il n'y ait pas de danger immédiat car il resterait. Je crois que malgré que le mieux se produirait il n'y a pas pour bien longtemps de lui. 10 heures Je reprends ma lettre interrompue par l'arrivée de Jeanne. Henri et le domestique de Marie qui m'ont amené le bois ; pendant le déchargement du bois Papa arrive du train bien fatigué, levé depuis minuit, il a veillé jusqu'à 3 h ½ et est venu prendre le train à Chaumergy. Félix ne va pas fort, il est couché, n'a pas le droit de rien dire, écrit ce qu'il demande et boit tout ce qu'il prend au chalumeau ; tu le vois ça va mal. Papa n'a pas bon espoir mais il peut traîner, on ne sait pas. C'est la misère partout. Lundi nous avons sarclé les pommes de terre: bonne équipe n'ayant pas pu trouver d'ouvriers mes 3 soeurs sont venues en voiture avec Pucet et j'avais demandé les deux petites Faudot [?] pour nous aider ; avec Laurence cela faisait 7. Ils ont fait dans le matin tout le lot de pommes de terre qui sont belles et sont même rentrés de bonne heure. Hier j'avais les ouvriers. Ils ont sarclé les 27 ares de betteraves du deuxième coup ; ça pousse mais c'est clair, le soir orage et bonne pluie ça fait du bien car c'est très sec ; peu de fourrage facile à sécher. Je n'ai pas trouvé à faire faucher les foins du pré Ferjus [?]. Ton papa fauchera le lot de jeune [??]/ Jeanne qui est paraît-il superbe mais ne se charge pas de l'autre, on verra ce qu'on peut faire.

Ta Maman toujours prise de douleurs un peu partout n'est guère valide, tâche donc de la recommander un peu elle ne fait peut-être pas ce qu'il faudrait et devrait à mon avis se consulter, ils ont tous besoin de soins mais le surcroît de travail leur fait négliger un peu, même beaucoup, leur santé. Très mal montés en chevaux, la Marmotte serait peut-être la meilleure. Je suis en souci pour la moisson, comment feront-ils ? Bien souvent je me le demande et souhaite ardemment que la guerre finisse bientôt. Moi je ne peux guère sortir, le peu que je sors me dérange plus que ça ne vaut et les grands-mères ont trop à faire pour garder les petits. Aujourd'hui ça va pas fort, j'avais peine à enlever le fumier. Ce n'est rien, peut-être le contrecoup de l'orage, ça ira mieux demain. Tu vois que j'ai les nerfs tendus à mon écriture et je suis pressée aussi excuse mon griffonnage. Il y tellement à faire qu'il faut tout faire vite. Marie-Louise est partie au Bas-Rhin avec [?] les voitures tout heureuse d'aller et Albert est recouché, toujours bien portant mais il devient fort et demande d'être tenu surtout l'après-midi. Et Alfred que fait-il ? Sois bon pour lui comme tu l'es pour tous. Est-il un peu gai lui qui était toujours rêveur. Tâche de le distraire un peu. Faut-il te le dire mais à toi seulement. Berthe Faudot est très gentille et elles ont été toutes contentes de venir nous aider. Je leur ai montré les photos, elle n'a pas reconnu Alfred mais elle pense peut-être bien à lui, ainsi quand j'ai payé le fermage on s'est informé aussi bien de lui que de toi, peut-être voit-elle de loin une chose qui peut très bien arriver, ce n'est pas le moment d'y penser. Ça viendra. Ne t'expose pas à aller un Boche, prends des précautions et reste pour nous le mari et père affectueux. Je te quitte en te disant bon courage et en t'embrassant bien bien fort comme je t'aime. Félicie

 

 

9 Juin -

 Exercices le matin - Travaux l'après-midi.

 

33.- C=>H

Jeudi 10 Juin 1915

Mon cher Bougaud

Tu me dis que tu es négligent. Moi, je le suis encore plus. Ce n'est pas le temps mais je ne sais plus écrire. Je me porte toujours bien mais je suis sourde. Je n'entends plus rien. Je suis allée 2 jours à St Aubin: le temps me durait de tous les voir, surtout le petit qui se porte bien. Tu me dis que tu n'as rien à faire. Nous qui ne savons pas où aller /premir/. Nous avons des nouvelles toutes les semaines. Il se porte toujours bien et il est comme nous, le temps lui dure que cela finisse, mais croit qu'il y en a encore pour longtemps. Ça ne marche pas assez vite.

Aujourd'hui, on a réquisitionné encore des vaches. Emile Lavrut, il est convalescent pour huit jours. Il est bien guéri. Je finis parce que je ne vois plus clair. [L'oncle] et Suzanne et Madeleine se portent toujours bien. Nous vous envoyons à tous un grand bonjour et bonne [santé/chance]. Je t'envoie 5 francs pour boire à ma santé. C'est la première fois et la dernière que je vous écris, votre grand-mère qui ne vous oublie pas

Célestine Lullier

[note manuscrite d'Albert : lettre de Célestine Lullier, arrière-grand-mère de Tavaux à mon papa]

 

 

10 Juin -

 Exercices le matin - Travaux l'après-midi.

 

34.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

[manque le début de la lettre]

[probablement St Aubin, 11 (?) Juin 1915]

Je reçois à l'instant ta lettre du 2 et je ne veux pas envoyer la mienne sans te dire quelques mots en réponse. Heureuse de te savoir en bonne santé et en fait de nourriture je vois que les racontars entendus étaient faux. Je n'y attache d'ailleurs pas d'importance et n'ai guère confiance qu'en toi.

Ne va pas croire que je me choque que tu montres mes lettres à Alfred, c'est tout naturel je le sais et suis même contente qu'il les voie, ce que je voulais te dire c'était, comme tu le fais, ne pas trop montrer le personnel. Soyez frères et bons frères puisque vous avez le bonheur d'être près l'un de l'autre.

Tu me dis que l'essentiel est de ne pas faire attention si le travail est pour l'un ou pour l'autre. Sois tranquille, chez nous n'y regardent pas ainsi quand ils vont faucher sur une direction ils coupent tout ce qui s'y trouve que ce soit à Pierre Madeleine ou moi. Chez vous c'est autre chose, ils ont commencé bien après les autres, prétendant que ce n'était pas mûr et ils sont allés à la charrue rompre orges et trèfles jusqu'à samedi matin. Ils sont en retard et mauvais équipage, ça ne va pas vite. C'est pourquoi Papa a été obligé pour que ça ne traîne pas de faucher les Crimée, Saunières, Bas pré alors qu'il avait dit au mois de février qu'il ne dépasserait pas l'église. Il la dépasse, tu vois et on ne lui en ferait pas autant s'il y avait besoin. De même pour les fourrages, pourquoi ont-ils rentré les Crimée et les foins ? On est venu me dire: va dire à ton père d'aller chercher les trèfles qui sont en tas nous ne pouvons pas y aller et pour les foins ton Papa m'a bien dit qu'il ne voulait pas les ramener (le grand lot je veux dire) mon Papa ayant moins à faire que lui (et plus fort de monde, ceci est vrai seulement). Pour le travail je voudrais qu'il change avec lui pour s'en rendre compte. Quant à Marguerite si elle me fait quelque chose ce ne sera pas moi qui lui aurai demandé et je regrette si j'ai à lui devoir quelque chose ; elle s'arrange avec ton Papa heureusement. Crois bien que chez vous ne lui aident pas au contraire elle fait seule son travail et il est aussi bien fait que si Louis était là. Rien n'en souffre. Je crois seulement qu'elle est un peu jalouse que je charge chez vous "Je suis, dit-elle, avec Marie-Louise aussi bien enfants de mon Papa que Bougaud et il n'y a qu'à lui qu'on aide. On les charge on leur en fait." Je prends sur moi pour ne pas lui en vouloir et lui cause comme si je ne savais rien quoique sachant tout. Très bonne entente avec tous et quoique Papa soit souvent mécontent il insiste sur ce pont: Garder le parfait accord. C'est ce que je fais et je t'embrasse bien fort. Ceci par exemple gardes-y pour toi et n'y approfondis pas

[Manque la fin de la lettre]

 

 

11 Juin -

 Exercices le matin - Travaux l'après-midi.

 

 

12 Juin -
 Repos le matin - A 10 h départ direct à la tranchée. Nous sommes aux gabions - Relevés à 6 heures nous rentrons à Hecken.

 

13 Juin -
 Dimanche - repos.

 

14 Juin -
 Travail le matin aux avant-postes. Repos l'après-midi et à 6 h 20 départ aux abris du bois - Transport de chevaux de frise de 8 h à 12 h.

 

15 Juin -
 Repos au bois - On entend le canon dans les Vosges et à 10 h bombardement de grosses pièces du côté de Dannemarie. Dans l'après-midi revue d'armes démontées, chose absolument contre le bon sens en cas d'attaque soudaine. On ne nous permet pas d'être déséquipés, on nous oblige à être momentanément désarmés. A 6 heures nous prenons les avant-postes au ponceau.

 

16 Juin -
 La journée se passe assez calme. Le soir nous revenons coucher à Gildwiller-Village. Nous assistons à un combat d'aéros. L'appareil ennemi a été obligé de descendre à Thann.

 

17 Juin -
 Repos toute la journée et revue à 3 heures. Le soir nous retournons aux abris du Buchwald. Le 1er peloton est aux tranchées ; le second de travail pendant la nuit ; je suis de patrouille de 1 h du matin au jour en avant des réseaux. Rien à signaler qu'un feu allumé par l'ennemi entre les 2 Burnhaupt sans doute de vieux débris de gourbis qu'il ne peut brûler le jour.

 

18 Juin -
 Repos et départ au Buchwald et retour à 6 h ; de 6 h à 8 bombardement aux [avant-postes ?] d'Ammerzwiller

 

19 Juin -
 Repos et départ aux tranchées le soir. Ma demi-section se trouve affectée à 294 où je rencontre le petit Laurent du 172. A huit heures ¼ je suis désigné avec Alfred, Gillot, Gillard et le caporal Claviotte pour fournir la patrouille des boqueteaux. Le lieutenant vient nous y installer. A 11 heures j'entends Alfred placé en avant avec Gillot crier fortement - "Halte-là !" - puis un grand bruit de pas et de voix et le coup de sifflet signal de retraite. Des Allemands nous surprennent par derrière puis j'entends Alfred dire "Est-ce-toi Pierre ? " croyant toujours avoir Gillot ou Claviotte devant lui. Puis il tire un coup de feu le tout en un clin d'oeil. Je me trouvais en arrière. Mon seul souci est alors de veiller à leur retraite et de parer à un mouvement tournant des Boches. Effectivement j'arrête successivement Claviotte venant du côté du bois opposé à moi et les 3 autres qui se sont détachés du bois pour se défendre et qui viennent se jeter contre nos fils de fer que nous avions dépassés. Puis nous nous replions et nous regagnons la tranchée. Un poste est placé pour surveiller l'entrée du bois. Peu s'en fallut qu'on soit pris.

 

20 Juin -
 Dimanche - A 11 heures nous sommes relevés et rentrons à Hecken - Repos.

 

21 Juin -
 Travaux de propreté le matin. On apprend qu'une patrouille de la 17ème a eu un blessé et 2 disparus (prisonniers sans doute). Travail l'après-midi. Renseignements pris ce sont les patrouilleurs volontaires de la brigade qui ont été engagés et ont perdu 2 hommes tués dont le sergent, un blessé et 2 disparus.

 

22 Juin -
 Travail. Transport de chevaux de frise le matin sur des voitures. Le soir je suis de corvée pour aller chercher le matériel à Lachapelle. Je me trouve drôle de faire un petit voyage en voiture après 11 mois que nous sommes partis.

 

23 Juin -
 Marche le matin. Douches l'après-midi.

 

24 Juin -
 Travail le matin. Garde de police à partir de midi. Je suis planton au téléphone.

 


 

35a.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte postale 393-Hecken

Le 25 juin 1915

Bien chère Félicie

J'ai reçu ta bonne lettre du 20 en même temps qu'une autre de maman, ce qui me prouve que son état s'améliore. Tant mieux, car je craignais qu'elle soit encore plus gravement malade que tu me le disais. A présent recommande lui toujours de prendre des précautions et de se bien soigner de même que Jeanne qui n'est pas forte maintenant. La santé est un bien si précieux qu'il ne faut pas la négliger.

Et chez vous comment se maintiennent-ils avec toute leur besogne et les soucis qu'ils ont à notre sujet. Louise n'est-elle pas trop fatiguée et ne souffre-t-elle pas trop des grandes chaleurs ? Et Marguerite et Adèle, ne sont-elles pas trop surmenées malgré leur ardeur. Elles sont toujours jeunes et malgré leur vaillance il y a des précautions à prendre à cet âge. Je suis trop content lorsque je sais que chacun est bien portant et je vous recommanderai toujours, dans ce but, de n'en pas faire plus que vous ne pouvez. On fournit bien un effort un certain temps, mais il vient un moment où l'on ne peut plus et comme on ne voit pas de fin à cette triste guerre, il est prudent de se ménager.

Nous sommes actuellement dans ce pays sans église, mais, quand nous y sommes le dimanche, nous ne nous passons pas de messe pour autant. La grange de cette maison est un peu décorée de drapeaux alsaciens et français et de quelques fleurs. Un autel de fortune est dressé au fond et c'est là que nous assistons aux offices. Le dimanche, nous avons repos complet et chacun a toute liberté pour y assister. Malgré cela, on y vient de moins en moins. Sans doute parce que nous sommes [à suivre... ]

 

35b.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

[suite sur carte postale - Edit. Cardot, Belfort Censurée :]

Guerre européenne- Haute-Alsace 1914-15

Les villages reconquis - TRAUBACH-le-BAS sous la neige. Dans le fond, l'Ecole

 

[... suite :] trop tranquilles. Si tous les régiments ne sont pas plus religieux que le nôtre, j'ai bien peur qu'après la guerre on ne soit pas mieux dirigé qu'avant. Malgré cela je crois que nous sommes encore mieux partagés que Saint-Aubin où vous êtes privés de tout office religieux alors que vous avez tant besoin de réconfort. Je vois que tu t'impatientes quelquefois d'avoir des nouvelles. Or, il n'en est pas de ma faute, car je t'écris assez régulièrement, mais les lettres ne partent pas toujours le même jour ou il y a un retard voulu dans les postes.

Lundi à midi, nous allons repartir pour 8 jours aux avant-postes et nous ne rentrerons pas dans un village pendant toute cette période. 24 heures sur 48 seront passées à la tranchée et le reste dans des baraquements construits dans le bois. Je n'ai pas l'occasion de voir Louis ces jours-ci car il n'est pas dans le même pays ; je pense néanmoins que la santé de son frère l'Abbé est meilleure et qu'il surmontera encore cette fois la crise. J'envie beaucoup le sort de Raymond et de mon parrain et je voudrais bien comme eux être à même d'aller vous aider pour la moisson terriblement précoce cette année. Malheureusement, il n'est pas en mon pouvoir.

Je t'envoie une coupure de journal relative à des chevaux de l'armée. Si mon papa, qui est si mal monté pouvait en avoir un au train à Dôle, je crois que ça ne lui nuirait pas. Mais ce n'est peut-être pas très facile. Prochainement tu me diras comment vous comptez faire après moisson car tu es mieux placée que moi pour juger. De mon côté je tâcherai d'organiser de mon mieux pour que vous ayez le moins à faire. Fais également à ton idée pour l'échange d'une génisse. Tu vois bien tes ressources et je n'y vois pas d'inconvénient. J'ai d'ailleurs toute confiance en toi et te le répète encore : "Faites pour le mieux. Tout ce que vous ferez sera bien fait". Je termine en vous recommandant encore de veiller à vos santés et dans l'espoir d'avoir bientôt de vos bonnes nouvelles, je vous embrasse tous trois de tout mon coeur. Ton cher H. Bougaud

 

25 Juin -

 Nous sommes relevés à midi. Repos l'après-midi comme sortant de gardes. Exercice pour les autres.

 

 

26 Juin -
 Travail aux abris de 5 à 9 h 30 et de 2 h à 5 h.

 

27 Juin -
 Dimanche - Repos. Il pleut dans la nuit.

 

28 Juin -
 Repos le matin. Départ à 11 h à Gildwiller et à 5 h nous partons aux avant-postes du Buchwald "Villa des Coucous". Ma section est à la tranchée 2 (ouvrage central).

 

29 Juin -
 Relevés à 6 h nous rentrons à Hecken.

 

30 Juin -
 Repos à 5 heures nous allons au poste dans le bois.

 

1er Juillet -
 La journée se passe paisiblement. Il y a échange de bombes au 242 et quelques coups de mitrailleuses sur les travailleurs du génie dans le bois poste 2. A 6 heures nous rentrons à Gildwiller où nous fournissons les issues.

 

2 Juillet -
 Garde aux issues sur Diefmatten. Le soir nous partons aux avant-postes à la tranchée des poiriers.

 

3 Juillet -
 Service de la tranchée. Retour aux abris de la hêtraie à 6 h. Dans la nuit violente cannonade.

 

4 Juillet -
 Dimanche - Repos dans le bois. A 9 heures messe sous bois - à 3 heures service d'alerte pour aller occuper la lisière - soupe à 4 h. Départ à 5 pour la tranchée avancée nous sommes à la cuvettte. Hier la patrouille du boqueteau de la 21è Cie a été attaquée à coups de grenade et s'est repliée. Ce soir une patrouille de 15 hommes y va mais ne voit rien.

 

5 Juillet -
 La journée est assez calme à 6 h retour aux nouveaux abris. Des officiers de cavalerie passent dans la tranchée. Nous devons quitter le secteur.

 

6 Juillet -
 A 11 heures le 5è bataillon nous relève et nous rentrons à Hecken.

 

7 Juillet -
 Je deviens cuisinier - à 7 heures nous quittons notre secteur où une division de cavalerie nous remplace. Le régiment va en repos à St-Cosme, Bellemagny, Bretten, Eteimbes. Le 6è bataillon est à Eteimbes. Nettoyage du cantonnement l'après-midi.

 

8 Juillet -
 Revue d'armes le matin. Nettoyage et revue en tenue de campagne l'après-midi.

 

9 Juillet -
 Prise d'armes pour la remise des croix de guerre au bataillon qui aura lieu demain. Nouvelle revue l'après-midi. Il faut que ça brille.

 

10 Juillet -
 A 6 h départ pour la revue qui se passe entre St-Cosme et Vauthiermont. Remise des croix de guerre en présence du 242 et du 260. Retour à Eteimbes à 11 heures. L'ordinaire est un peu amélioré pour l'occasion. Repos l'après-midi.

 

11 Juillet -
 Dimanche - Repos.

 

12 Juillet -
 Exercice le matin à l'emplacement de la revue de 6 h à 9. Bain l'après-midi et travail à partir de midi. Exercices des grenadiers.

 

36.- LJ=>H

Langres 13 Juillet 1915

Cher Bougaud

Je réponds seulement à ta carte que j'ai reçue la semaine dernière où tu me parles de ma permutation. Cette affaire est finie, il y a assez d'artilleurs et jamais trop de Chass. à pied, donc je ne puis changer. Voici une autre affaire : on donne des permissions agricoles aux cultivateurs de la classe 16 et comme j'en suis, j'espère partir pour une huitaine et ces jours-ci ; de cette façon j'aurai au moins le plaisir de tous les revoir avant de partir si toutefois j'en ai l'honneur. Aubin Bougaud quitte Langres le 15 juillet avec le détachement de renfort à Lorette, ce n'est pas si agréable que moi. Papa et Maman sont venus me voir dimanche il y a 10 jours, cela ne veut pas m'empêcher d'aller à St Aubin puisqu'on nous en donne la permission. J'espère que la prochaine fois que j'y retournerai tu y seras et nous aurons peut-être le plaisir de nous retrouver un jour tous réunis.

En attendant ce jour, reçois de ton beau-frère les meilleurs baisers. Donne le bonjour à Louis et donne lui de mes nouvelles. J'ai reçu sa carte en même temps que la tienne.

Ton beau-frère Louis-Joseph

(Correspondance des Armées de la République)

(Nom: Mougeot Grade: Chasseur 2e Escouade

14e Compagnie 3e Bataillon, Langres

à Monsieur Bougaud Hipp.

260e d'Infanterie 22e Cie 6e Bataillon, SP N°42)

 

 

13 Juillet -

 Marche le matin par Lachapelle, Angeot, Vauthiermont, St-Cosme, Bellemagny, Eteimbes. L'après-midi travail.

 

 

14 Juillet -
Echange d'effets le matin. Repos. Aucune revue ni solennité. Bon ordinaire.

 

15 Juillet -
 Exercice le matin. Travail l'après-midi.

 

16 Juillet -
 Marche par Lachapelle, Angeot, Larivière, Vauthiermont, Bréchaumont, St-Cosme, Bellemagny, Eteimbes. Revue à 4 heures d'effets, de draps et linges de corps.

 

17 Juillet -
 Exercice le matin. Travail l'après-midi. Hier les Boches tiraient sur le ballon de Senthé [ = Sentheim ?? xx] ; nous voyons les éclatements depuis Eteimbes.

 

18 Juillet -
 Dimanche - Repos

 

19 Juillet -
 Marche par Lachapelle, Leval, Ballon vers St-Germain (St-Germain-le-Châtelet), Lachapelle. L'après-midi, repos et nettoyage du cantonnement.

 

20 JUILLET.
La compagnie part à 5 h le matin et va travailler entre Sternenberg et Diefmatten. Retour à 6 h du soir.

 

21 JUILLET.
La compagnie part à 5 h le matin et va travailler entre Sternenberg et Diefmatten. Retour à 6 h du soir.

 

22 JUILLET.
La compagnie part à 5 h le matin et va travailler entre Sternenberg et Diefmatten. Retour à 6 h du soir.

[PERMISSION]

 

 

30 Juillet 1915 -
 Je rentre de permission et arrive à 9h30 à Besançon. En attendant de reprendre le train de 3 heures je vais jusqu’à St Claude et j’ai le plaisir de causer un moment avec Raymond. De retour à la gare à 8 heures j’arrive à Belfort à 6 h 30 et nous allons coucher au quartier Gérard.

 

31 Juillet à 5 heures 30 -
 Départ par le train et nous arrivons autour de 7 heures à la Chapelle. Le régiment est reparti aux avant-postes à Gildviller et nous le rejoignons autour de midi. Nous sommes à un poste situé en avant du bois à mi-chemin de la tranchée avancée.

 

1er Août -
 Dimanche. Relevés à 6h du matin nous rentrons en réserve dans les abris du bois. A 3h, notre artillerie tire et les Boches répliquent par une trentaine de coups sur le poste 3.

 

37.- F==>H

St Aubin 2 Août 1915

Mon bien cher Bougaud

Voici 4 jours que tu m'as quittée et tu as du rejoindre ton régiment aux avant-postes, n'étais-tu pas trop fatigué et depuis comment ça va. J'espère que comme moi tu es toujours bien content d'être venu faire un petit tour et je sais que tu es assez courageux pour prendre sur toi d'être vaillant. Je te dirai d'abord que moi je l'ai été et je suis encore ; il est vrai toutefois que pendant mon retour et l'après-midi le temps m'a duré beaucoup mais j'ai repris courage assez vite en me disant qu'il fallait me contenter de t'avoir vu. Aujourd'hui ça va et je suis fière de t'avoir vu partir si gaillardement. Marie-Louise dit maintenant que le papa est parti à guerre en Azace ou encore: à talue. Nous avons bien fait de l'avoir menée à Tavaux, elle s'est ainsi mieux rendue compte de ton départ. Tu as du retrouver Louis et Alfred ; quand espèrent-ils venir ? On dit que les permissions sont supprimées en Alsace. Est-ce vrai ? Samedi j'ai chauffé le four. Dommage que tu n'étais plus là pour manger une bonne galette aux prunes, mais je suis bien contente que tu sois venu, plutôt que d'être à venir. On ne sait ce qui peut arriver et dans ce métier on est sûr de rien. L'après-midi de samedi je suis allée avec Jeanne, Adèle et Marguerite finir le turquie et rentrer la fameuse orge, que de chardons dans les 2 champs de contour, j'avais envie d'en brûler, mais comme il y en avait partout autant nous avons tout lié entre les quatre. Ça piquait bien fort, je t'assure. Hier nous sommes allés à La Loye ; partis à 8 heures nous sommes arrivés à plus de 11 heures. C'était bien long pour Albert, et Marie-Louise, qui est toujours diable, est descendue bien des fois du siège pour avoir le plaisir de regrimper. Le temps n'était pas bien engageant le matin et à 2 h ½ il pleuvait, tu peux croire que j'étais bien en souci du retour. A 5 heures ½ nous nous embarquions par un brouillard et à peine dans le bois les coups de tonnerre craquaient et la pluie tombait à verse ; juge de la situation ; l'oncle Eugène avec la grand-mère et tante Lavrut devant, Jeanne et Suzanne avec Marie-Louise endormie derrière, avec moi et Albert en face. Les petits étaient bien garantis: heureusement car il pleuvait fort et il y a long. Albert surtout a été très difficile, nous avons traversé Dôle en criant bien fort et le pauvre petit ne pouvait se tenir ni d'une façon ni de l'autre, ton Papa faisait voiture tout seul avec la Marmotte et le poulain de Marie-Louise, en passant par les traverses il est arrivé avant nous à Tavaux, bien mouillé n'ayant qu'une pèlerine pour abri, les petits étant éreintés nous avons couché chez l'oncle Eugène car il était 9 h moins ¼ et nous n'étions que les deux Jeanne pour revenir avec eux heureusement que nous avions laissé Alice à La Loye pour 8 jours, nous nous demandons encore comment nous aurions fait si nous l'avions ramenée aussi : le matin nous avons quitté Tavaux à 6 h ¼ nous avons eu un petit brouillard au commencement, mais ça s'est élevé et à 7 h ¼ nous arrivions juste à temps pour ne pas nous faire tremper car à 7 h ½ il en tombait au seau. Depuis cette heure il pleut bien fort et il tonne un peu, ça va mouiller les avoines ; il y en a 68 moyettes [?] de 5 au pré Rondot et 28 de 5 aussi aux Rolots. Si la pluie voulait faire périr les rates ce serait un grand bien ; elle a déjà fait beaucoup de bien, ainsi les pommes de terre du jardin qui étaient toutes petites ces jours derniers, aujourd'hui sont énormes. Je suis bien contente de mon voyage de La Loye. J'ai trouvé Marie-Louise très bien et bien à son affaire, sa belle-mère a l'air bien bonne pour elle, elle était très contente de voir les petits [?] et de garder Alice. Tout en arrivant la tante Marie-Louise a donné un petit seau et une pelle à Alice et Marie-Louise et elles ont tout passé leur temps sur le tas de sable. Mais tu sais, j'y suis allée c'est bien ; mais ce n'est pas de si tôt que j'y retourne surtout avec les petits ; c'est trop loin et c'est trop de maux. Mon chapeau de noce est confondu, immettable, c'est dommage il m'aurait encore fait l'hiver.

Louis-Joseph part aujourd'hui à 1 heure ½. Il est bien content de s'être trouvé avec toi et repart bien courageux ; l'oncle Victor va un peu mieux mais je ne sais pas s'il pourra s'en tirer. Depuis ton départ Marie-Louise à chaque instant m'embrasse, elle est bien flatteuse ces jours-ci ; hier soir dès que son frère dormait elle l'embrassait et l'éveillait. J'ai couché avec eux deux pour les séparer dans le lit de la grand-mère. J'ai reçu samedi une sommation du percepteur réclamant le paiement des impôts et je vais m'en débarrasser demain. Aujourd'hui pèlerinage à Mt Roland ; ce n'est pas une partie de plaisir que d'y être, il y a beaucoup de monde de St Aubin mais mes soeurs devaient y aller, mais à bicyclette, aussi elles sont restées chez nous. Demain terrible anniversaire pour beaucoup. Espérons que cela ne durera pas encore trop longtemps. Bien des choses à Louis et Alfred et à toi mon cher Bougaud toute mon affection et mes meilleurs baisers. Félicie

 

2 Août -

 Anniversaire de la mobilisation. A 6h, nous rentrons à Traubach, mais une partie de la compagnie reste aux avant-postes pour le travail. Elle ne peut travailler par suite du bombardement et de la pluie. Nous sommes aux issues sur Traubach-le-Bas. Les habitants de Traubach-le-Haut sont punis de 8 jours d’interdiction de sortir pour avoir lancé des fusées la nuit le jour de la relève du 242. Ce n’est pas trop payé, quoiqu’ils soient en pleine moisson.

 

 

3 Août -
 Relevés à 7 heures. Exercices de grenades et de bombes asphyxiantes et travail.

 

4 Août -
 Travaux de propreté et travail.

 

5 Août

 

6 Août -
 Notre peloton est grand-garde à Balschwiller et le 1er est aux tranchées de 1ère ligne. A 8 h, nous allons le relever à la tranchée de Bernviller. Les Boches envoient 7 ou 8 obus sur Eglingen.

 

7 Août -
Les Boches envoient 3 obus sur Balschwiller. Relevés à 9 h nous rentrons à Buschviller [Balschwiller ?]

 

8 Août -
Dimanche. Repos le matin. Travail le soir

 

9 Août -
Travail à 4h½. Repos l’après-midi. A 8h½.départ pour Balschviller où nous sommes grand garde à la route de Thann.

 

10 Août -
 A 5 h les Boches bombardent les tranchées d’une quinzaine d’obus. A 8 h nous prenons la tranchée à la route de Thann. Le caporal Michelot est tué par une patrouille ennemie dans la nuit.

 

11 Août -
 A 6 h du soir nous assistons à un violent bombardement de 22. A 8 h nous sommes relevés et rentrons à U[e]berkummen.

 

12 Août -
 Repos le matin. Enterrement à Buschviller [Balschwiller ?]. A 8 h travail de (nuit). On tire des schrapnells sur la section et elle rentre plus tôt. Aucun accident.

 

13 Août -
Repos toute la journée. A 6 h nouveau bombardement des tranchées avec de grosses pièces et des torpilles.

 

14 Août -
 Nous sommes relevés à 5 h ½ du matin par le 242 et nous rentrons au repos à Ballergen.

 

15 Août -
 Dimanche Assomption. Repos.- à 8 heures prise d’armes pour distribution de croix de guerre.

 

16 Août -
 Repos le matin, nettoyage du cantonnement et revue l’après-midi par le colonel.

 

17 Août -
Marche le matin. Travail l’après-midi

 

18 Août -
Vaccination antivariolique. Le soir travaux de propreté.

 

19 Août -
 Revue de la brigade par le général de division entre St Cosmes et Vauthiermont. Travail l’après-midi.

 

20 Août -
 Départ à 5 heures. Nous quittons Bellemagny pour céder le cantonnement à des tirailleurs algériens et nous venons à Vauthiermont. Repos et nettoyage du cantonnement.

 

21 Août -
 Exercice le matin. Travail l’après-midi

 

22 Août -
 Dimanche. Repos.

 

23 Août -
 Exercice le matin. Douche l’après-midi à Bellemagny.

 

24 Août -
 Exercice de bataillon entre Fontaine et Lacollonge. Nous rentrons à 11 heures. Exercice des grenadiers l’après-midi.

 

25 Août -
 Marche par Angeot, la Chapelle, Eberwiler, Bellemagny, St Cosmes. Le soir vérification des vaccins et travail jusqu’à 4 heures.

 

26 Août -
 Matin à (Jorhain) la Collonge, exercice vers le bois de la Collonge et retour par Fontaines, route de Vauthiermont. Travail l’après-midi.

 

27 Août -
 Marche par La Rivière. Collonges. Fontaines. Reppe. Travaux de propreté.

 

28 Août -
 Départ à 5 heures pour les avant-postes. Nous allons relever la division de cavalerie qui est au ponceau, la cuvette et 294. Nous arrivons à Hecken à 7h½ en passant par Bréchaumont et Traubach. Repos l’après-midi. Bombardement la nuit.

 

29 Août -
 Dimanche. Repos.

 

30 Août -
 Travail aux avant-postes toute la journée.

 

31 Août -
Marche par Dieffmatten, Soppe la Douane, (Mersviel), Eberwiler, Bretten, Sternenberg, Hecken. Douche l’après-midi. Travail de nuit.à 10 h. minuit et 2 h. du matin bombardement par les 120 ou les 75 sur les travailleurs et ravitaillements ennemis.

 


 

 

[peut-être (1 ??) Septembre 1915]

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Carte Postale: Guerre européenne Haute-Alsace Etablissement de défenses par fil de fer

Je ne voudrais pas t'envoyer ma lettre telle qu'elle est, et quelques paroles d'amitié après mes appréciations ne sont pas de trop je pense, pour te prouver que je vous aime toujours de plus en plus et remonter ton courage. Tu ne peux te figurer le plaisir que j'ai à recevoir de toi de bonnes nouvelles de nos deux chers petits. Je suis très content de savoir qu'Albert grandit toujours et te donne toute satisfaction comme il a toutes les félicitations de ceux qui le voient. Les quelques mots que Marie-Louise me trace quelquefois sur tes lettres, guidée par ta main, me vont droit au coeur et me prouvent une délicate attention de ta part. Je suis heureux de savoir que Marie-Louise sait me reconnaître si bien chez moi que sur le secrétaire de mon papa. Ne perdons pas confiance, un jour viendra où elle ne voudra pas me reconnaître, je le sais bien, mais nous serons vite bons amis.

Et toi, chère Félicie, veille bien à ta santé et ne prends pas un souci exagéré à notre égard. Si le jour de notre retour est éloigné, je le crois certain et alors ce sera un beau jour où je pourrai vous confondre tous les trois sur mon coeur. Ayons donc confiance en Dieu, et ne nous décourageons pas malgré tout. En attendant, recevez mes plus tendres baisers. Ton mari qui t'aime H. Bougaud

Mes meilleures amitiés à chez vous et recommande leur la prudence et les ménagements.

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[Carte postale non datée, signée Louis et adressée à "Monsieur Hippolyte Bougaud à Saint-Aubin Jura" représentant 4 soldats posant devant une église alsacienne et sous-titrée "Armée d'Alsace 1914, 15 ?"]

 

 

 1er Septembre -
 

Exercice le matin. Travaux de propreté et nettoyage des armes l’après-midi.

 

[Date : 2 septembre 1915 ??]

Cher papa, chère maman et chère petite Jeanne

Je vous envoie mes amitiés et de bons baisers affectueux. Santé toujours bonne de tous les trois. Bougaud ne veut pas tarder à aller vous embrasser. J'espère que mon tour viendra aussi. En attendant, je vous embrasse, votre fils et frère qui vous aime. Louis

 

 

2 Septembre -

 Travail aux avant-postes.

 

 

3 Septembre -
 Marche par Sternenberg, Bretten, Eteimbes, la douane, Sopppes-le-Bas et Digmatten. Travaux de propreté l’après-midi.

 

4 Septembre -
 Il pleut toute la journée. Repos.

 

5 Septembre -
 Dimanche. Départ à 4 heures du matin pour les avant-postes du Bannensthiel. Nous allons directement aux Poiriers où nous devons passer 4 jours consécutifs. Le soir à 9 heures, violent bombardement par notre artillerie de convois allemands dans la direction de Burnhaupt.

 

6 Septembre -
 Journée assez calme passée aux Poiriers. La nuit nouveau bombardement par notre artillerie mais dans une autre direction. Les Boches ne répondent pas.

 

7 Septembre -
 Dès la pointe du jour, les Boches bombardent avec des 77 frisants nos tranchées depuis les gabions à Soppes. Toute la journée lutte d’artillerie. Nuit calme.

 

8 Septembre -
 Journée assez calme jusqu’à 4 heures du soir. A cette heure violent bombardement par notre artillerie des tranchées et abris allemands vis-à-vis de nous. Bombardement des deux Burnhaupt, particulièrement de Burnhaupt-le-Bas où nos obus déterminent un violent incendie à 7 heures du soir. A 9 heures du soir un autre s’allume à Burnhaupt-le-Haut.

 

9 Septembre -
 Retour à 6 heures aux baraquements du Pfannensthiel. Repos toute la journée. Les Boches répondent aux bombardements d’hier et tirent sur la Hetraie, Gildviller, Hecken, Diefmatten. On apprend qu’un de nos obus a tué un observateur d’artillerie. Bombardement la nuit par notre artillerie.

 

10 Septembre -
 Travail le matin et l’après-midi

 

11 et 12 -
 Dimanche. Travail. Le soir du 12 travail de nuit à la tranchée des Poiriers. Dans le jour, bombardement à 10h et à 4h du soir

 

13 Septembre -
 Départ pour Sternenberg où nous arrivons à 7 heures. Repos le matin et travail l’après-midi. Alfred part en permission. Bombardement des trains des Boches à 5 h.

 

14 - 20 Septembre -
 Travail tous les jours et chaque jour bombardement de jour ou de nuit. Le 19 principalement à 5h les Boches commencent et tirent sur Gildviller. Les nôtres se mettent de la partie et pour leur imposer silence, une batterie tire jusqu’à 300 coups dans une petite heure.

 

21 Septembre -
 Les permissions sont suspendues à partir d’aujourd’hui. A 5 heures nous retournons aux avant-postes aux baraquements de la Hetraie.

 

22-23-24 Septembre -
 Travail tous les jours sauf le 24 l’après-midi.. Chaque jour bombardement.

 

25 Septembre -
 Départ à 5 heures pour les tranchées, nous allons à la cuvette. Le temps se couvre et un grand vent se lève. Bombardement à 10 h et 0 h.

 

26 Septembre -
 Dimanche. De 3 h du matin à midi il pleut et le vent souffle en tempête. Nous sommes plus ou moins mouillés et le séjour dans la tranchée est plus ou moins agréable par suite de la boue. Hier les Boches ont répondu au bombardement et nous ont gratifiés, inutilement, d’une dizaine de 77.

 

27 Septembre -
 Nouveau bombardement d’abris des mitrailleuses en face de nous. Ces trois jours les Boches, contrairement à leur habitude, ne répondent pas.

 

29 Septembre -
 Nous sommes relevés à 6 heures et nous rentrons à Hecken. Repos le matin et travail l’après-midi.

 

30 Septembre -
 Travail. On apprend que la 114ème brigade qui était derrière nous est partie embarquer à Belfort.

 

Xyz

[Page écrite à Bougaud probablement en octobre 1915]

[Page de carnet 9 cm x 14,5 cm n°] 5

Ta petite fille Marie-Louise a fait aussi bien des maux à Félicie après la guérison de sa brûlure. La maladie lui tombe dessus, ce qui l'a tenue bien en souci. Je l'ai quittée a peu près rétablie. Je pense qu'elle ira bien maintenant tout en prenant des précautions. Ce qu'il y a surtout de consolant, c'est son filleul qui prend plaisir à pousser comme un champignon. Je crois qu'il ne veut pas tarder à peser 2 M. Louise ; il est très gentil et il m'a bien souri. J'espère que la fin de tous ces maux viendra quelque fois et que tu pourras bientôt reprendre

[page de carnet, n°] 6

ta place au milieu de ce foyer. J'ai reçu en même temps que la tienne une carte d'Emile [Mougeot???] qui est toujours dans les tranchées ; il me dit qu'ils ont été obligés de les évacuer un certain jour parce que l'eau arrivait dedans et a monté jusqu'à 90 cm. Il espère toujours que ça finira et paraît assez courageux. Ayons confiance et prions. Tout n'est pas perdu et en attendant qu'on se retrouve tous à St Aubin je t'embrasse de tout coeur. Mes amitiés à Louis et Alfred, bien des choses de ma part aux St Aubin.

Ton beau-frère. Louis-Joseph

Nous avons [?] ici en terre [?] de guerre [?] cartouches et le reste

 

 

 

1er Octobre -

 Travail.

 

 

2 Octobre -
 Travail. Le soir travail de nuit.

 

3 Octobre -
 Dimanche. Remise de la croix de guerre au commandant le matin, repos l’après-midi. Travail de nuit de 6 à 11 heures.

 

4 Octobre -
 Repos le matin.

 

5-6 Octobre -
 Travail toute la journée.

 

FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 7 8bre [octobre]1915

Mon bien cher Bougaud

Qui aurait cru que toi ainsi que tout le 266 devait partir en Serbie. Si loin, et que deviendras tu là-bas et nous ici que ferons-nous en attendant ta première lettre et ton retour - assurément elle sera longue à venir et je m'effraie rien qu'à y penser, surtout qu'en ces moments je te voudrais tant près de moi pour m'aider dans les soins à prodiguer à Marie-Louise. Pauvre mignonne, la fièvre l'a quittée hier soir à 8 heures. Elle avait bien reposé la nuit, ce matin elle était bien abattue mais calme sans fièvre jusqu'à 2 heures à partir de 2 h ½ la fièvre l'a reprise plus violente et très agitée, je craignais une méningite tellement elle souffrait de la tête, la sage-femme que tante Jeanne est allée chercher à télégraphier au docteur qui était ici dans le moment, nous ne le savions pas et dans le désarroi nous n'avons pas songé à nous en informer, il est donc revenu ce soir à 7 heures pour 15 frs, peu importe, la visite était nécessaire. Il l'a bien examinée et malgré qu'il n'y ait rien de déclaré, il trouve quelque chose d'anormal au sommet du poumon droit. Il espère néanmoins qu'il n'arrivera rien. Elle aurait un peu d'entérite, c'est ce qui ferait qu'elle aurait tant de fièvre et surtout son tempérament nerveux lui occasionne tout ceci. Des précautions des tisanes, du sirop, un peu d'antipyrine, oh guère, et du bouillon de légumes voilà son régime, elle ne prend rien d'ailleurs, inutile donc de nous défendre les aliments solides.

Ta soeur Marguerite est venue la voir ce soir et la trouvait pas, il est vrai que la grave crise était passée. Et en ce moment où je t'écris, elle repose assez bien. Jeanne passe la nuit ici au cas où j'aurais besoin de son aide. Plus heureuse que moi. Marguerite aura très probablement le bonheur de te voir et de t'embrasser avant ce redoutable départ. Pour moi, je ne peux me joindre à celles qui entreprendront ce voyage ; ma présence est indispensable ici. Tu peux croire que je regrette profondément ne pouvoir me rendre auprès de toi quelques instants. Je la charge donc de te remettre 100 frs. Qui sait quand nous aurons la facilité d'en envoyer d'autres, avec cela ton chandail, 2 paires de chaussettes, tes gants et ton passe-montagne ; j'y joins aussi du papier à lettre. Je pense que malgré la distance effrayante qui nous séparera désormais tu écriras bien souvent quand même. Ce départ m'attriste profondément tu peux croire et rendra encore plus pénible notre [votre?] séparation si dure déjà. Mais je te sens courageux et avec la grâce de Dieu j'espère que tu me reviendras malgré tout, en bonne santé. Sois prudent, et tout en faisant ton devoir ne t'expose pas, je t'en prie. Que de dangers à courir d'ici votre débarquement et une fois là-bas ce ne sera pas fini. Sais-tu qu'hier matin je rêvais justement que le 260 partait en Serbie, cela m'a remuée si fort que je me suis éveillée en disant, non ce n'est pas possible, j'étais loin de penser que des St Aubin passeraient cette nuit même à Tavaux [?] et y jetteraient des lettres. J'ai appris à 3 heures votre départ et ne puis me résoudre à y croire. A quand donc notre réunion vraie et durable ? Il faut vraiment tout son courage pour supporter de telles épreuves et sans la grâce de Dieu je crois qu'on se laisserait aller au découragement.

C'est fini je crois pour maintenant, de compter sur tes conseils pour maintenir en état la culture ; tu vois que je ne suis pas capable de rien, pour 3 jours que je devais porter la soupe, j'en suis empêchée et par un mal bien imprévu ; en effet Laurence est allée porter la soupe en Crimée ces deux jours derniers à chez vous qui ont semé nos deux hectares, je vais déjà te dire que ma semence est plus qu'à moitié faite en effet: Les Saunières 4 j ½, Pré Monsieur 24 ares, la Madrille 4 j ½, Crimée 2 hectares et les Grands Près et Tope Cardet [?] en tout 17 journaux. La durée sans fin de la guerre n'engage guère, je ne te le cache pas à cultiver et à tant prendre de peines pour faire le travail. Il aurait mieux valu je crois, ne rien cultiver du tout, ce serait peut-être fini et nous aurions été aussi avancés pour autant. Tu nous faisais pourtant bien espérer une nouvelle permission, je crois que c'est bientôt qu'on te revoie à St Aubin. Qu'est-ce qu'ils veulent donc faire pour envoyer tant de troupes là-bas ? Si c'est possible que je t'écrive donne à Marguerite ton adresse car je crains bien que comme à moi le temps te dure d'avoir des nouvelles. Prions ensemble pour nos chers petits et plus spécialement pour la guérison de M. Louise, et prions l'un pour l'autre ; Dieu nous soutiendra. Avant de terminer, je te dis bon courage, bonne santé et à bientôt des nouvelles. Au revoir, bien cher Ami et reçois avec mes plus affectueux baisers l'assurance de mon entier dévouement. Ta femme qui t'aime

Félicie

En relisant je pense que ma lettre d'hier ne te sera pas parvenue. Tu ne sauras donc rien de M. Louise. Apprends donc que depuis mercredi soir elle est prise de fièvre ardente ; elle marquait 41 ; c'est énorme sans maladie. Après avoir été bien gaie la matinée elle s'est endormie à table chose exceptionnelle et s'est réveillée le soir avec cette fièvre qui la mine. Tisserand est déjà venu la voir jeudi et comme aujourd'hui on devait le revoir et qu'il y avait du mieux, nous n'avons pas bougé à ceci ma lettre te donne suite. Bonsoir et mes plus doux baisers. F. Bougaud

 

 

 

7 Octobre -

 A 6 heures nous allons relever le 3ème R aux avant-postes. Arrivés aux baraques du Prannesthiel on nous avertit de rester équipés. La 11ème brigade devait se trouver prête à partir, destination inconnue. A 10h la 10ème division de cavalerie vient nous relever et nous rentrons à Hecken. Départ de tout le régiment à 1h30 et nous allons cantonner et coucher à Menoncourt en passant par Stenenberg, Bellemagny, St Cosmes, Vaulthier, Mons, La Rivière, la Collonge. Il est 7 heures du soir quand nous arrivons.

 

 

 

8 Octobre -
 Départ de Menancourt à 3 heures, nous passons à Schaffaus et arrivons à Belfort à 8 heures. Nous embarquons et nous partons de Belfort à 10h30. Nous allons à la Valbonne en passant par Besançon., Dôle, St Bonnet, St Amour, Louhans, Bourg, Ambérieu.

 

9 Octobre -
 Après une nuit de voyage, nous arrivons à Montuel à 11h. Repos l’après-midi.

 

10 Octobre -
 Dimanche. Repos. J’en profite pour aller à Fourvières dans la matinée.

 

11 Octobre -
 Repos. On nous vaccine contre le choléra.

 

12-13-14 Octobre -
 Nous attendons et l’on nous équipe tout à neuf.

 

15 Octobre -
 Nous embarquons à Montuel à 3 heures et à 4 heures nous filons sur Toulon en passant par Lyon, Valence, Orange, Avignon, Tarascon, Arles, Marseille. Nous voyageons de nuit jusqu’à Marseille.

 

Carte Postale: Guerre Navale LUTETIA

16 octobre 1915

Sur le pont de ce navire

Avant de partir je t'adresse la vue du navire qui nous emporte. Nous sommes logés à l'avant. Mais je crois que nous aurons une mer meilleure que celle-ci. Quel attirail là-dessus, ce n'est rien de le dire il faut y voir. Mes amitiés à tous et à toi mes plus doux baisers. H. Bougaud

 

 

16 Octobre -

 De Marseille à Toulon nous avons un agréable voyage jusqu’à Toulon et nous jouissons des beautés de la Côte d’Azur surtout à La Ciotat et à Alloules. Nous arrivons à Toulon autour de 8 heures. Immédiatement nous gagnons le port et embarquons à 4 heures à bord du Lutetia. A 5 heures nous quittons le port. Nous restons sur le pont jusqu’à la nuit. La mer est très belle. La traversée s’annonce bien. Magnifique coucher de soleil sur le rocher de Toulon et bel effet de lune sur l’eau.

 

 

17 Octobre -
 Dimanche. Repos. Au lever du jour nous arrivons en vue de la Corse. Lever de soleil sur l’eau. A 6 heures nous passons en vue de l’île d’Elbe, puis nous voyons l’île Fornica et le Rocher de Monte-Christo à gauche, pendant que la Corse file à droite. A midi nous ne distinguons plus que de l’eau partout. La mer est toujours très calme. Nous croisons un paquebot.

 

18 Octobre -
 Nous nous réveillons en vue des côtes de Sicile après avoir navigué au large des côtes d’Italie. Nous dépassons 2 transports. Nous nous dirigeons sur Malte où nous arrivons à 2 heures de l’après-midi. Nous faisons halte à 2 km environ du port. On fait la levée des lettres à bord et le torpilleur qui nous accompagne de Toulon les prend et les emporte. Un autre torpilleur le remplace et nous reprenons notre route vers Salonique. L’après-midi la mer est houleuse et la plupart ressentent les effets du mal de mer. Bientôt nous perdons de vue la terre et nous voilà à nouveau avec de l’eau à perte de vue. L’« Oxus » fait convoi avec nous.

 

19 Octobre -
 Nous ne voyons aucune terre. Nous croisons et dépassons plusieurs transports et voiliers. La mer est toujours houleuse mais indispose moins les passagers.

 

20 Octobre -
 Dans la nuit, le bateau file à toute vitesse. Le bruit a couru que nous étions suivis par un sous-marin auquel le torpilleur aurait donné la chasse. Etant couché, on sent les trépidations du navire. Au lever du jour nous avons perdu l’Oxus et nous nous réveillons dans l’archipel. Nous passons à proximité de rochers complètement dénudés et nous dépassons un transport grec chargé de troupes anglaises. A 10 h nous dépassons une flotte grecque de 13 navires escortés par des torpilleurs. Toute la journée nous voyons des terres à droite ou à gauche. Sur le soir nous arrivons à l’entrée du golfe de Salonique et nous voyons les côtes grecques de chaque côté. A 8 heures du soir nous arrivons aux torpilleurs anglais qui gardent l’entrée du port. Nous voyons le filet qui les protège contre les sous-marins. Ils nous reconnaissent et à 9 h nous arrivons dans le port de Salonique où le bateau jette l’ancre. Nous couchons à bord.

 

21 Octobre -
 Nous devons commencer de débarquer à 7 heures. Le 6ème Bon quitte le Lutetia et arrive à quai à bord du « Bon Voyage ». De nombreux soldats grecs, anglais et français sont à terre. Du bateau, l’aspect de la ville est très joli mais à terre, nous pataugeons dans une boue liquide de 10 cm d’épaisseur. Les rues sont très sales et l’on voit toute sorte de gens, de toute nationalité, habillés de toutes sortes de façons. La plupart sont dépenaillés et dégoûtants. Ça ne ressemble en rien aux villes de France. Les chevaux et harnais de l’armée grecque, comme les hommes, dénotent une pauvre armée. Nous faisons halte environ ½ heure à proximité de la gare. Des mercantis, plus voleurs les uns que les autres, viennent nous offrir toutes sortes de choses. Puis nous partons et nous allons camper dans un vrai désert où il n’y a ni arbre, ni eau. Nous établissons nos tentes. La bise souffle froide et forte. Dans la nuit, il pleut. Bon début. Le camp des Anglais, beaucoup mieux installé avec de grandes tentes et propre est installé vis-à-vis de nous de l’autre côté de la route. En cours de route nous passons à côté du cimetière en très mauvais état et d’un champ plus ou moins nauséabond où volent une multitude de corbeaux.. Nous traversons une cité de miséreux où les hommes logent pêle-mêle avec leurs bourricots.. Quel spectacle ! De nombreuses troupes arrivent là chaque jour et en repartent. La nuit se passe assez bien.

 

22 Octobre -
 Le débarquement des voitures n’est pas terminé et les cuisines roulantes ne sont pas encore arrivées. Nous faisons le café le matin mais à midi chacun se débrouille pour manger car elles n’arrivent que dans l’après-midi.

 

L’après-midi, j’ai la permission d’aller à Salonique. J’y trouve la vie horriblement chère et la ville, à part la rue Venizelos et le quai du port n’a rien d’attrayant.

 

23 Octobre -
 Le matin petite marche au travers du camp, de 7 à 10 heures et exercice pendant 10 minutes. L’après-midi revue 5 armes. Les permissions pour Salonique sont supprimées.

 

24 Octobre -
 Dimanche. Messe au camp à 7 h ½, à 8 h ½ exercice. L’après-midi corvée de lavage.

 

25 Octobre -
 à 4 h réveil. Nous démontons nos tentes et nous nous apprêtons à partir. A 6 heures départ, nous partons à travers les friches embarquer dans la première gare sur la ligne de Salonique à Nisch. L’embarquement terminé nous partons à 11 heures. Nous filons au travers d’un désert. A perte de vue la plaine et les coteaux incultes. Nous longeons le Vardar qui roule des eaux jaunes. A des intervalles très lointains, un petit groupe de trois maisons - - plutôt cabanes - et quelques hectares de terre un peu cultivées. Vers ces groupes sont installées des gares. C’est ainsi que nous défilons Tardin, Karaouglou, Karasuli, dernière gare grecque. De ci de là, un troupeau de moutons ou de buffles, mais pas un arbre et partout une mauvaise friche où l’herbe a peine à pousser. Entre Karaouglou et Karasuli nous longeons un grand lac où des canards sauvages par centaines prennent leurs ébats sans être dérangés par le passage du train. Nous entrons en Serbie et arrivons à la gare de Guevgueli où le train s’arrête environ ¾ d’heure Là nous trouvons des troupes françaises et les soldats serbes qui à part les GVC nous laissent meilleure impression que les Grecs. Le pays est un peu mieux cultivé et l’on voit quelques carrés de blé dont la levée a bonne apparence. Le long du Vardar, on voit des plantations de mûrier, un peu de coton, des figues mais pas d’arbres de France, quelques champs de maïs et du riz. Bientôt nous repartons et nous arrivons à Stroumitza [station] que les Bulgares ont attaquée l’avant-veille. Ils avaient été repoussés par les zouaves. Nous continuons à suivre le Vardar et à la nuit nous arrivons à la gare de Demir-Konya où nous descendons. Puis nous faisons 2 km et nous allons établir notre camp sur un petit coteau. A 10 heures du soir, tout est terminé et nous nous couchons.

 

25 [26]  Octobre -
 La nuit a été mauvaise, grand vent et grande pluie. Il pleut encore toute la matinée. Nous sommes sur un terrain dénudé où il n’y a que quelques buissons épineux. Un peu à côté de nous nous voyons des coteaux de vignes. On y cultive aussi le pavot. La journée se passe en différentes corvées et à aménager les tentes. A côté de la gare un petit village composé de mauvaises cabanes en terre à toit plat qui n’arrivent pas à égaler la « Ville d’Oran ». Le pays est pauvre. On n’y trouve rien à acheter.- pas de vin et pour avoir de l’eau potable une seule pompe à la gare. Bon gré, mal gré, nous allons faire des économies. Un seul mauvais chemin de terre sert de route. On patauge dans la boue jusqu’à la cheville. L’après-midi la pluie cesse mais les nuages couvrent toujours les sommets. Dans les lointains on voit à une vingtaine de km la neige sur une montagne. Un trait m’a frappé: vers la gare, un poirier est tout en fleurs. La 43 est au village et a pour (travail) d’organiser la route sur 20 km de longueur. Nous sommes à 140 km de Salonique.

 

27 Octobre -
 Le vent souffle fort mais on voit le soleil. Travaux intérieurs le matin. Réfection des routes l’après-midi.

 

28 Octobre -
 de 7 h à 10h -
 Marche au travers des côtes voisines du camp. Exercice l’après-midi.

 

29 Octobre -
 Travail à la réfection de la route vers la gare. Dès le matin, on aperçoit la lueur des éclatements au nord, dans la direction de Krivolak. Le combat dure toute la journée et tard dans la nuit. Les Bulgares auraient attaqué, le 244 les a reçus protégé par des tranchées.. Les mitrailleuses auraient fait bon travail et une compagnie du 244 a dû charger à 4 ou 5 reprises pour les repousser, car ils voulaient creuser des tranchées et s’installer à 50 m d’elle.
Finalement ils sont repoussés.

 

30 Octobre -
 Travail. On entend encore la canonnade mais loin et sur différents points.

 

31 Octobre -
 Dimanche. Repos. Travaux intérieurs le matin et revue d’armes l’après-midi. Sur le soir on aperçoit encore les éclatements.

 

1er Novembre -
 A 7 heures nous partons en reconnaissance vers le sud-est dans la vallée de la Bodawa. Le temps est calme et le soleil très chaud. A travers la montagne et les friches nous atteignons le village de Drenne où nous faisons grande halte. Il ne vaut pas ---------------- demi-tour. Nous rentrons par une marche forcée au camp autour de 6 h ½. On entend au loin la canonnade durant toute la journée.

 

2 Novembre -
 Travail à la route. Le combat continue au nord, mais il n’y a pas de route au nord. Aujourd’hui arrivent les premières lettres après notre départ.

 

3 Novembre -
 La compagnie travaille toute la journée à l’établissement de tranchées au sud du camp, dans la vallée de la Bodawa. En creusant on trouve un squelette dans une tombe formée de 4 pierres placées verticalement et recouvertes d’une pierre -----. Il y a longtemps qu’il est là, car les os tombent en poussière. A midi, le combat continue au nord. On entend une violente canonnade et nous voyons très bien la fumée des éclatements. Dans la nuit à minuit on voit encore la clarté de nombreux éclatements.

 

38.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Demir Kapija ou Demir Kapou, le 4/11/1915

Bien chère Félicie

Que dois-tu penser de mon long silence, depuis près d'une semaine que je ne suis pas venu causer avec toi? Chaque jour je remets et finalement le temps passe sans que je me donne garde que le temps doit te durer beaucoup, et que tu es peut-être en souci de moi. Il est vrai que nous avons très peu de temps libre le jour et la nuit, il ne faut pas penser écrire, car sous la tente, on est loin d'avoir toute son aise et le manque de lumière nous oblige à nous coucher quand les poules. Tu peux croire si nous avons le temps de dormir de 6h en 6 heures. Et dans un mois ce sera encore pire. Heureusement, il fait bon sous la tente, meilleur que je ne l'aurais pensé et si nous restons installés ici, nous ne serons pas encore trop à plaindre. Nous sommes 6 par tente et nous y avons juste la place pour y être couché côte à côte. Aussi, il y fait très chaud et ce n'est pas rare que nous soyons obligés la nuit de nous dévêtir et de nous découvrir pour ne pas suer. Ce n'est plus le même climat qu'en Alsace où nous nous étions levés déjà plusieurs fois avec la gelée blanche et la glace. Je ne crois pas qu'il fasse grand hiver ici, car les friches sont encore pleines de lézards, de papillons et de sauterelles, ce qu'on ne voit qu'en été chez nous. Les habitants de cette région n'ont pas un brin de fourrage à la maison et leurs troupeaux doivent paître toute l'année. Nous ne craindrons par conséquent pas les rigueurs du froid ; ce n'est déjà pas rien quand on est obligé de vivre dehors. Si nous ne courons pas plus les dangers de la guerre, nous n'aurons pas à nous plaindre de notre sort. Chaque jour nous sommes occupés d'une façon ou de l'autre. Un jour nous faisons des routes (terrassements, ponts, cassage de pierres, etc... ). Un autre jour nous faisons un peu d'exercice ou une marche ou nous faisons des tranchées sur les côtés qui entourent le camp. De temps à autre nous prenons la garde ou nous allons faire des reconnaissances dans les environs. Ainsi le jour de la Toussaint, ma compagnie est partie le matin à 7 heures et nous ne sommes rentrés qu'à la grande nuit : des bandes de comitadji étaient signalées au sud de Demir Kapou et nous sommes allés dans l'espoir de les chasser. Le capitaine avait mission aussi de faire le plan du terrain que nous avons parcouru et de reconnaître l'état des chemins. Tu ne peux te faire une idée de la pauvreté de ces pays. Nous avons fait une quinzaine de km le long de la Bosawa [Bosava], affluent de la rive sud du Vardar, mais partout c'est des friches et des côtes où poussent des genévriers et quelques épines. Nous n'avons rencontré qu'un village (Drenn) composé d'une dizaine de maisons, mais je crois que les plus pauvres camps volants de chez nous sont plus riches que les gars d'ici. Les maisons sont faites de quelques piquets entre lesquels sont tressées des branches crépies de terre et de bouse de vache. Une mauvaise couverture de paille arrangée à peu près comme nos couvertures de meule abrite l'unique chambre qui sert pour les gens et pour les ânes. Car ici c'est le pays des ânes et ces petites bêtes servent à transporter à dos le peu que les habitants récoltent. Chaque ménage en possède deux ou trois et pour rentrer le riz ou le bois, elles portent un bât sur lequel le patron fixe 2 gerbes ou 2 fagots. Pour rentrer un journal de riz, on fait autant de voyages qu'il faut et si l'âne ne porte pas la marchandise, il porte l'homme, quelquefois tous les deux. Ce qu'il y a de beau ici, ce sont les troupeaux de moutons et de chèvres qui vivent au travers des friches. Ça ne coûte rien à nourrir, c'est ce qui convient car les gens d'ici n'aiment pas beaucoup le travail. Pourtant, il y a des endroits où le terrain paraît bon et il y a de belles côtes où la vigne, en ces pays chauds pousserait à merveille, d'après quelques échantillons qui sont par ci par là. En face notre camp, de l'autre côté du Vardar se trouve un village un peu plus ramassé et le pays mieux cultivé laisse meilleure impression. Mais on ne peut pas y aller. Aussi il n'y a pas moyen de rien trouver et nous sommes obligés de nous suffire avec ce que nous touchons de l'ordinaire. Nous ne serons pas aussi bien sur ce rapport qu'en Alsace, surtout qu'une cuisine roulante fait pour toute la compagnie. Nous sommes loin des bons repas que nous faisions quand nous avions notre cuisine par escouade. Mais maintenant que nous sommes installés, le ravitaillement semble marcher et si ce n'est pas toujours très bien fait, c'est suffisant. Nous sommes affectés à la défense de la ligne de Salonique à Uisch et le 5e bataillon est échelonné par groupe tout le long de la voie. Nous ne sommes pas très éloignés de la frontière grecque. Chaque jour, il passe des trains de troupes qui partent vers le nord-ouest où l'on entend très bien la canonnade, et il paraît qu'il en débarque plus que jamais à Salonique. Depuis plusieurs jours on se bat au nord et les Bulgares viennent se faire moissonner par les mitrailleuses françaises. Il paraît qu'avec nous, quoiqu'on ne puisse discuter leur bravoure, ils n'ont pas affaire aux Turcs d'il y a deux ans. Si nous rentrons ici, je ne crois pas que nous risquions plus qu'en Alsace et ce n'est pas rien. Voilà 15 mois que nous sommes partis, quand nous sera-t-il donc permis de compter les jours qui nous restent avant de rejoindre nos foyers? On ne voit pas d'issue à cette comédie. Louis, Alfred et moi nous sommes toujours en excellente santé, en est-il de même dans toute la famille, et principalement à la maison. Je n'ai encore pas reçu des nouvelles plus fraîches que notre passage à Montluel. Il me me tarde de savoir des détails sur le mieux qui s'était manifesté dans l'état de Marie-Louise. Sans doute aujourd'hui elle est à peu près rétablie et bientôt elle te donnera autant de satisfaction qu'Albert. Soigne bien ces chers petits comme je te recommande aussi de te bien soigner pour que, malgré vos soucis, tu puisses toujours m'écrire que vous êtes en bonne santé. Mes amitiés à toute la famille et à vous trois mes plus doux baisers. Ton mari qui t'aime, H. Bougaud.

Si vous nous envoyez quelquefois des petits colis, ne mettez rien qui puisse se gâter, car la traversée est longue et chaude par conséquent ni fruits, ni viande peut-être même pas de saucisson.

 

4 Novembre -

 Le vent a soufflé fort toute la nuit et la pluie commence à tomber sur nous. Repos le matin ---------------. Travail aux tranchées l’après-midi.

 

 

5 Novembre -
 Le 2ème peloton part pour 2 jours en reconnaissance. Le 4ème assure la garde du camp. Dans la nuit --------------. Nous marchons ------------- de garde.

 

6 Novembre -
 Repos le matin. Travail l’après-midi. Le -------- rentre par le train de 10 h du soir.

 

7 Novembre -
 Dimanche. Dans la nuit -------------------- sur un train. Le matin un peloton de la 24ème part dans la direction de Dub[iani ?]---- pour chercher les agresseurs. A midi elle rencontre environ une compagnie bulgare, et une fusillade assez nourrie s’engage. L’autre peloton passe le Vardar et essaye de les tourner, mais ils se retirent et l’affaire finit. Le soir, la 21ème va s’installer sur l’autre côté du Vardar. Le lendemain un soldat ---------- par des cavaliers.

 

8 Novembre -
 A 6 h ½ le 6ème-----part en reconnaissance sac au dos. Nous longeons la vallée de la Bosawa sur environ 8 km; puis nous tournons à droite en pleine montagne. Nous montons et traversons une côte très élevée et rentrons brusquement dans un village (Verchs, je crois). Le pays est musulman, à notre arrivée, les femmes voilées se cachent et on ne les voit pas tout le temps que nous passons en grande halte. Les hommes tous coiffés du fez rouge et habillés presque tous pareils viennent s’asseoir dans un groupe très pittoresque à côté de nous et nous regardent préparer notre repas. Le pays dont les environs sont bien cultivés a dû être bombardé ou incendié dans la dernière guerre car il est détruit au moins aux 2/3---------------

 

9 Novembre -
 Toute la journée nous allons travailler avec l’artillerie à établir des emplacements de batterie sur une crête à côté du camp. Au nord on entend à nouveau le combat. La 114ème brigade aurait attaqué et il passe en gare deux wagons de blessés du 371 et 244 qui donnent quelques renseignements. Ils avanceraient. Le soir à la nuit le combat reprend, probablement la contre-attaque bulgare. Nous voyons du camp les lueurs des éclatements et les fusées lumineuses. Des pontonniers du génie sont venus pour établir un bac sur le Vardar.

 

10 Novembre -
 Mon escouade est de garde sur le sommet qui domine notre groupe de tranchées. Toute la journée, au loin, dans la direction du Nord-Ouest, une très violente canonnade fait rage. Les Bulgares tirent sur un train vers Krivolak.

 

11 Novembre -
 Travail aux tranchées toute la journée. Le soir venu, nous rentrons chassés par un très fort orage. Il pleut à torrent. Le 2ème peloton est en marche dans la montagne et ne rentre que tard dans la soirée. En passant sur le pont du chemin de fer jeté sur la Bosawa 4 soldats sont blessés par une voiturette automobile qui circule sur la voie. Beaucoup sautent en bas du pont. C’est étonnant qu’il n’y a pas plus grand mal.

 

12 Novembre -
 Travail au chemin vers la gare. On entend encore le canon et une batterie tire sur les trains vers Negotin et Krivolak à chaque passage. Un train vient avec 2 wagons percés.

 

13 Novembre -
 Mon peloton part pour 2 jours avec la 23ème Cie comme garde-voies. La nuit dernière nous étions en alerte car une division bulgare est signalée en amont de Demir-Kapou. On a monté les sacs et touché des cartouches en supplément par crainte que l’ennemi essaie de franchir le Vardar; la compagnie du 242 campée sur l’autre rive repasse la rivière pour éviter une surprise, mais au matin il n’y a rien de nouveau.

 

14 Novembre -
 Dimanche. Travaux de propreté au camp. Nous restons à notre poste de garde-voie. La canonnade extrêmement violente hier recommence aujourd’hui dès la pointe du jour au nord-est. Etant sur la voie, nous voyons passer le 148 et le 45.

 

15 Novembre -
 Nous sommes relevés à 7 heures par le peloton. Repos le matin. A 10 heures on entend à quelques km de l’autre côté du Vardar une fusillade entre une reconnaissance et l’ennemi. Les trains ne circulent plus sur la voie dans le jour parce qu’ils sont bombardés. Travail aux tranchées l’après-midi. Des tranchées sont établies dans le voisinage immédiat du camp. Les chevaux sont campés à 6 km environ de la gare et la 23ème descend vers la gare pour la défense immédiate.

 

16 Novembre -
 Travail aux tranchées.

 

17 Novembre -
 Nous sommes détachés en petit poste dans un ravin pour garder les chevaux. Il pleut autour de 10 heures assez fort, puis l’air change et devient léger.-------------------. Il gèle assez fort et la terre est dure le matin----------------

 

18 Novembre - ------------parce que tout le bataillon est parti en reconnaissance afin de protéger le retour par l’autre rive du Vardar de 2 compagnies du ---Bon. Les Serbes exécutent encore 7 Turcs sur l’autre rive du Vardar. Ils les tuent à coup de baïonnette et d’un coup de poignard au cœur puis les jettent tout nus dans le Vardar. De vrais barbares. Nous sommes relevés le soir et rentrons coucher au camp. La nuit est encore froide.

 

19 Novembre -
 Travail. Nous extrayons de la pierre. Le 24ème fait évacuer les 3 villages de Dubian, Kuresnika et Skenif. A 10 heures, nous voyons arriver au bac tous les habitants de ces 2 derniers pays. Ils ne seront plus tentés de ravitailler l’ennemi ou de lui fournir des renseignements. C’est un défilé du pays au Vardar où les nombreux ------sont mêlés aux femmes toutes voilées, car ce sont des villages musulmans. Au soir, les gens ont passé la rivière et ----viennent coucher à Demir-Kapou ----------- charge à l’intérieur. C’est un drôle de groupe que ces femmes qui portent un linge quelconque plus ou moins propre sur la tête -------- Les hommes habillés à l’orientale sont coiffés du fez ou du turban. Chaque famille garde un ou deux ânes avec quelques couvertures et quelques guenilles, ce qui leur est coutumier. La température se radoucit. Leurs animaux sont achetés à vil prix par le ravitaillement.

 

20 novembre -
 Les évacués se dirigent vers Negotin. Travail toute la journée comme hier

 

21 Novembre - Dimanche. Repos. Un peloton de la 24 passe le Vardar pour aider à l’évacuation de D----. Les habitants arrivent dans la matinée au bac, mais peu traversent par suite du désancrage du bac qu’il faut réparer. Les femmes seules traversent et passent une nuit par chance sur cette rive. Il y a des brouillards et il gèle assez fort.

 

22 Novembre -
 Le reste des habitants traversent dans la matinée et tous sont dirigés vers l’intérieur.. Des bruits circulent de mauvaises intentions de la Grèce vis-à-vis de nous. Elle voudrait nous désarmer en cas de repli, car nous serions dans une situation assez difficile et menacés d’être encerclés. Nous sommes garde de police. Le 235 vient camper auprès de nous de même qu’une batterie d’artilleurs de montagne.

 

39.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Demir-Kapou le 23 novembre 1915

Ma bien chère Félicie

Je m'empresse de répondre à ta longue et bonne lettre du 8 que je viens de recevoir. Comme toi, souvent, j'attends une lettre de toi qui ne vient pas et un beau jour j'en reçois deux ou trois à la fois. Il n'est pas rare d'en recevoir de relativement fraîches (15 jours) et le lendemain d'autres plus vieilles de 10 à 15 jours. Il faut prendre les choses comme elles sont et attendre sans se mettre en souci pour autant. Depuis avant-hier, la situation ici semble se tourner franchement contre nous et les bruits de retraite ne font que se préciser. Toute la brigade est groupée actuellement ici et nous faisons tous les jours des tranchées tout autour de nous. Pourvu encore que la Grèce ne se tourne pas contre nous. Déjà elle a mis opposition à notre retour et a parlé de nous désarmer et de nous retenir prisonniers de guerre, comme Bourbaki en Suisse en 1870. Ce ne serait peut-être pas à dédaigner dans les circonstances actuelles que d'être tranquilles jusqu'à la fin des hostilités dans un pays neutre. Les gouvernements anglais et français feraient pression sur le gouvernement grec pour avoir des garanties sérieuses et l'on dit que la Grèce a accordé une période de 15 jours pour accomplir notre retour. En attendant les troupes descendent et chaque jour on en voit de nouvelles qui rentrent. Attendons ce que cela va devenir ; ce qu'il y a de certain, c'est que par la prise de Monastir à la frontière grecque nous sommes coupés d'avec l'armée serbe et encerclés. Tant que les zouaves et tirailleurs tiendront vers Shoumitza, le point faible de la ligne, à mon avis, nous ne risquons rien et la retraite s'effectuera en bon ordre. Si on nous coupe la voie, nous en serons quitte pour déménager par la montagne. On nous a remplacé la voiture par des mulets, c'est déjà une mesure de précaution en ce sens. En attendant la suite des événements, ne vous mettez pas en peine inutilement ; vous verrez d'ailleurs ce qu'il en est par les journaux avant que vous ne receviez nos lettres.

J'ai appris avec regret le départ de Pierre pour la caserne, heureusement encore que vous l'avez eu pendant toute la période des travaux et après l'hiver, peut-être aurons-nous la joie d'être tous réunis, car il me semble que ça bat la breloque maintenant et que les événements tirent à leur fin. Peu importe le résultat pourvu que cela finisse, voilà le refrain de chacun et peut-être au pays aussi. Je suis bien content que tu aies trouvé un domestique et que Laurence te reste ; elle te tiendra compagnie cet hiver. Quand aux fumiers à enlever, fais bien attention de ne pas trop forcer et au besoin range le plus large pour avoir à le monter moins haut. Je te disais plus haut qu'on remplaçait les voitures par des mulets. Ils sont arrivés aujourd'hui et j'ai demandé à en conduire un. J'en ai parlé à V. Larderet, je ne sais pas s'il pourra influer un peu sur la décision du capitaine. Si j'avais cette place, elle ne serait pas moins bonne que celle de musicien et je pourrais attendre sûrement la fin de la guerre. Je t'en avertirai dès que je le saurai, ça ne peut bien tarder. Tu vois que je te renseigne exactement et je te fournis tous les détails que je sais sur notre vie ici et notre situation. De cette façon, tu ne seras pas surprise de rien et tu sauras à quoi t'en tenir des racontars que tu pourrais entendre de côté et d'autre.

Hier, nous avons touché la forte paye, tout ce qui nous revenait depuis le 1er octobre sur les 5 sous que nous gagnons par jour. Cela nous a fait 10 f 70 chacun. Il est vrai que cela a peu d'importance puisqu'on ne peut en dépenser ; à peine de loin en loin un morceau de veau ou de mouton que l'on achète très bon marché et que l'on fait rôtir en plus de l'ordinaire. Nous en avons profité ces jours derniers, car nous avons fait évacuer plusieurs pays musulmans situés sur l'autre rive du Vardar et tout le bétail a été débarrassé à vil prix d'un côté ou d'un autre. Ainsi nous avons eu une épaule de veau et une poitrine pour 4f et toute la moitié d'un mouton pour 3 f. Puisque je te parle de cette évacuation, je vais te raconter un peu comment cela s'est passé. Cela valait la peine d'y voir. Depuis quelque temps que l'ennemi était dans les montagnes de l'autre rive, beaucoup d'habitants et cela de notre faute puisque nous les laissions libres, ravitaillait de nuit les Bulgares. Ces Turcs, Serbes depuis 2 ans seulement, sont plutôt contre nous que pour nous. Plusieurs ont été surpris à faire ce commerce par des comitadjis serbes et je t'assure que justice est bientôt faite et qu'on ne leur a pas pardonné cette faute. Condamnés à mort, ils ont été exécutés sur l'autre rive du Vardar par les soldats serbes qui, après les avoir égorgés et criblés de coups de baïonnette (de vrais sauvages) les ont jetés nus dans le Vardar. 10 ont été tués ainsi dans 2 jours. Pour éviter retour de pareilles choses, le 242 a fait évacuer les villages et les habitants avec leurs nombreux troupeaux ont été repassés de ce côté du Vardar. C'était comique de voir ce long défilé de femmes toutes voilées de blanc (si on veut) pieds nus et portant un pantalon comme les zouaves. Les hommes, tous vêtus à l'orientale conduisaient l'âne qu'ils conservaient pour porter les quelques couvertures qu'ils emportaient. J'aurai bientôt une carte de ce groupe que je t'enverrai. Drôle d'habitude qu'ont les femmes de se cacher ainsi la figure. De loin on aurait dit un cortège de religieuses, mais d'un genre spécial, car avec leur multitude de gosses, je ne pense pas qu'elles aient fait voeu de chasteté. Leurs troupeaux ont été achetés à vil prix par l'approvisionnement et ceux qui ont voulu profiter de l'occasion pour acheter des ânes les ont eu à bon marché. Le camp est maintenant une vraie ménagerie où au travers des soldats se baladent ânes, mulets, moutons, chèvres et poules. Des officiers ont fait bâtir des poulaillers pour loger leur petite basse-cour. Depuis 4 ou 5 jours, la température a bien changé et s'il fait toujours très bon le jour, les soirs sont frais et toutes les nuits il gèle assez fort. Malgré cela, nous n'avons pas froid dans notre tente, car nous l'avons bien bourrée de paille.

Plus rien de bien nouveau à te raconter aujourd'hui ; je suis bien content qu'Augustin ait pu vous faire bénéficier de 2 dimanches et je félicite Louis-Joseph de pouvoir aller faire une tournée de temps en temps comme cela. Pourvu qu'il reste jusqu'au bout à Langres. En attendant de tes nouvelles, je te recommanderai toujours de prendre patience quoique cela te soit quelquefois difficile. Soignez vous bien tous trois et écris moi tant que possible que vous êtes toujours en bonne santé. Je pense qu'aujourd'hui vous vous remettez un peu de vos fatigues de l'année et que la santé est bonne dans toute la famille. Je vous embrasse tous comme je vous aime.

Ton mari H Bougaud

Je t'envoie une vue de Demir-Kapou. C'est à peu près tout le village, il n'y manque que la gare et il présente mieux qu'au naturel. Derrière le Vardar et les montagnes où sont les Bulgares.

Ma lettre commencée le 23 n'est pas partie que le 24 car je n'ai pas eu le temps de la finir le premier jour.

 

 

23 Novembre -

 Travail aux tranchées. Une autre l--- d’artillerie du 5ème revient ------. La 23èmè travaille toute la nuit à décharger des trains qui viennent de Salonique et de ---. On parle de retrait de notre part --------. Nous serions coupés d’avec les Serbes et ------ sinon pris, bien menacés et nous serions presque encerclés et pas assez forts pour briser le cercle. L’Angleterre veut établir le blocus de la Grèce et entoure Salonique pour la forcer à dévoiler son jeu.

 

 

24 Novembre -
 Travail. De nouvelles troupes reviennent encore, l’ambulance divisionnaire, du génie et une autre batterie. Tous campent à Demir-Kapou.

 

25 Novembre -
 La compagnie est de garde. La 20ème attaque aujourd’hui pour reprendre des crêtes que nous avions abandonnées. Elle les trouve presque inoccupées. Le soir, ma demi-section est de garde au poste 4.

 

26 Novembre -
 Réveil avec la neige. Il neige toute la journée. Travail à une nouvelle ligne de tranchées plus en avant et le soir nous allons travailler avec le génie à la route de Negotin. Un train régimentaire du 5ème d’artillerie vient encore à Demir-Kapou et nous aidons à passer par-dessus la voie une voiture à viande qui ne peut passer sous le pont de la ligne.

 

27 Novembre -
 De garde aux voitures. Il continue à neiger et le vent d’est souffle fort froid. Nous n’avons pas d’abri et nous passons le jour et la nuit autour d’un grand feu. Il faut être solide pour ne pas attraper la mort. Les chevaux, attachés à un piquet dans la neige, inspirent de la pitié. Si ce temps dure encore beaucoup sont sûrs de périr. Dans la nuit, la neige cesse de tomber et il gèle très fort. Il y a beaucoup de neige.

 


 

40.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Demir Kapou le 28 Novembre 1915

Ma chère Félicie

En réponse à ta lettre du 4, je suis étonné que tu n'aies pas reçu de lettre datée d'entre le 22 et le 1er Novembre car j'ai dû t'en envoyer deux et je crois me rappeler avoir écrit aussi dans ces moments-là à chez vous et à chez nous. Presque tous reçoivent des lettres signalant des absences de nouvelles à cette date, peut-être y-t-il eu un courrier qui a été perdu. Ici, plus on va loin, plus on a lieu de se plaindre et si je t'écrivais dernièrement que nous étions dans un climat très chaud, nous en rabattons bien maintenant qu'après un soleil de plomb et des nuées de tonnerre, la terre est couverte d'une couche de 20 c/m. Avec cela, le service est chargé et presque la moitié du temps nous passons des nuits à la belle étoile. Nous devons dormir dans nos tentes mais nous préférons abriter la paille que nous avons. La nuit dernière et hier nous l'avons passée à 2 km du camp au pied d'un arbre, autour d'un feu quand nous n'étions pas de faction. Le vent d'ouest très froid soufflait le froid pendant la journée et dans la nuit il a gelé très fort et aujourd'hui encore il gèle dur. Groupés dans la tente, avec une deuxième couverture nous n'avons pas froid, mais il faudrait y être un peu plus souvent. Pas moyen de faire de bons abris comme en Alsace: il n'y a pas de bois et le peu d'arbres et de buissons n'existeront pas longtemps si nous restons encore ici quelque temps. Mais nous ne nous laissons pas souffrir pour autant, notre unique souci étant de ne pas nous laisser geler. Ça ne durera peut-être pas non plus et je pense quand même que les hivers ici ne sont pas rigoureux. C'est ennuyeux simplement que les changements de température soient si brusques et nous prendrons les précautions nécessaires pour en souffrir le moins possible. Le bruit court toujours avec insistance que nous battons en retraite ; franchement ça ne me ferait rien de quitter ce pays perdu à présent que nous avons vu ce qu'il en était. D'ailleurs pendant qu'on change le temps passe et la paix s'approche. Ces renseignements, puisque tu veux absolument tout savoir, vont probablement te mettre en souci à propos de nous, mais que veux-tu, il ne faut pas s'en étonner, c'est la guerre et là dedans, pour nous le principal c'est le retour. Plus que jamais j'ai bon espoir que nous y arriverons en bonne santé et plus tard au coin du feu, nous évoquerons ensemble le souvenir des misères d'aujourd'hui. Les chevaux sont encore plus à plaindre que nous et c'est pitoyable de voir ces pauvres bêtes avec une simple couverture sur le dos attachés au poteau et passer les nuits en plein air avec 2 kg de foin par jour. Si ce temps continue, ils ne veulent pas tarder à tous périr. Malgré ces misères, que nous ne subirons probablement plus au reçu de ma carte, continuez à vivre votre train-train et à vous bien soigner. Nous sommes toujours solides au poste, maintenez vous y également. Je vous embrasse tous comme je vous aime. Ton mari H. Bougaud

 

 

 28 Novembre -

 Dimanche. Nous sommes relevés à 8 heures, pas fâchés de l’aventure. Le vent continue à souffler et il gèle toute la journée. Nous allons au travail l’après-midi

 

 

29 Novembre -
 à 7 heures nous allons prendre la garde au bac. Il gèle toujours fort et le froid -15°. Le vin gèle dans les seaux et la viande est raide comme du bois. Les troupes descendent par le train.

 

30 novembre -
 Relevés à 6 heures nous rentrons au camp pour démonter nos tentes et partir aux avant-postes de l’autre côté du Vardar. Nous allons remplacer la 9ème à la cote 490. Nous arrivons au bac à 8 heures ; le Vardar charrie des glaçons et le génie fait des difficultés pour nous passer. Enfin à 11 heures, nous sommes passés et prenons la direction de la montagne. A midi, nous faisons grande-halte à Sevelec {Sebvec / Sebnec ?], pays évacué au fond d’une vallée. Le pays est assez bien groupé, mais à l’intérieur des maisons c’est le désarroi le plus complet. Nous tirons le meilleur de ce qui reste et après avoir mangé nous repartons à travers la montagne de pur rocher absolument dénudé. Par place, de beaux carrés de vignes bien entretenus et à des hauteurs beaucoup plus grandes qu’en France. Nous arrivons à nos emplacements à [?] h du soir après avoir monté péniblement une côte abrupte d’une pente moyenne de [?], à mètre au mètre et sur une longueur de [?] km environ. Il dégèle un peu et le froid reprend un peu la nuit

 

1er décembre -
 La journée se passe normalement sur ces hauteurs.

 

Nous voyons un poste bulgare, établi sur la pente face à nous sur une côte éloignée de 3 km de nous. Une fois là-haut on n’est pas plus malheureux qu’ailleurs, il n’y a de la difficulté que pour redescendre chercher les vivres. La nuit est moins froide.

 

2 Décembre -
 à 6 heures du matin, ma ½ section part avec le capitaine et le lieutenant Larderet en reconnaissance au village de Kosarka, situé entre les deux lignes. Le pays est à peu près abandonné et chacun en rapporte un petit souvenir. Ils ramènent également un chevreau, 2 moutons et 2 bœufs. Nous avons pris un lièvre au collet et nous le mangeons de bon appétit. A 1 heure, la relève arrive et nous redescendons cantonner et coucher à Sebvec.. Le soleil est chaud et le dégel court partout. Nous couchons dans une maison pleine de foin, la 1ère fois depuis notre départ de France.

 

3 Décembre -
 à 7 heures nous repartons au camp et nous arrivons au bac à 9 heures. Nous passons immédiatement. 2 prisonniers bulgares faits par la 242 y sont aussi. De nombreux approvisionnements sont débarqués sur l’autre rive. Les trains chargés de matériel et de troupes reviennent toujours de Krivolak. Nous établissons nos tentes et à 4 heures l’ordre arrive de partir aux avant-postes face à l’ouest par suite du retrait de toutes les troupes qui opèrent en avant sur la Cerna. Les convois encombrent les chemins, pleins de boue par suite du dégel. Nous occupons une crête située à 4 km du camp environ. Dans la nuit le 45ème passe se repliant.

 

4 Décembre -
 Dans la journée nous occupons cette crête et sommes relevés à midi. Le dernier train revenant de Krivolak passe autour de 7 heures. Toutes les lignes télégraphiques et téléphoniques sont coupées et la voie détériorée. Le génie pontonnier de Krivolak revient en barque par le Vardar. La journée est calme, sur le soir on entend une fusillade sur l’autre rive du Vardar. Nous nous proposons de passer une bonne nuit sous nos tentes car nous venons de passer plusieurs nuits blanches et nous sommes très fatigués. A 10 heures on nous réveille, car les voitures partent et il faut porter des outils qui sont au poste de police. Le reste de la nuit se passe tranquillement

 

5 Décembre -
 Dimanche. Nous retournons aux avant-postes. Des troupes bulgares assez considérables sont signalées avoir passé la Cerna et il est possible que nous soyons attaqués demain. A midi, alerte, on entend une fusillade à l’ouest. Les Bulgares ont rencontré le 235, et tout le bataillon part aux avant-postes. A 6 heures du soir, après une violente fusillade on entend les Bulgares pousser la charge à 3 reprises et le 235 est obligé de quitter une tranchée. Un détachement du 45ème le remplace. Nous -----devant nous mais nous passons la nuit sur les dents dans la tranchée.

 

6 Décembre -
 Dans la nuit, l’ennemi s’approche et au petit jour on les entend très bien, pas loin de nous. Ils ne se gênent pas pour brailler et faire du bruit. Nos sentinelles tirent sur une patrouille qui veut trop s’approcher et à notre gauche, le combat s’engage, dans la matinée assez irrégulier pour devenir très actif l’après-midi jusqu’au soir où les Bulgares chargent à la baïonnette. Toute la journée, à cause de la proximité de l’ennemi, nous ne faisons pas de cuisine. Il y a un brouillard épais. A 2 heures je hasarde de faire griller un morceau de viande. On nous fait savoir de l’arrière de nous tenir prêts à partir à partir de 5 h ½. A 5 heures ½ je porte la viande dans la tranchée. Au même moment, une fusillade nourrie nous arrive dessus et la ½ section abandonne la tranchée. Je prends mon sac et mon harnachement et nous nous replions. Groupés en arrière, avec le reste du peloton je reviens à la tranchée avec un camarade et le sergent chercher les sacs et fusils des hommes qui étaient aux distributions. A notre retour, la Cie est repartie et nous restons avec le matériel des absents. La 21ème nous informe que la Cie est partie dans la direction du village. Après quelques instants d’hésitation nous nous décidons à repartir à la gare avec tout notre matériel. J’ai 5 musettes, 2 plats, une serpe et un sac que nous portons à deux. Il fait noir et la nuit de nouvelle lune est compliquée de brouillard. Après bien des pauses, nous arrivons à 8 h ½ en gare où un train est en partance pour Stroumitza [station] où nous devons aller. Il s’y trouve déjà le campement du régiment. A 9 h ½ nous partons et 2 heures après nous arrivons à Mirodjé où nous passons la nuit. Pendant ce temps la Cie a occupé une autre position et le régiment quitte les positions à 4 h du matin. A 6 heures, après bien des circuits, les Portes de fer sont passées et le pont sur la Bosava ainsi que le tunnel sautent. Il est temps, les Bulgares sont déjà à la chapelle de Demir-Kapou.

 

7 Décembre -
 Toute la journée nous sommes portés disparus à la Cie qui est en route vers Stroumitza par la rive droite du Vardar. Le train quitte Mirodjé à 8 heures et arrive à Stroumitza à 9 h ½. Après quelques heures d’attente, nous nous dirigeons sur Mirobié [Mirodjé / Mirovtsa ?] ] où nous passerons la nuit. La Cie n’y arrive qu’à la nuit et chacun est content de nous retrouver. Ces jours-ci on ne fait pas de repas réguliers et l’on vit de ce qu’on peut dès qu’on a un moment. La fusillade va très vite et très près de chaque côté. Je crois qu’il est temps que l’on sorte de cette passe. Le 371 qui s’est replié par l’autre rive a beaucoup souffert vers Dubiani et des blessés nous racontent que les Bulgares ne font pas de quartier et massacrent tout ce qui reste en arrière.

 

8 Décembre -
 Réveil à 4 h 1/. Départ à 6 heures pour Guevgueli. Le combat reprend de bonne heure et très fort de chaque côté. A un passage nous essuyons des coups de feu de comitadjis et 5 du 260 sont blessés. Les chemins ne sont pas toujours très bons et sur une certaine longueur nous suivons le lit d’un ruisseau encaissé entre des rochers ou à travers des buissons d’épines. Nous arrivons bien fatigués à Guevgueli à 4 heures environ. La ville est pleine de troupes et les civils la quittent tous les jours. Nous couchons sous la tente sur de la paille et passons une bonne nuit.

 

9 Décembre -
 Nous quittons Guevgueli à 11 heures et allons cantonner sur l’autre rive du Vardar à Komlikeni, village évacué. En passant le pont, nous voyons les préparatifs pour le faire sauter. La région est plaine et partout ce sont des plantations de mûriers et de coton. Les villages sont gros et mieux groupés et mieux bâtis que dans la montagne. Nous couchons sur un bon lit de foin. On reçoit des lettres mais on n’a pas le temps d’en écrire ; il n’y a d’ailleurs pas de levée.

 

10 Décembre -
 Départ à 6 h ½ pour les avant-postes au nord du lac Doiran. Il paraît que les Anglais ont cédé et nous allons les renforcer pour soutenir la retraite de la division Bailloud. Nous passons à Bodjantsi [Bogdanci], assez joli bourg abandonné et après un stationnement d’environ 2 heures nous allons camper en avant du village de Verlisti où nous trouvons les Anglais. Comme les jours précédents, nous devons nous contenter d’un seul repas préparé à la nuit et à-la-va-vite sur le terrain. Le canon et la fusillade se font entendre pas très loin à notre gauche.

 

11 Décembre -
 Réveil à 5 heures. Nous démontons les tentes et nous tenons prêts à partir. On ne fait pas de soupe, car on peut partir d’un moment à l’autre. On apprend que la division Bailloud s’est démêlée à ---------en mettant l’obstacle du Vardar entre elle et l’ennemi. On n’entend plus que quelques coups de canon. Nous nous décidons à allumer du feu et mettons le repas en train. Après ½ heure on nous fait éteindre nos feux à cause de la fumée et à midi notre peloton part à travers les côtes et les ravins et à 2 heures nous arrivons à Bolovec en avant-poste pour protéger la retraite. On se passera de manger aujourd’hui. Nous passons des tranchées et nous attendons. A notre droite entre 2 côtes nous voyons le lac Doiran de très joli aspect. Une batterie d’artillerie tire sur les défilés qui descendent des montagnes qui forment la frontière bulgare de l’autre côté de la plaine qui aboutit au lac Doiran. Nous jouissons d’un magnifique coucher de soleil qui teint de rose et de lilas les montagnes dominant le lac. Puis un brouillard s’étend dans le fond de la vallée et à la nuit, les canons bulgares tirent sur la batterie qui tirait et sur un village qui se trouve dans la vallée. La fusillade a été vive tout l’après-midi à notre gauche en avant de Cerliste et le 242, après avoir usé ses munitions se replie après avoir chargé à la baïonnette. A 4 heures le défilé des ânes et mulets commence et se dirige sur Bolovec derrière nous. Il dure au moins 3 heures et l’infanterie suit en colonne par un. Les zouaves, le 176, le 242 sont tout mélangés et une bonne partie ont abandonné leur sac. Tous sont très fatigués et sont assez déprimés. A 10 h du soir c’est notre tour et nous prenons le même chemin. Alors commence pour nous une marche très pénible par suite de l’allongement de la colonne, on fait 2 mètres et l’on s’arrête ; par moment nous ne faisons pas 1 km à l’heure et cela à travers la montagne dans de mauvais sentiers ou souvent à travers les buissons et les rochers, ayant pour nous guider la boussole et les étoiles. Heureusement encore que le brouillard reste dans le fond des vallées et qu’il n’a pas pris fantaisie aux Bulgares de nous poursuivre. Des traînards jalonnent partout notre chemin et chacun fatigue beaucoup. A 2 heures du matin nous passons la frontière grecque et l’on pousse un ouf ! de soulagement. 2 heures après nous bivouaquons et nous nous couchons un moment sous notre couvre-pieds.

 

12 Décembre -
 Dimanche -
 Sans avoir fait le café nous partons à quelques Km de là, à Karesli, village à moitié démoli, comme tous ceux de la région et nous faisons un peu de riz avec les poules que nous avons eues au pays. Puis nous montons nos tentes et après s’être bien préparés pour passer une bonne nuit nous devons démonter nos tentes pour aller dans un autre pays voisin, à Bugagli où nous tenons des avant-postes. Nous dormons bien et nous nous rattrapons un peu de la fatigue des jours derniers.

 

13 Décembre -
 A 8 heures départ. Nous allons au sud-est du lac Doiran occuper une 2ème ligne d’avant-postes, en prévision que les Bulgares nous poursuivent en Grèce. Au sud-ouest nous voyons le lac Ardzan.

 

14 Décembre -
 La journée se passe sur le même emplacement. Continuation des tranchées commencées hier et travaux de propreté l’après-midi. Nous en avons besoin. Aujourd’hui on fait une levée de lettres, la 1ère depuis le 4.

 

15 Décembre -
 Nous prenons la direction de Salonique, à travers champs en suivant une piste jalonnée par le génie. Nous traversons la ligne de Karasuli à Doiran et nous allons cantonner au village d’Amurtei où se trouve déjà tout le 244.

 

16 Décembre -
 Il pleut un peu la matinée et à midi nous repartons. La pluie grossit, nous pataugeons dans l’eau et la boue et après avoir fait 7 ou 8 km nous bivouaquons. Il pleut à verse, nous sommes traversés et il ne fait pas chaud. Un verger voisin, seul dans la région, est vite dégarni de ses arbres au grand détriment du propriétaire qui écarte en vain les bras. Heureusement la pluie cesse dans la nuit et nous pouvons nous sécher un peu autour des feux allumés. C’est une vilaine journée dont on se souviendra.

 

17 Décembre -
 Départ le matin à 8 heures. La terre est détrempée, l’artillerie a défoncé les chemins. Par endroits ce sont des vrais sables mouvants et la marche est très fatigante, surtout après une mauvaise nuit. A chaque instant on doit passer des ruisseaux grossis par les pluies. Après une marche de 18 Km environ nous arrivons à Jajdzilar où nous passons la nuit. Depuis quelques temps nous devons nous contenter d’un repas que nous préparons le soir. Nous passons une bonne nuit.

 

18 Décembre -
 Départ à 7 h ½ - Les chemins sont meilleurs et nous fatiguons moins à marcher. Nous passons le Gallico sur le pont du chemin de fer. Nous devons y rejoindre notre brigade que nous avions quittée à Cerliste. La musique joue à la grand-halte, ce qui fait pousser de grands cris à beaucoup. Les Anglais sont campés à côté de nous ; le 223 sur l’autre rive.

 

19 Décembre -
 Dimanche -
 Nous passons la journée sur cet emplacement.

 

20 Décembre -
 A 10 heures nous quittons les lieux et nous remontons le Gallico pour aller cantonner autour du village de Tsouma à 4 km de là environ sur une hauteur où l’eau fait bien défaut.

 

21 et 22 Décembre -
 Ces deux journées sont employées à l’installation des tentes. Il est probable que nous allons nous installer là pour longtemps.

 

23 Décembre -
 Je suis nommé muletier au train régimentaire et je passe à la CHR. A 8 heures nous redescendons le long de la ligne au km 18. L’après-midi déjà on fait un voyage au régiment avec les mulets. La Cie part faire des tranchées.

 

24 Décembre -
 2 compagnies serbes s’installent à côté de nous. Ils sont ravitaillés et armés par la France. Nous avons à monter les vivres et divers matériels au régiment.

 

25 Décembre -
 Noël. Travail pour le régiment toute la journée. Je fais 2 fois le voyage au régiment.

 

26 – 31 Décembre -
 Travail pour le régiment. Nous montons des vivres, des tentes, des couvertures, du fourrage, l’avoine, etc …, c’est notre travail journalier à présent.

 


 

1916

 

41.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

1er Janvier 1916

Mon bien cher

En ce jour où nos coeurs devraient être tous en joie, je viens malgré la distance te redire toute mon affection et celle de nos chers enfants. Il m'en aurait coûté de passer la journée sans te dire un mot aussi je me hâte de t'écrire quelques lignes dès le matin. Nous allons aller à Tavaux, M. Louise étant à peu près remise de sa grippe, plus qu'un peu de rhume. Journée bien occupée que nous allons faire. Les petits sont éveillés dès les 5 heures. Albert vient de se rendormir et Marie-Louise comme tous les jours en raconte bien long dans son lit ; il faut ne pas faire de bruit pour qu'elle reste tranquille, sans cela elle appelle bien fort au risque de réveiller son frère.

J'ai reçu ta longue lettre du 19 jeudi, oh merci de tous tes voeux et que le bon Dieu daigne les exaucer. J'ai parcouru tes lignes avec intérêt et pas sans émotion tu peux croire, mais quoique je te plains de tout mon coeur je ne te soulage pas. S'il était en mon pouvoir de le faire, mon cher Ami, comme tu serais bien vite rendu à ton bonheur ; mais malheureusement nous ne pouvons rien l'un pour l'autre. J'espère que maintenant vous êtes un peu plus tranquilles, près de Salonique, mais combien de temps cela durera-t-il ? A la garde de Dieu. Cette semaine chez vous ont tué le cochon mardi ; j'y suis allée toute la journée et jeudi je suis retournée hacher les saucisses. Jeanne étant à l'osier, ta Maman aurait eu trop à faire seule. Ils ont dû finir de couper l'osier hier, quel débarras! C'est ta soeur Jeanne qui va être contente, plus qu'à charrier, ce sera encore bientôt fait car elles sont bien jolies mais ce n'est pas une année abondante pour cette matière.

Une bonne nouvelle à t'annoncer: nous avons un prêtre de nommé pour St Aubin ; c'est un Mr Pouguet, curé de Maynal actuellement, il aurait, d'après Mr le Curé de Longwy qui le connaît, 50 ans et réunirait toutes les qualités désirables pour être doyen de St Aubin, on ne pouvait faire meilleur choix. Vivement qu'on répare la cure et que nous jouissions un peu de la vie religieuse dont nous sommes depuis si longtemps privés. Tous nos Parents ont été heureux d'avoir de tes nouvelles et me chargent pour toi de mille bonnes choses affectueuses.

Et moi mon cher Bougaud je te quitte en t'embrassant aussi fort de coeur que je t'aime.

Ta petite femme, Félicie

 

 

1er Janvier 1916

 Repos.

 

[Carte-lettre adressée à Madame Hippolyte Bougaud Mougeot à Saint Aubin, Jura]

42.- LJ=>F de Mougeot LJ 3e Bataillon CH. à P. 26e Cie Sect 102]

Samedi 1er Janvier 1916

Ma chère soeur,

Plus que jamais nous avons des raisons de nous souhaiter Bonne et heureuse année, bonne santé et un retour prompt de ces chers combattants. Plus que jamais aussi cette joyeuse fête de famille a été si triste. Espérons que l'année prochaine la famille sera au complet où nous pourrions échanger nos voeux de vive voix. C'est alors que nous nous souhaiterons le paradis après une longue vie en famille que l'on apprécie si bien maintenant. Chaque jour nous avons de nouvelles épreuves encore ces derniers temps notre cher M. le Curé de St Lamain vient de nous quitter en moments bien critiques. Espérons que ces sacrifices nous vaudront quelque chose auprès du Bon Dieu et qu'il nous donnera la paix en ramenant bientôt tous les combattants au sein de leur famille. Je forme aussi les meilleurs voeux pour mon filleul et ma petite Lisette ; comme je ne peux pas lui donner ses étrennes cette année je lui réserve pour l'année prochaine où à la prochaine perm. Au revoir chère soeur ; courage et espoir, en attendant qu'on se retrouve en famille reçois ainsi que les enfants les meilleurs baisers de ton frère Louis-Joseph

Encore une fois Bonne année et que 1916 nous réunisse tous bientôt.

J'ai déjà reçu une lettre de Bougaud ; j'en attends une ces jours-ci

 

 

 

2 Janvier -
 Je fais un voyage l’après-midi au régiment.

 

3 Janvier - 7 Janvier -
 Même travail chaque jour. De temps à autre un voyage en gare.

 

43.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 4 janvier 1916

Mon cher Bougaud

Tu ne peux savoir le plaisir que m'a causé ta carte-lettre du 24 arrivée le 2, je suis très contente de te savoir muletier puisque tu seras moins en danger, je puis donc envisager l'avenir avec plus de confiance. Je prends note de ce que tu me dis de continuer d'envoyer quelques colis ; telle était mon intention, car je ne voudrais pas que tu souffres de ce que je peux te procurer. Et pour de l'argent en cas de besoin prends près de Stephen et je rembourserai. J'ai reçu 5 F de ta grand-mère pour toi et comme je pensais que c'était peut-être inutile de te les envoyer ils sont ici et l'ai remerciée déjà pour toi.

Nous avons passé un jour de l'an bien triste encore, après avoir fait quelques visites je suis partie avec les petits chez nous à 9 h souhaiter la bonne année ainsi que chez tante Annette, chez vous m'ayant dispensé d'aller dès le matin puisque je devais les retrouver chez Marguerite pour prendre la (voiture?). Les petits ont été gâtés partout oranges papillotes chez nous n'ayant pas trouvé de jouets avaient fait à chacun une paire de chaussons, cela en faisait quelques-unes à tricoter en comptant tous les petits-enfants, elle leur a fait bien plaisir ainsi qu'à Marie-Louise qui a été contente d'avoir des chaussons jolis. Albert lui a eu un joli petit chien en peluche que Françoise avait rapporté de Belgique à ses dernières vacances, ce sera un double souvenir et je le garde bien. Pour ma part, j'ai eu 5 F et maman te garde la tienne pour quand tu en auras besoin, puisque je lui ai dit que c'était inutile d'envoyer de l'argent maintenant. Papa a aussi donné 20 sous à chacun de nos petits. Marie Mougeot lui a donné aussi un joli sousou de 5 sous. Chez Marguerite nous avons donc trouvé toute ta famille et là encore oranges et papillotes ne leur ont pas été épargnés ainsi que les jouets. Marie-Louise a eu de ta maman un canard et de Marguerite un poisson qui roulent seuls et Albert une trompette mais il ne sait pas encore s'en servir. Jeanne a donné 20 sous à son filleul et ton papa 5 F, tu vois qu'ils ont été bien gâtés. Nous sommes partis à Tavaux à 11 h moins ¼, nous avons trouvé la grand-mère en bonne santé mais bien vieillie et devenant impotente. Suzanne et Madeleine étaient contentes de voir les petits. Alice est là-bas pour quelque temps et Marie-Louise a été très gentille.

Ils étaient inquiets d'Eugène et à midi ont reçu une lettre du 28 leur disant qu'il en était quitte encore pour cette fois, il n'avait jamais vu une boucherie pareille et dit que c'était plus affreux que le 26 avril ; il a sauté dans les Boches avec un camarade passé sous le tir de barrage et a réussi à être sauf, il en voit de bien cruelles. Quand donc de telles misères finiront-elles?

La grand-mère a donné une jolie robe grise à Albert et papillotes et oranges cela n'a pas été oublié. Nous sommes rentrés ici à 4 heures et les petits étaient bien fatigués, surtout qu'ils avaient eu la grippe les veilles, maintenant ça va bien tous les deux. Dimanche je suis allée dîner chez nous avec mes soeurs, triste réunion de famille tu peux croire et combien d'absents étaient bien loin.

Espérons que l'an prochain nous serons tous réunis. Hier je suis allée payer le fermage de Louis Mougeot, très bien reçue et sur ma demande de diminution elles m'ont conseillé d'écrire à Louis pour lui demander ce qu'il fallait que je paie, ne lui en ayant pas parlé lors de sa permission, attendu qu'elles ne pensaient pas que je paierais. Je lui écris donc aujourd'hui et verrai ce qu'il me dira.

Hier soir je suis allée faire une petite veillée chez ta Marraine, elle s'est bien informée de toi et me charge de ses nombreux souhaits. Fernand venait de repartir à Dôle à l'école Pasteur et tous deux avaient le coeur bien gros, mais les petits ont fait disparaître tout cela ; il n'y a d'ailleurs pas tant à se tourmenter il n'est pas à la guerre.

On a enterré hier le père Pelletier mort d'une fluxion de poitrine. Le blé à la foire était encore à 30 F et se maintiendra certainement à ce prix-là et le vin est à 15 sous avec des ouvriers cela va coûter chaud. Madeleine a son nouveau commis d'hier et elle va me l'envoyer samedi pour enlever les fumiers, cela me soulagera. Le mien viendra peut-être faire un tour dimanche, on me dit qu'il est sournois et n'a jamais l'air content, d'un autre côté timide, pourvu que j'aie de la patience pour le commander.

Hier le prêtre nommé pour St Aubin est venu voir la cure sur l'invitation de Mr Lamy, mais. .. (déchirure). .. Papa, on peut dire que c'est grâce à lui que nous aurons un curé et cela lui a donné bien du tracas sans compter les dérangements et les frais qu'il a pour son compte mais son but était d'arriver pour que Dieu bénisse ses efforts et hâte la fin de la guerre. Qu'il soit exaucé et que bientôt vous reveniez tous en bonne santé ! Dans cet espoir je te quitte mon cher Bougaud en t'embrassant affectueusement. Ta femme qui t'aime beaucoup. Félicie

 

 

 

44.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St-Aubin 31 Janvier 1916

Bien cher Bougaud,

Depuis quelque temps déjà je t'ai parlé ni de la cure ni du curé, tu crois peut-être qu'elle est louée comme je te l'avais annoncé. Non, pas encore. L'adjoint ne pouvant la louer sans l'autorisation préfectorale et celui-ci ne se pressant pas de répondre, l'a tout de même fait jeudi. Depuis le 10 décembre que les papiers étaient en préfecture, il y avait de quoi décourager les entrepreneurs de la cause. Cette fois on le passera ces jours-ci et après on activera les réparations pour que notre doyen puisse venir au plus tôt prendre possession de son nouveau poste. On en dit beaucoup de bien: il est le directeur des pèlerinages de la Salette ; ce n'est pas le premier venu. En tout cas les catholiques doivent une fière chandelle à Morand qui a mis tout son bon vouloir pour que ça aboutisse et lui aussi a bien eu sa part d'ennuis, tu peux croire qu'il est content ainsi que sa famille. Il n'en est pas de même de Bachut, Gardet et Barton - qui sont allés à la préfecture pour essayer d'arrêter ou au moins de retarder les affaires. Bachut comptait un peu que sa classe serait renvoyée, dans ce cas il reprenait ses fonctions de maire et ni pour or ni pour argent nous n'aurions eu la cure. J'espère qu'on se souviendra de lui. Chez nous vont commencer un peu à souffler car ils n'ont pas dit toutes les démarches qu'ils ont faites un peu partout ; ce serait trop long à tout raconter.

Anna est venue faire un tour hier et je suis allée chez nous pour la voir un peu. Elle sait se débrouiller, elle dit que c'est elle qui va semer les avoines car les blés qu'elle a déjà semés sont de toute beauté et très réguliers. Honoré dit que son bras fait comme les soldats du front: il progresse lentement mais sûrement. Pierre profite de sa permission pour faire sa provision de bois et semer des trèfles. Mon Papa a commencé d'en semer pour moi à la Madrille, j'ai l'intention d'en mettre dans toute la pièce et dans le lot de Léon Bougaud en Champin. Depuis une quinzaine nous avons un temps superbe, trop beau, pourvu qu'on n'en rabatte pas trop, pas de gelée, ce matin seulement ça gèle un peu. Les charrues vont déjà et quelques uns sèment leurs avoines mais c'est tôt. Je n'en suis pas encore là ; j'attends mon commis demain et vais faire la lessive cette semaine pour être libre après. Papa, Marie et Marguerite sont à St-Lamain déménager. Ils pensent rentrer mercredi. C'est un triste voyage à faire et bien pénible pour Marie, surtout qu'on aimait tant aller faire son tour là-bas. Et toi, mon cher ami, que deviens tu ? Si tu pouvais rentrer bientôt, que nous serions heureux: on parlerait un peu de permission pour les troupes d'Orient après 5 mois de séjour. Si c'était vrai je crois qu'on ne les refuserait pas. Tu renouerais connaissance avec Marie-Louise qui parle beaucoup du Papa. Je l'entendais tout à l'heure qui disait dans son lit: "Bon Jésus, ramenez le papa." Je ne puis croire que de si ferventes prières ne sois pas exaucées. Albert ne t'appelle toujours pas. Je pense au paiement de février ; sois tranquille et si j'ai une occasion pour Tavaux, j'en profiterai. Je te quitte et t'embrasse de tout coeur comme je t'aime pour moi et les petits.

Félicie

 

 

7 – 31 Janvier -

 Rien à signaler de particulier pendant cette période. Nous en profitons pour installer de forts retranchements. Des batteries de canons et des mitrailleuses s’établissent partout, dans tous les replis, dans tous les coins. Nos avions vont bombarder les camps ennemis de la frontière et leurs aéros reviennent à 2 reprises jeter des bombes sur Salonique et les camps établis autour. Le 8 Janvier 11 hommes sont tués par leurs bombes au 235, au génie et chez les Anglais. Il neige un jour et la terre est blanche, mais au bout de 2 jours, le soleil fait tout fondre et la terre redevient sèche très vite. Il fait très chaud le jour et certaines journées la température dépasse 30°, mais il gèle presque toutes les nuits. Admirables couchers de soleil. Le régiment a quitté Tsouma et s’est installé en avant de Hazer-Agali, tout près de ses travaux. Nous faisons presque chaque jour un voyage au régiment et un à la gare au Kilomètre 19. Nos canons font rebrousser chemin aux aéros ennemis et on n’en voit plus après leurs deux tournées.

 

 

1er Février -
 Emploi du temps habituel.

 

2 Février -
 Dans la nuit, un Zeppelin vient survoler Salonique et jette des bombes sur la ville et le port. Il tue un Français, 2 Anglais et 15 Grecs et en blesse 12 – 4 millions de dégâts dans un entrepôt de banque. Dans la journée, un aéro boche vient sans doute visiter les dégâts mais nos avions le font atterrir à Topéin et font prisonniers les 2 pilotes. L’aéro en parfait état est emmené à Salonique et exposé sur une place. Une bombe de zeppelin tombe à 40 m du quartier général. 15 de nos avions partent à midi et vont bombarder la ville bulgare de Petrich.

 

3 – 4 Février -
 Rien de nouveau. Les permissionnaires de Salonique rapportent qu’il débarque des troupes noires et de la cavalerie.

 

5 Février 1916-

Il pleut toute la nuit. Fin des carnets

 

 

 


 

45.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin le 13 Février 1916

Bien cher Bougaud

J'ai reçu cette semaine tes dernières lettres, celle du 27 arrivée le 10 et celle du 30, le 12 ; je te remercie de tes bonnes nouvelles et je te souhaite qu'il m'en arrive souvent d'aussi rassurantes. Cette fois je suis plus tranquille sur ton sort puisque tu me dis que la mer est une garantie pour vous et que de l'autre côté, face à l'ennemi, vous êtes solidement retranchés. L'attaque ennemie que les journaux annoncent à chaque instant imminente n'a pas l'air de vouloir se produire, tant mieux, vous n'en serez que plus tranquilles. C'est en effet L. Joseph qui est le plus exposé maintenant, car au dire d'Honoré, qui a été dans ce secteur, c'est le plus mauvais du front, la Champagne n'est rien à côté de Neuville St Vaast. Pourvu qu'il s'en tire, espérons-le. Chez nous en sont bien inquiets ; cette fois ils ont des nouvelles sûres de Françoise. Elle a écrit le 24 janvier à tante Elie Pusard à Genève en réponse à une lettre de Louise que sa fille Hortense en quittant St Aubin en septembre a expédiée de Genève et qui lui est parvenue la 1ère de toutes celles écrites, lui donnant quelques détails sur la famille sans parler des mobilisés bien entendu mais tout en renseignant le mieux possible. Elle avait déjà répondu une 1ère fois et la réponse n'est pas parvenue. Elle dit donc qu'elle est inquiète d'être sans nouvelles et qu'elle a été heureuse d'avoir des détails, elle prie pour les défunts (oncle Fanfan et Victor que Louise lui annonçait morts) et que la Providence les subvient sans trop de privations. Dites-le s'il vous plaît à Sr Elisabeth. Puis elle ajoute : "Quand pourrai-je aller à Genève? Quand pourrai-je voir ma bonne tante Elie et tous ses neveux et nièces qui sont si bons pour moi ? Les santés se maintiennent ; nos Soeurs sont à leur poste." Puis elle termine. Quelle joie pour nous de recevoir cette lettre car en réalité c'est plutôt à chez nous qu'elle est destinée. Dès qu'elle l'a reçue, tante Elie nous la envoyée avec la sienne. Heureusement qu'il n'y avait absolument rien dessus ayant trait à la guerre car la lettre a été ouverte par autorité militaire. Louise a récrit aussitôt une pour Françoise à tante Elie qui la fera parvenir à un Monsieur de Bruxelles chargé de la faire arriver à Longtain xx??. Nous sommes fixés sur son sort et c'est déjà quelque chose de savoir qu'elle est [en] bonne santé. Pour tes colis, je prends note de ce que tu me dis de n'envoyer que tous les 15 jours et si je t'en ai envoyé 2 à peu d'intervalle, c'était gratis tous deux et j'avais hâte de faire goûter du cochon. Cette semaine, peut-être, j'ai l'intention de t'en expédier un par la gare puisque cela arrive bien aussi et si cela réussit, je pourrais faire par mois 1 kg à envoyer gratis et un colis de 3 kg par chemin de fer. Ces 3 derniers jours, il a fait bien vilain temps et on n'a pas pu aller à la charrue. Aujourd'hui il fait bien bon. Marie-Louise est allée se promener avec Laurence en portant tes lettres chez vous. Albert ni moi ne sortirons aujourd'hui ailleurs, le pauvre petit a deux dents qui sont en train de percer et cela le fait bien souffrir ; il a une grande fièvre et voilà le neuvième jour qu'il passe au lit ; il ne pleure pas mais a la respiration courte et est on ne peut plus abattu ; espérons que cela ne sera rien et que dans deux ou trois jours il sera aussi gai qu'avant ; mais on n'aime pas voir souffrir ces pauvres petits. Cela fait pitié. Il ne réclame jamais rien et quand je le prends sur mes bras pour lui donner à boire, il souffle plus fort et je m'empresse de le remettre au lit, c'est là qu'il est le mieux. Ces jours derniers, les Boches ont tiré sur Belfort, un assez bon nombre d'obus sont tombés sur la ville et Mme Lécrivain est rentrée d'hier avec ses enfants à St Aubin ; ils n'ont pas peur tout de même, les Boches et sont plus malins que nous. Le gendre de Mr Stirnemann est maintenant muletier au 244, ils en reçoivent de temps en temps des nouvelles, il dit qu'il n'est pas à plaindre. J'ai vu jeudi André Pouget en 2ème permission - il t'envoie le bonjour - et tout juste que l'ai reconnu, c'est un homme. Raymond doit quitter le camp d'Avor [Avord, Cher xx??] mais il n'ira pas au feu cette fois encore car sa division est affectée à la classe 16 que le Ministre de la Guerre ordonne de conserver pour réserve de l'armée. Mon petit commis marche bien, aujourd'hui il est à l'Abergement et pour s'avancer, il a enlevé son fumier à 11 heures cette nuit croyant que c'était le matin car il ne faisait pas noir. Il fait bien son travail et je ne demande qu'une chose : que cela continue. Pour moi ça va bien et je te quitte en t'embrassant de tout mon coeur comme je t'aime, ta femme Félicie Bougaud

 

46.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Mercredi soir 15 Mars 1916

Mon cher Bougaud

Après avoir fait une bonne journée je suis heureuse de venir causer un peu avec toi. Marie-Louise et Albert viennent de se coucher et je serai tranquille pour te dire un peu tout ce qui pourrait t'intéresser.

J'ai reçu lundi tes deux lettres du 27 et du 2 et je suis contente d'avoir de tes bonnes nouvelles. Comme nous, vous avez eu de la pluie et ça doit vous gêner autant que nous, mais pas dans les mêmes occupations puisqu'elles sont si différentes. Lundi, malgré le beau temps, personne n'a bougé, mais hier après-midi chacun partait de son côté faire une bonne attelée. Je suis retournée en Vannée pour les vesces puisque Papa se trouvait au Poirier Alnot dans son lot, mais nous n'avons pas fini hier, et cette nuit il a plu au seau ; à 4 heures ça tombait si fort qu'on ne pouvait espérer sortir aujourd'hui ; à 6 heures, la pluie cessait et cet après-midi tout le monde est reparti, il y a si peu de beaux jours qu'on est obligé d'aller quoique ce soit mouillé ; mais ça ne va pas partout, il faut choisir ses terres, dans bien des champs l'eau court dans les roues d'un bout à l'autre. Notre chantier allait assez bien et les vesces sont semées, hersées ; c'est bien arrangé. Demain, s'il fait beau, toute une équipe : Papa, Henri, Arsène, Louis Vadant et l'équipage de Madeleine aussi, viendront avec nous en Crimée, semer nos avoines dans l'hectare de trèfle et dans le lot de seigle de ton Papa. Mon jeune trèfle qui avait tenu jusqu'à la semence est complètement disparu, aussi j'y mets de l'avoine ; nous espérons n'en guère laisser. Pourvu seulement que nous ayons le beau temps. Voilà où nous en sommes, pas très en avance, mais guère en retard.

Tu me dis dans tes lettres que la Provence a coulé avec des lettres à toi destinées et un colis ; c'est un petit mal et malheureusement il y en a bien d'autres plus grands. Ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant sur tes lettres, je ne me souviens plus de tout, mais probablement je devais déjà te conseiller de ne pas venir en permission, ce que je te répète aujourd'hui encore : surtout pour 6 jours de plaisir, risquer deux traversées ; non je n'ai jamais pensé que tu viendrais et j'y pense moins encore aujourd'hui que jamais. Pour le moment, je me contente de tes lettres qui me font toujours grand plaisir, et, comme toi, j'attends la grande permission avec impatience. Contrairement à ce que je t'avais dit, Louis Breton n'est pas prisonnier, son régiment est au repos en arrière, mais les Boches ont cessé d'attaquer ces jours-ci près de Verdun pour taper ailleurs peut-être. On se croit pourtant assez fort pour les empêcher de percer et on espère qu'ils n'y arriveront pas. A force, ils doivent s'user tout de même autant que nous.

L'installation de notre curé aura lieu le 2 avril, il est venu lundi à St Aubin ; il est très alerte pour son âge et pas gênant, simple et a l'air assez débrouillard. Chacun est heureux d'apprendre son installation prochaine et il a joliment réussi à venir lundi ; il a trouvé la cure propre et son jardin aux mains de 17 jeunes gens qui se dépêchaient de bêcher ; ils ont fait tout le jardin dans la journée. Ça lui a fait plaisir et il aura, je crois, meilleure impression maintenant de sa nouvelle paroisse. Voici deux jours que Marie-Louise va en classe, l'après-midi seulement. Madeleine Bougaud étant malade ces jours-ci, Laurence la conduit et ses cousins Gagnoux et Seguin la ramènent.

Elle est contente d'aller, ça la distrait car elle s'ennuie quand Albert est couché et ne pense qu'à faire du mal. Notre gros garçon se débrouille tout doucement : l'autre jour il se trouvait entre 3 chaises attachées, il a tiré la ficelle et pendant que j'étais à la chambre de four il a trotté seul du fourneau au lit de Laurence, là, le vase de M. Louise l'a tenté, il s'est baissé pour le ramasser mais sa tête est si lourde qu'il a roulé ; ce n'est pas la dernière fois, cela ne l'a pas découragé et je crois que d'ici peu il se lancera tout seul.

Ta Maman est venue cet après-midi pendant que j'étais partie, elle m'a apporté une lettre d'Alfred. Je crois bien que le temps lui dure même plus qu'à toi qui te fais à toutes les misères et à tous les climats. Veille cependant bien à ta santé et ne te néglige pas. Je ne vois plus rien d'intéressant à te dire et je vais te quitter pour aller au lit car je me suis levée assez tôt ce matin pour faire du pain afin d'être libre ce tantôt. Je te dis donc bonsoir et je t'embrasse bien fort avant de m'endormir en pensant à toi. Ta petite femme, Félicie Bougaud

 

47.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

CARTES INCOMPLETES

Carte Postale sans titre (photo groupe turc)

A ce sujet ; aujourd'hui il a plu et le temps a un peu fraîchi mais voici 8 jours que le thermomètre monte de 25 à 30 % à midi. C'est très chaud pour la saison et l'on se demande quelle chaleur il doit faire en été. J'ai monté à midi sur les monts qui sont à côté de nous et qui domine Salonique. Nous avons une belle vue de la mer et l'on voit fumer les nombreux navires qui sont dans le port. Dommage que l'on ne puisse pas monter à bord de l'un d'eux. Depuis que je suis muletier tu ne peux te figurer combien nous sommes mieux que dans une compagnie, surtout que j'ai tombé sur une bête qui marche à souhait, aussi je vais faire attention de garder ma place que je suis sûr de conserver tant que nous serons en Orient. Ces deux vues de Demir Kapou te représentent l'une le bac qui nous servait à traverser le Vardar pour aller aux avant-postes dans les montagnes que tu vois de l'autre côté du fleuve. Celle-ci te représente un groupe de turcs, groupés au bord du Vardar, un certain jour que nous avons fait évacuer deux villages turcs qui étaient soupçonnés ravitailler les Bulgares. Tu vois les femmes voilées et les hommes habillés tout autrement que chez nous. C'est dommage qu'il n'y ait pas leurs ânes. Je suis toujours en bonne santé, soignez-vous bien pour vous la conserver vous aussi et en terminant je vous embrasse comme je vous aime. Ton mari

H Bougaud

 

48.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale: "Salonique : Le Quai"

le 29 mars 1916

Bien chère Félicie

J'ai reçu ta lettre du 15 et le lendemain celle du 19 en même temps qu'une carte de Raymond. Je vois d'après elles que vous n'avez pas un temps bien propice pour faire vos semailles et je voudrais pouvoir vous envoyer un peu du beau temps que nous avons ici. Aujourd'hui nous avons mangé pour la 1ère fois des petites raves de notre jardin et si la 1ère graine de salade avait été bonne, nous ne serions pas loin non plus de taper dedans. Des planches de haricots sont de toute beauté. C'est-à-dire qu'il fait très chaud, si chaud que nous sommes obligés d'arroser tous les soirs ; comme il faut aller à l'eau à un bon km on met deux quartauts sur un mulet et on va chercher 2 ou 300 litres d'eau tous les après-midi. Cela passe le temps et comme j'aime encore bien ces petites bricoles-là, j'y trouve bien du plaisir et le temps ne dure pas trop. Comme il fait chaud je me suis confectionné un béret dans un vieux pantalon et je me propose d'en faire un à Alfred et à Louis. Ça tient bien mieux à l'ombre que le bonnet de police et l'on trouve une rude différence avec le calot. Petit à petit, nous en avons presque tous. Un autre inconvénient de la chaleur, c'est l'apparition des scorpions et des vipères, de ces dernières surtout qui ne manquent pas dans les rocailles et dans les friches. Il ne se passe guère de jour qu'on en tue. Mais s'il y en a, cela ne signifie pas que l'on doive être piqué et, le cas échéant, il y a ici tout ce qu'il faut pour y remédier. Les tortues et les lézards verts abondent aussi, mais non dangereux

 

49.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale : "Le Port à Salonique":

A chaque instant nos aéros vont jeter des bombes chez les Bulgares, mais avant-hier, avant la pointe du jour, ce sont les Boches qui sont venus nous sonner le réveil avec une quinzaine d'avions. On dit que les nôtres en ont abattu 4, mais ils sont allés quand même sur Salonique où ils ont fait assez de victimes, surtout chez le civil. Ils nous ont fait sauter un dépôt de cheddite (poudre pour les mines) et tué par cette explosion une dizaine de soldats. Hier soir, depuis notre camp, on voyait deux ballons captifs boches à la frontière ; le temps était clair, car il y a bien 50 km. A tout moment là-bas, depuis que nos troupes ont remplacé les postes grecs, il y a des accrochages entre les avant-postes. Le 242 est parti ce matin plus en avant. On croit que les Boches Bulgares vont tout de même se décider à venir ; mais ils peuvent bien se figurer qu'on les attend de pied ferme et cette perspective n'effraie personne. Rien ne sert d'ailleurs de se faire du mauvais sang à l'avance, surtout que ce n'est pas sûr. Et du jour qu'ils se présentent devant nos lignes, il leur faudra bien encore quelques mois pour se préparer avant de commencer l'attaque. Or dans quelques mois on parlera peut-être de paix?

Je suis content de savoir Honoré en convalescence, si son bras ne lui permet pas beaucoup de travail il sera toujours d'un grand conseil et d'un grand secours à Madeleine et je pense qu'elle doit être heureuse de le posséder. Présente-lui toutes mes félicitations pour sa proposition à la médaille militaire. Il l'a bien mérité. Mais ne sois pas trop jalouse du bonheur de Madeleine, j'aime encore mieux attendre jusqu'au bout et rentrer en bonne santé. Tant mieux aussi que bientôt vous installiez votre nouveau curé. Ce sera un bien gros souci de moins pour chez vous. Je vois avec plaisir que Marie-Louise devient grande fille puisqu'elle va maintenant en classe. En est-elle contente? je le crois, car là-bas, les camarades ne manquent pas. Elle fera une bonne écolière, je crois, car elle aime bien écrire à son papa et je suis bien content quand elle met son petit mot ou sa griffe. Quant à Albert, il a dû faire de nouveaux progrès et je le vois aller tout seul à présent. Conservez-vous tous comme nous sommes ici, en bonne santé. Mille remerciements à nos parents et mes meilleures amitiés. A toi, Marie-Louise et Albert mes plus doux baisers.

Ton mari qui t'aime. H. Bougaud

 

50.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 4 Avril 1916

Mon cher Bougaud

Je suis en retard avec toi et je n'ai pu trouver un instant pour t'écrire dimanche ; hier encore j'ai été bien prise, aussi je me hâte, dès le matin, de le faire aujourd'hui, pendant que Pierre vide les écuries. Tout d'abord je te dirai que j'ai reçu tes deux lettres du 19 et du 21, contente d'avoir de bonnes nouvelles, mais je regrette que votre tranquillité cesse, cependant j'espère que si tu n'as plus à t'occuper de ton jardin par suite de mouvement de troupes, tu retrouveras ta place de muletier et ne seras pas trop exposé.

Dimanche nous avons eu la cérémonie de l'installation de notre nouveau curé, c'était très beau. La paroisse était conviée à le recevoir à l'oratoire et je t'assure qu'il y avait foule à 9 h ½ précises où il est arrivé en compagnie de Mr le Curé de Dôle en voiture avec Henri qui est allé les chercher tous deux à Tavaux. Mr Lamy lui a souhaité une cordiale poignée bienvenue en exprimant les voeux que la paroisse réponde au zèle de son curé. Mr Pouguet a répondu tout d'abord qu'il était venu par docilité et qu'il ferait tout son possible pour être à la hauteur de la tâche que Mgr lui avait confiée. Ensuite Jeanne Darras d'Edouard lui a fait un gentil compliment en lui offrant un bouquet, puis le cortège s'est rendu à l'église où a eu lieu l'imposante cérémonie. Pour la circonstance, les chanteuses se sont distinguées et il y avait à regretter que la Chorale dont tous les membres sont au front, soit absente de cette belle fête et ne puisse elle aussi en rehausser l'éclat.

Avant de célébrer la messe, notre doyen monta en chaire et adressa à l'assistance de très bonnes paroles répétant les paroles de N. Seigneur en se les appliquant : "Je suis la voie, la vérité et la vie." Il prêche très bien, et officie de même, sa voix est forte et il chante bien. Nous avons, paraît-il, très bien réussi et dès le premier abord, chacun en est convaincu. Il a l'air si gentil, pas grand, et d'un tempérament sec, très vif malgré son âge, car il n'est déjà plus jeune - 56 ans, je crois. Après la messe, les membres du conseil paroissial et ceux qui avaient fait le déménagement ont dîné à la cure avec ces Messieurs. Louise aidait à la bonne et le dîner était fourni par quelques uns des invités. Ceux-ci étaient au nombre de Mr Lamy, Papa, le Maire, Oncle Antoine, François Monnot, Séraphin Guichard et Emile Girard. Tous sont très contents de leur journée et Mr le Curé de Dôle était très heureux de voir le bon accueil fait par la paroisse à son nouveau curé. Cette fois nous sommes contents. Bon nombre d'étrangers étaient venus assister à la fête et j'avais à dîner Julie Lory et sa soeur. Elles me chargent pour toi de bien des choses.

Je suis sortie à la messe avec M. Louise seulement et aux Vêpres avec tous deux, ce sont de bons diables. A 2 heures, on a enterré Potenet, mort de vendredi mais je ne suis pas allée à l'enterrement. Il laisse le pays sans boulanger, mais je pense que sa femme continuera tout de même.

Voici quelques jours que nous avons le beau temps et s'il veut durer encore nous allons en profiter pour conduire les fumiers. Je commence aujourd'hui par le Champ des Mottes pour les betteraves qu'on sèmera d'ici peu ; hier j'ai rebrisé le turquie. Ça allait bien, mais comme je suis toujours partie, les vaches ne vont jamais aux champs. C'est ce que je regrette beaucoup, si c'est comme ça tout le long de l'année, je ne sais trop avec quoi on va les nourrir.

Commis et bonne marchent très bien mais ce sont ces malheureux dimanches, on me plaque une fois les bêtes soignées et on rentre quand ça se trouve, aussi je suis de corvée à midi et le soir, pas trop contente, je fais ce qu'il faut et ne dis rien, c'est le meilleur. Le lundi chacun est gracieux et je n'y pense plus. J'aime encore mieux qu'il prenne son dimanche et qu'il marche bien la semaine.

Encore pas de nouvelles de Victor Seguin que les renseignements trouvés de côté et d'autre disent prisonnier ; il y aura un mois le 6 qu'il est pris. C'est long et tu peux croire que le temps dure à Augustine. Plus rien de nouveau à te dire et en terminant, je t'embrasse aussi fort que je t'aime. Ta femme Félicie

 

51.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

 

[Carte postale : la porte de Vedi Coulé à Salonique]

(à la main : 8 avril 1916 St ALBERT) restes de fleurs séchées collées

 

Le 8 avril 1916

Bien chère Félicie

Hier soir il y a eu distribution de lettres, mais je n'en ai pas eu comme je l'attendais. Les tiennes auront manqué le paquebot et j'en aurai deux ou trois au prochain courrier dans une huitaine, puisque depuis quelque temps elles n'arrivent guère qu'une fois par semaine

j'aurais pourtant bien voulu en recevoir car c'est toujours avec grand plaisir que je les lis et j'aimerais beaucoup mieux les recevoir une par une que toutes à la fois. Quoique elles mettent du temps à venir, c'est encore ce qui fait le plus plaisir dans ce trop long exil que nous subissons. Alphonse Laurent m'a dit qu'il n'y avait rien de nouveau, tant mieux, on craint toujours d'apprendre la mort de quelques nouveaux dans la terrible mêlée de Verdun. Depuis quelque temps les journaux parlent davantage de paix ; il se peut que tous ces bruits mensongers aient un fond de vérité et pour ma part je crois que ça ne peut pas durer toujours comme cela. Pour ce qui est de nous, ici autour de Salonique, on ne peut pas dire que nous souffrons de quelque chose, et que nous sommes à plaindre. Au contraire, nous sommes dans une situation privilégiée vis à vis des autres camarades qui sont restés en France,

mais chacun trouve le temps long et aspire à voir bientôt la fin. Le 235 est parti depuis quelques jours plus en avant du côté de la frontière et le régiment reste seul de la brigade. Je ne sais si à son tour, il partira plus en avant ou s'il restera pour terminer les travaux. En attendant, nous avons la garde de tous les travaux du secteur et je ne crois pas que ce soit un départ définitif. ..

 

[15 avril 1916, le jour de la St Albert, lune rousse]

Carte postale: Boulevard du roi Constantin à Salonique

[suite] car le 235 et le 242 ont laissé des groupes pour garder les entrepôts de ces régiments et les grandes tentes qui sont restées sur leurs emplacements. Ces groupes sont nourris par le 250. Mais les Boches et Bulgares ont avancé un peu en territoire grec et il a fallu établir des avant-postes devant eux, puisque les postes grecs se sont retirés sans faire de résistance.

Nous jouissons d'un temps très beau en ce moment, quoique moins chaud qu'il y a quelque temps. Il est vrai que c'est la lune rousse et je suis bien certain qu'à Saint-Aubin, il ne fait pas encore bien chaud.

En prévision des futures chaleurs on va nous retirer les grandes couvertures et les effets d'hiver. Je pense donc, comme je te l'ai déjà dit, te faire d'ici quelques jours un ballot où je te renverrai tout ce que j'aurai de trop. Bien qu'on ait des mulets pour porter notre fourniment ce n'est pas la peine de conserver ce qu'on n'a pas besoin. Louis va aller jouer avec la musique demain à Salonique ; ça leur fera une sortie, mais il paraît que c'est pour eux une journée bien remplie. La santé est toujours excellente et je souhaite que ce soit de même dans toute la famille.

Par hasard j'ai vu sur un calendrier que c'était aujourd'hui Saint Albert. A cette occasion je souhaite que notre cher petit continue à bien grandir comme jusqu'à présent et en gentillesse surtout pour t'éviter le plus possible de maux et de soucis et je ne doute pas que maintenant il marche comme un gros garçon. Marie-Louise doit être aussi bien intéressante et en allant en classe elle ne va faire que de se dégourdir encore. Quant à toi, je voudrais que tu n'aies pas plus de maux que nous ; s'il en était ainsi nous ne serions pas à plaindre ni l'un ni l'autre. En terminant laisse moi te redire toute mon affection et t'embrasser bien fort comme je t'aime.

 


 

52.- A=>F

[Carte postale d'Alfred à sa soeur Félicie représentant une trentaine de soldats posant devant leur campement, probablement au bord du Vardar]

Camp retranché de Salonique, 2 mai 1916

Chère Félicie

Je t'envoie un souvenir de notre existence en Macédoine. C'est le groupe des brancardiers et infirmiers du bataillon. Tu pourras y voir aussi l'abbé Mâle de Tavaux et le genre d'installation de nos guitounes. De chaque coin, les deux ânes du major. Pour le moment, il fait très bon, même trop bon car il fait chaud. J'ai vu Bougaud encore ce matin et il m'a dit qu'il avait expédié son colis avec le mien. C'est lui qui a fait toute l'expédition ; j'espère que cela arrivera en bon état. Dimanche j'irai avec Louis vers Bougaud et nous commémorerons la fête de St Aubin ; je crois que Milleron et Louis-Joseph viendront aussi. Nous sommes tous en bonne santé. Bougaud surtout est fin gras. Ne te fais donc pas trop de mauvais sang pour nous. Je te dirai en passant que les Grecs sont tous des voleurs. J'espère que ta petite famille va bien et que mes petits neveux grandissent. Je ne les reconnaîtrais sûrement pas. Et toi, chère Félicie, compte sur la fin peut-être prochaine qui te ramènera ton cher Bougaud et le bonheur de nous revoir. Bien des choses de ma part à tes parents. Je t'embrasse affectueusement. Alfred

 

53.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

[peut-être 1er ?? Juin 1916 ; voir carte du 29/3/1916]

Carte postale: NAMIA, place de Lamie

Je suis assez dur pour supporter la chaleur et je ne pense pas trop en souffrir. Je n'ai jamais eu froid sous la tente quand il y a eu de la neige et un froid de 15°. Si le thermomètre monte à 40 ou 50°, on y supportera bien aussi. Presque chacun s'est confectionné un béret et il est question que nous allons toucher le casque en liège. Beaucoup de troupes sont déjà habillées en toile kaki, je crois que nous ne tarderons pas à y être aussi. Nous avons déjà un échantillon de la chaleur, car s'il pleut à St Aubin, ce n'est pas la même chose ici où ça a l'air de vouloir être une sécheresse continuelle. Nous sommes toujours aux mêmes emplacements et c'est toujours la même tranquillité. On ne parle même pas que nous devions nous déplacer. Tous les jours on entend le canon à la frontière ; mais cela ne prouve pas qu'il y ait des engagements sérieux. C'est l'effet d'être en contact avec l'ennemi. On a été un an comme cela en Alsace et on n'y était pas plus malheureux pour autant. Il paraît que des Russes sont débarqués en France escortés par des Japonais. Je ne sais pas ce que cela signifie et ce qu'ils pensent faire. Je regrette de ne pouvoir te donner plus de détails ; pour le faire il faudrait que je répète tout ce que je t'ai déjà dit depuis que nous sommes en Orient. C'est toujours la même répétition. En terminant je vous embrasse tous bien fort. Ton mari qui t'aime H.B.

(en travers et en surimpression: Cette vue est une ville de Grèce mais je ne la connais pas)

 

54.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 20 Août 1916

Ma bien chère Félicie

Je viens de recevoir ta lettre du 2. Tu peux voir que comme les nôtres, vos lettres prennent bien leur temps pour nous arriver. Beaucoup même en ont reçu du 3 et du 20 juin. Enfin elles nous arrivent et tôt ou tard elles nous font bien plaisir. J'ai surtout été particulièrement sensible à tes bons souhaits et comme toi je désire qu'ils se réalisent, car je ne trouve pas moins que toi le temps long et si je suis bien tranquille ici ça ne vaut pas notre vie de famille où nous partagions ensemble nos joies et nos peines. C'était le bon temps alors où nous unissions nos efforts et où les conseils de l'un diminuaient les soucis de l'autre. Je ne désespère pas que ce beau temps revienne et alors je reprendrai mon travail et tu n'auras plus tant de soucis ni tant de peines pour tâcher de maintenir l'équilibre dans notre jeune ménage. Heureusement encore que Marie-Louise et Albert sont là pour te faire la vie plus douce et parer un peu à ce gros inconvénient.

Je retiens aussi le passage de ta lettre où tu me parles du pèlerinage à Mt Roland. J'y ai bien pensé aussi ce jour là, mais ce n'est que partie remise et à la première occasion je tiendrai ma promesse, et nous laisserons tout pour le faire, que le travail presse ou non et par n'importe quel temps. Peut-être ce sera pour l'an prochain. La journée du 15 août a été peut-être mieux fêtée à St Aubin qu'ici et vous avez bien fait. Ici, l'on ne tient compte ni des dimanches, ni des fêtes. En Alsace,il y avait une église et un prêtre dans chaque village et c'était toujours possible d'y accomplir ses devoirs religieux. Ici nous sommes séparés du régiment où sont les prêtres-soldats et nous n'avons aucun office, à moins qu'à côté de nous se trouve une troupe qui en possède. Heureusement que l'on n'oublie pas le jour que l'on vit et l'intention vaut l'acte. Je vois d'après la date de ta lettre que la moisson marche grand train quoique vous l'ayez commencée assez tard. Pourvu que le beau temps vous ait favorisé pour la rentrée des récoltes, travail beaucoup plus long et aussi fatiguant que la fauchaison.

Ne te fais toujours pas trop de mauvais sang si tu n'as pas une récolte merveilleuse, ce sont des inconvénients qui arrivent même en temps de paix, et je crois qu'elle vaudra toujours bien celle de l'an dernier pour laquelle tu avais encore été favorisée vis à vis de Madeleine et d'autres, mieux partagés que toi cette année. Je suis étonné que les Crimées soient si mauvaises cette année ; je n'aurais pas encore été surpris du blé de pomme de terre, mais je ne sais à quoi cela tient que les blés de sommart et le lot de pommes de terre fassent un si mauvais rapport.

Ici, c'est toujours la même vie, pour le régiment du moins: un bataillon est aux avant-postes, un autre fait des travaux à l'arrière et nous autres, toujours au même endroit, faisons le même service de ravitaillement. Pourtant il semble que le front balkanique va devenir mouvementé. Les Bulgares ont avancé vers Florina et battent assez sérieusement avec les Serbes. Les violentes canonnades dont je parlais ces jours derniers ont permis aux Anglais de prendre la gare de Doiran et d'avancer de 2km en profondeur sur 5 en largeur. Dans le secteur de la division, les Français avec un groupe de monténégrins ont pris le village de Poroy-le-Haut et avancé leur ligne mais le régional n'a pas pris part à l'action. Plus à droite, vers Demir-Hissar et Serris où la ligne d'avant postes perd le contact avec l'ennemi, les Bulgares ont avancé en territoire grec mais ne sont encore pas en vue des troupes alliées. Les aéros sont toujours très actifs et il se pourrait qu'il y ait du changement ici dans quelque temps. Ça avancera peut-être un peu les choses. Mais ne sois pas en souci de moi, je ne risque absolument rien. A propos d'aéros, il y a une huitaine, un des nôtres a été touché d'un obus au dessus de Doiran et les ligatures d'une aile ont été fortement endommagées ce qui l'a fait incliner puis descendre d'un seul coup de 2000 à 1000 mètres. Pour rétablir l'équilibre, le mécanicien a quitté sa place et est allé se placer au bout de l'aile intacte pour rétablir l'équilibre. C'est dans cette position que je l'ai vu rentrer à son hangar placé à côté de nous. Je t'assure qu'il faut un fameux sang-froid pour faire une chose pareille et s'il n'a pas la croix de guerre il l'aura méritée bien mieux que la plupart de ceux qui l'ont. Ce soir, on va nous vacciner de nouveau contre la typhoïde, je ne sais pas si j'en souffrirai, mais je voudrais bien en être quitte. Je n'ai plus rien de nouveau à te raconter aujourd'hui et je vais terminer en t'assurant de mon affection sans bornes pour toi et nos deux chéris. Mes amitiés à tous et à vous trois mes plus doux baisers. Ton mari qui t'aime et pense souvent à toi. H. Bougaud

 

55.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Saint-Aubin, le 16 Octobre 1916

Mon cher Bougaud,

Après une bonne journée de semailles je reviens me reposer en causant, je voudrais pouvoir le faire plus souvent mais il y tant à faire de tous côtés que c'est quelquefois toi qui en as le contre coup en étant privé de nouvelles. Tout d'abord je dirai qu'en ce moment nous sommes en grande inquiétude au sujet de L. Joseph. Pas de nouvelles depuis le 3 Lui qui écrivait tous les jours depuis qu'il était en danger. Un de ses camarades de Foucherans, Magistry, qu'il ne quittait jamais est blessé et hospitalisé à Amiens, un obus est tombé sur la cagna et il y a bien des morts, beaucoup de blessés. Mais nous n'avons que quelques détails par un jeune homme de l'Abbaye arrivé en permission de samedi du 43 ème bataillon également ; il connaissait pourtant L. Joseph, mais il n'a pas eu la pensée en apprenant l'accident de demander ce qu'il était devenu. Nous sommes très inquiets. Cela serait arrivé le 8 et depuis le 4, impossible d'écrire sous le bombardement, relevé le 10 le bataillon est retiré en Seine Inférieure d'où vient ce jeune homme, en cours de route on ne peut pas écrire également, et le permissionnaire en question est arrivé sans avoir pu prévenir, peut-être avons nous une lettre en route et le changement en retarderait l'arrivée, nous le souhaitons et gardons l'espoir qu'il est sauf. Viendra-t-il aussi lui, nous surprendre, cela se pourrait car son tour de permission est arrivé et il attendait que le bataillon soit au repos pour venir. Vivement que nous ayons des nouvelles pour nous tranquilliser et que Dieu nous le garde. Pour toi mon cher ami, profite de ton séjour à l'hôpital pour bien te reposer et surtout ne demande pas à rentrer en France, j'ai, dans la tête, l'idée que c'est plus terrible qu'en Serbie. Je sais bien qu'il en tombe ici comme là et c'est pénible de sentir les siens sur une terre étrangère mais il me semble que vous avez plus de chance de revenir que ceux qui au me dire sont dans la Somme, Marguerite a beau me dire que tous ne sont pas dans la Somme, je garde mon idée et je préfère te sentir là-bas qu'en France. Et pourtant le temps me dure de toi tu peux croire, oh oui beaucoup, et je trouve insupportable cette existence. J'aimerais pourtant bien que tu viennes de temps à autre faire un petit séjour. Mais il faut se résigner l'un et l'autre à cette cruelle nécessité de vivre seul chacun.

Je suis retournée hier chez Henri Monnet pour le demander pour semer il ne me peut rien cette semaine nous ferons pour le mieux, heureusement qu'Honoré est déjà là, pas à penser à cette maisonnée. Déjà je m'arrête pour aller dormir, je tremble sur ma feuille bonsoir et bons baisers.

3 h ½ 17 Je reprends ma lettre après avoir dormi. Je viens de soigner les chevaux pour partir à la charrue en Vannée, nous y sommes déjà allés hier dans les lots de papa et Pierre. Ça allait pas mal mais c'était très lourd, il était tombé de l'eau beaucoup et il fallait choisir ses endroits. C'est un rude travail à faire et je souhaite que ce soit la dernière fois que nous soyons obligés de le faire, pourtant il ne semble pas que la guerre doive finir, encore bientôt et Honoré qui est arrivé vendredi se demande quand sera la fin. Il en a assez, espérant être versé dans l'auxiliaire il serait rentré s'il avait pu passer il y a un mois, aujourd'hui il reste service armé avec un bras qui ne va toujours pas. Cyrille Barbier est rentré, il est arrivé samedi pour 12 jours, je ne l'ai pas vu, mais ceux qui lui ont causé disent que l'Allemagne tiendra encore longtemps ; désolation ! Louis Brenot du Valot est aussi sans nouvelles de son garçon depuis le 18 sept. On l'a dit blessé mais il ne peut rien savoir, ils sont bien inquiets. Que de misères. Pourvu que L. Joseph nous revienne l'épreuve sera pénible et je frémis en pensant à Papa qui comptait tant sur ses garçons qu'il a attendus si longtemps. Nous y pensons jour et nuit et cela me donne un mauvais pressentiment car ce n'est pas dans mon habitude. J'espère que ta santé se remet peu à peu et je tiens à ce que tu me tiennes au courant sur ce point. Chez vous aussi [ils] ont assez à faire et leurs sucrières leur feront bien des maux. Ils ont tué le cochon samedi et ta maman qui est restée seule était très fatiguée dimanche. Ton Papa est aussi bien las son pied fatigue beaucoup et dans les terres humides ça ne doit guère aller. Marceau qui désirait tant venir et dont ils avaient si besoin n'est pas encore là. Voilà 2 certificats qu'on lui envoie qui ne sont pas conformes il faut un troisième tout ceci c'est du retard et la Toussaint approche nous serons loin d'avoir fini. Je te quitte et t'embrasse aussi fort que je t'aime. Prie beaucoup pour nous, ta femme Félicie.

 

56.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Le 18 8bre [octobre] 1916

Mon cher Bougaud

En rentrant de la charrue à 11 h, j'apprends par Laurence que L. Joseph est blessé ; la nouvelle vient du maire de qui la femme a reçu ce matin une lettre à ce sujet. J'étais déjà contente de l'apprendre blessé, mais c'est une fausse nouvelle et la lettre que Bachut écrivait à sa femme disait que le gars de Louis Mougeot était tué. Ceci est plus grave et nous a mis une profonde douleur au coeur. En allant à la source de tout ceci, nous constatons que la lettre est écrite d'après des racontars sans fondement. Ce qui est vrai c'est que nous sommes sans nouvelles depuis le 4 et qu'il y a peu d'espoir d'en avoir de bonnes. Pauvre frère, il nous aimait tant et il se réjouissait de venir en permission pour nous revoir tous ; il était si bon pour nous et tu sais comme nous nous aimons entre frères et soeurs ; cela m'a fait un profond chagrin d'apprendre de si tristes nouvelles et j'en suis toute désolée. Pourvu que tout ceci soit faux et que bientôt nous recevions une lettre d'un hôpital quelconque nous l'apprenant blessé, puisqu'il n'y a guère l'espoir qu'il en soit autrement.

Aujourd'hui est venu chez nous un jeune homme de l'Abbaye, celui que Jeanne a vu dimanche, il va s'inquiéter des démarches et espère nous rendre réponse avant son départ ; il garde l'espoir qu'il n'est pas tué, mais rien de certain et nous sommes de plus en plus inquiets. Nous avons passé un terrible après-midi, tu peux croire, et je suis tout à fait désorientée. Il faut croire que la France est bien coupable pour que tant de victimes innocentes tombent pour implorer son pardon. Car on peut dire que c'est un modèle en tout de piété, de courage et d'affection filiale. Dieu nous le garde et nous le rende ! Il aimait tant son filleul et je me réjouissais à la pensée de le voir ces jours-ci s'amuser avec lui. S'il est sauf, il ne tardera pas d'être des nôtres. Prions, prions beaucoup pour qu'il en soit ainsi, prie avec nous et pour nous mon bien cher Bougaud que j'aimerais tant revoir bientôt et nos prières ne resteront pas vaines. Je te suis unie par le coeur et la pensée ; soyons le également par la prière et le bon Dieu aura pitié de nous. Figure-toi un peu la désolation de Papa et de tous, non, plutôt espérons et ayons confiance. Notre Dame de Lourdes et le Sacré Coeur que notre cher L. Joseph invoquait avec tant de foi l'auront protégé.

Notre petit Albert a pris froid ce matin et comme il avait déjà le rhume, il a eu tout l'après-midi une grande fièvre. Mme Agutte l'a gardé au lit, très agité, puisque moi j'ai livré des betteraves en gare pour remplacer Papa. Il est plus calme maintenant et j'espère que ce ne sera rien. Le temps est si froid que ce n'est pas difficile d'attraper mal. On leur fait assez de misères, les pauvres petits, et c'est assez rude à cet âge d'aller en classe tous les jours ; tu peux croire que je ne les y envoie pas de bon coeur, surtout Albert bien que je les y sache très bien. C'est trop jeune et la maman ne devrait pas les quitter. Mais, que veux-tu, c'est la guerre et trop de choses et de gens en pâtissent.

Et toi, mon cher Ami, que deviens-tu ? Comment vas-tu ? J'espère que tu te rétablis et j'ai la crainte que ton état de santé réclame ton retour en France ; j'ai frayeur du front français si meurtrier et peut-être qu'une fois ici on te ferait rentrer dans quelque régiment actif. Il paraîtrait que ce sont des obus de gros calibre qui ont fait tant de victimes au 43e.

Pour notre travail, jusqu'ici nous nous sommes bien dépêchés et il nous reste encore beaucoup de travail à faire vu la saison et le mauvais temps. Ce soir encore il a plu et c'est à craindre qu'il pleuve beaucoup cette nuit. Ce que je puis te dire c'est que je suis découragée complètement.

En terminant, je te redis prie pour nous et pour notre frère. Et dans l'espérance que nos prières seront exaucées, je t'embrasse aussi fort que je t'aime. Ta femme Félicie Bougaud

 

57.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Samedi 21 8bre [octobre] 1916

Mon bien cher Bougaud

Toujours rien à t'apprendre sur L. Joseph ; tu comprends sans peine nos angoisses et notre inquiétude sur son sort. Qu'est-ce qu'il [est] devenu ? Encore pas de réponse de personne et nous sommes bien attristés. Plus d'espoir ; il est perdu pour nous et nous aimerions à savoir les détails de ses derniers moments, s'il est mort. Quelle épreuve pour la famille et combien je voudrais que tu sois près de nous pour la partager de plus près. Quelle perte nous faisons en perdant ce cher frère, si gentil, si bon pour tous ; il désirait tant revenir en permission pour nous revoir. Quelles bonnes lettres il écrivait chez nous, toujours pleines d'affectueux sentiments pour tous, jamais découragé ; mais je craignais pour lui depuis longtemps car il était trop exposé. Pourvu qu'il n'ait pas trop souffert, ça nous fera bien de la peine d'apprendre la fatale nouvelle mais nous voudrions au moins que ses souffrances aient été courtes, car pour nous il est au Ciel, c'est certain. Il était si pieux ; avec quel bonheur il écrivait chez nous ces jours derniers qu'il avait enfin pu trouver l'aumônier et faire connaissance avec lui ; il était en règle avec le bon Dieu et son bonheur était de recevoir son Dieu. Il l'aura retiré de ce monde pour lui faire goûter plus tôt les délices du Paradis. Mais nous, qu'il laisse, nous le regrettons et le pleurons car la perte est immense et le chagrin sans remède. Dieu nous soutiendra je l'espère et nous donnera la résignation dont nous aurons besoin.

Mon pauvre Bougaud, qu'il te sera pénible d'apprendre ceci et comme vous vous compreniez et vous aimiez les deux ; j'aime à me le rappeler et je suis sûre que toi aussi tu le regretteras beaucoup. Après Eugène, ton cousin, il y a peu de distance entre sa mort et celle de notre frère. Que nous réserve l'avenir ? Dieu seul le sait ; puisse sa main toute puissante ne pas s'appesantir sur nous et nous délivrer au plus tôt de cet horrible fléau. Je crains, je pleure et je prie pour vous tous. Que de deuils, que de ruines. Encore Xavier Bougaud tombé dans la Somme. St Aubin prend une large part dans les pertes que nous subissons. Est-ce tout ? En voyant la longueur de la guerre, on est découragé et on se demande si quelques uns reviendront. Et toi, mon bien cher Ami, te rétablis-tu ? Ce que je trouve, c'est que tous les évacués se rétablissent mal ou lentement et j'attends avec impatience de tes nouvelles ; rien depuis le ' et le courrier de Serbie est pourtant arrivé. Je ne sais que penser et suis bien découragée. Prie pour nous et avant de terminer, laisse-moi te redire combien je t'aime et t'embrasse de tout mon coeur. Ta femme qui pense et prie pour toi, Félicie

La fièvre d'Albert n'a rien été ; il retournera en classe cet après-midi. Nous avons encore eu un après-midi de grande pluie, retard et grande humidité.

 

58.- Louise Mougeot=>H

[Lettre de Louise Mougeot à Bougaud (?)]

Saint Aubin 22 octobre 1916

Mon cher Frère

Tu dois nous trouver bien négligents pour répondre à tes bons souhaits de fête, ne vas pas croire que nous y sommes restés insensibles, certes non, je puis t'assurer qu'ils nous ont causé grande joie et ont été pour nous un encouragement.

Maman a déjà commencé plusieurs fois d'y répondre mais le surmenage des travaux ne nous laisse pas de répit et nous ne trouvons pas souvent d'instant libre si ce n'est le soir, où, brisées de fatigue, la tête et la main se refusent à écrire.

Je sais que Félicie te donne de nos nouvelles, par elle nous en avons des tiennes ; nous avons été inquiets de te sentir pris de fièvre, il nous semblait pourtant préférable que tu sois dans un hôpital, qu'exposé maintenant au danger du front, nous savons que tu es un peu mieux mais ce courrier ne nous a pas apporté de nouvelle, de nouveau nous sommes inquiets.

Le bon Dieu que nous prions chaque jour, nous suppléera près toi et te donnera nous l'espérons force et courage pour traverser cette crise et surtout, nous l'espérons, te maintiendra quoi qu'il advienne loin du danger.

Félicie a été peinée de te sentir malade et petite Marie-Louise a dit qu'il fallait te porter une infusion. Cette chère mignonne et ce cher petit Albert, comme tu serais heureux de les embrasser ; ils sont si intéressants et je t'assure que notre seule consolation est de les voir grandir et s'amuser ensemble.

Depuis 18 jours nous sommes sans nouvelle de Louis-Joseph, sa dernière lettre datée du 4 nous arrivait le 9, il nous disait qu'il espérait bientôt venir en permission, dès qu'il serait descendu des tranchées et qu'on allait les relever, mais à la fin de la lettre, changement, l'ordre était de remonter, peut-être pas pour longtemps nous faisait-il espérer.

Depuis plus de nouvelle, nous savons qu'un obus est tombé sur la cagna qui les abritait, que son camarade Magistry de Foucherans a été blessé grièvement, sa mère est [allée] le voir à Amiens, mais de Louis-Joseph, rien ; nous prenons des informations de tout côté et avons déjà écrit à l'aumônier militaire, à son capitaine commandant à un prêtre brancardier etc etc, les réponses n'ont pu encore nous revenir, vu la longueur des correspondances du front.

Le 43e bataillon est relevé du 8 ; ce qui nous enlève tout espoir, tu comprends notre chagrin, notre inquiétude, pourtant ces jours ci passent un peu dans l'illusion, c'est à dire, nous espérons malgré la conviction assurée de n'avoir aucune nouvelle sinon la plus douloureuse de toutes.

Je pars à Chemin, revoir un permissionnaire du 43e qui connaît très peu Louis-Joseph, il rejoint son corps demain et je voudrais qu'il s'informe encore.

Malgré tout, nos santés sont bonnes, Dieu nous soutient, notre chagrin est immense. Mais il faut songer à ceux qui restent. L'année a été difficile et nous avons encore bien à faire dans les champs. Pierre est ici pour 10 jours et Honoré pour 15, heureusement car avec la domesticité il est difficile de s'en tirer.

Dans l'espoir que ma lettre te trouvera en meilleure santé je t'offre les nombreuses amitiés de tous et je t'embrasse pour toute la famille. Ta soeur Louise Mougeot.

 


 

59.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Lundi matin 23 8bre [octobre] 1916

Mon bien cher Bougaud

Notre pauvre Louis-Joseph est mort. Quel chagrin et que de regrets. Pauvre frère il était si bon et nous aimait tant tous. Louise et Papa sont allés à Foucherans chez Magistry chercher la nouvelle. Ils le savaient depuis le 9 car le pauvre petit est tombé le 4. Le jour même il nous écrivait pour nous dire qu'on parlait d'un long repos et que pendant ce temps il viendrait en permission. Entre les lignes il avait rajouté "mais je crois que c'est changé, nous montons plus haut. 4 heures du soir. Au revoir". Nous n'avons pas grands détails mais chez Magistry nous ont dit qu'ils étaient tous couchés l'un sur l'autre à cause du bombardement qui ne cessait, Louis-Joseph sous le fils Magistry, à un certain moment le bombardement était si violent que celui-ci dit : On va tous se faire tuer ici, levons-nous et filons. Louis-Joseph ne s'est pas relevé. Ne fais pas l'imbécile, lui dit Magistry, toi comme les autres lève-toi et viens ; comme il ne bougeait pas il lui enlève son casque qui était rempli de sang : il était mort sous lui sans qu'il l'ait senti, un éclat d'obus à la tempe. Pauvre frère, nous l'aimions tant, il est perdu pour nous mais nous avons la conviction qu'il est au Ciel et que de là-haut il nous protégera. La douleur de tous est immense tu le comprends. Le sentir tué dans la Somme, dans les tranchées, si loin de nous, et sans que nous puissions le voir, quelle tristesse. Nous nous confions à Dieu et lui demandons de vous protéger et de vous ramener. Louis-Joseph sera notre intercesseur et je ne doute pas que sa protection se fasse sentir.

Le bruit de sa mort annoncée par le maire était bien vrai et il le tenait de Foucherans. Ces gens n'ont pas eu le courage de le dire à Jeanne dimanche dernier et nous ont laissés toute la semaine dans une mortelle inquiétude. Nous n'en sommes pas très contents car ils devaient être renseignés, d'après ce que nous pensons et qui doit être juste, par leur fils blessé du 7, il a donc pu écrire du 4 au 7 car ils s'étaient promis entre eux de renseigner leurs familles. Jeanne a vu 2 lettres concernant la blessure de leur fils mais on ne lui a pas montré la troisième qui était la première reçue et qui aurait dû nous apprendre la chose. Mon cher Bougaud prie pour lui, prie pour nous et reçois les meilleurs baisers de ta femme qui t'aime Félicie

 


 

60.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Mercredi 25 octobre 1916

Mon bien cher Bougaud

J'ai reçu ce matin ta lettre du 13 ; par elle je vois que tu as eu bien de la peine d'apprendre la mort de ton cousin Eugène. Pourquoi faut-il que tu apprennes encore celle de notre frère ? Il est vrai qu'on peut s'attendre à tout en ce temps de terrible guerre, mais quand la mort frappe un des nôtres, c'est un rude coup, je t'assure. Que de regrets nous avons de ce cher frère ; on ne pouvait trouver d'ailleurs fils plus affectueux et frère plus dévoué. Avec quel plaisir il nous rendait service et il était heureux quand il pouvait faire son petit tour chez l'une ou l'autre. Le bon Dieu nous l'a pris trop tôt mais nous acceptons sa sainte volonté.

Honoré est retourné hier à Foucherans. Papa, ayant brusqué les choses sous le coup de l'émotion dimanche tenait à avoir les plus amples détails. Voici ceux qu'il a rapportés. La mère Magistry étant à Amiens voir son fils blessé a appris de lui ceci : Le 4, jour où Louis-Joseph nous écrivait pour la dernière fois, leur compagnie se trouvait dans une tranchée de l'arrière et ils étaient dans l'attente d'avancer plus haut, comme il nous le disait sur sa carte, les obus arrivant, ils se couchent tous par terre et Louis-Joseph se trouvait sous trois de ses camarades, Magistry sur lui le premier ; un obus tombe dans la tranchée, au bruit, celui-ci dit : Nous allons tous nous faire tuer ici, allons plus loin. Ils se lèvent et Magistry avait déjà fait deux pas quand il se retourne pour voir si Louis-Joseph suivait. Le voyant couché, il s'approche et lui dit : "Voyons fais pas le jacques, fais pas l'imbécile, viens comme les autres ; mais notre pauvre frère n'y était plus. Lui enlevant son casque, il aperçoit un trou à la tempe d'où un filet de sang s'échappait. Il était mort sans un mouvement, sans une parole. Aucun de ceux qui étaient sur lui ne l'avait senti touché et tu juges de leur peine, de celle de son camarade surtout car ils étaient bien frères ; il allait s'occuper de lui quand l'aumônier ayant vu que les obus tombaient sur les hommes du 43e accourait, l'ordre de se porter en avant arrivait justement. Il fallut que Magistry abandonne Louis-Joseph. "N'abandonnez pas mon camarade ! " dit-il à l'aumônier, "faites tout ce qu'il faudra, je vous prie." "Sois tranquille, va mon enfant, je prendrai soin de lui ; je le connais assez pour faire tout ce qu'il faudra. Je vais lui retirer ses papiers, le faire ensevelir à l'arrière, prévenir sa famille et je mettrai sur lui un signe distinctif pour que ses parents puisse le retrouver.

Nous sommes contents d'avoir ces détails et nous attendons des nouvelles de l'aumônier. Il a été blessé le 8, mais Honoré nous rassure en nous disant que du 4 au 8 il a certainement pu faire tout le nécessaire pour notre cher frère ; étant évacué, il ne peut fournir aucun renseignement n'ayant rien avec lui. Aussi, il se pourrait que nous soyons encore quelque temps sans recevoir d'autres détails. Le fils Magistry écrivant le 14 à ses parents leur disait qu'il avait encore eu plus de chance que son camarade Mougeot tué le 4. Dimanche dernier, les Magistry ne savaient donc rien puisque cette lettre est arrivée le mardi et le fils a empêché la mère d'écrire pour la raison que l'aumônier nous préviendrait et donnerait plus de détails qu'elle ne pourrait le faire, mais il ne le savait pas blessé car lui-même est blessé du 6 assez grièvement, onze blessures, mais la plus grave, c'est une balle qu'il a reçue en dessous du coeur, traversant le poumon et faisant au dos une plaie qu'on peut y mettre le poing. Il l'a reçue en essayant de se sauver, après ses premières blessures, mais il est retombé et sa mère dit qu'il est encore bien mal. Il est resté 7 h sur le terrain, au milieu des contre-attaques boches. Juge s'il s'est fait du mauvais sang, seul, tout seul. C'est l'aumônier qui, à ses cris, s'est approché en rampant et lui a recommandé le calme car pour l'instant il ne fallait pas songer à l'emporter, c'était risquer de se faire tuer les deux. A plusieurs reprises, il a envié le sort de notre Louis-Joseph. Pauvres enfants, si jeunes, mêlés à de si horribles choses et en être les victimes. Espérons comme disait notre frère sur une des dernières lettres que tout ce sang sera versé avec fruit, et qu'il est le gage de la résurrection de la France. O mon Dieu, qu'il en soit ainsi et admettez au plus tôt notre frère dans le royaume de la paix et du bonheur. Prions pour lui et demandons à Dieu de hâter l'heure de la délivrance ; assez de victimes, trop de deuils cruels. [Pas de salutations finales, lettre incomplète ??]

 

61.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Salonique, le 26 octobre 1916

Ma chère Félicie

Je viens de recevoir tes lettres du 1er et 6 octobre, les dernières probablement que tu m'as adressées au train réglementaire. Je vais reprendre maintenant ma correspondance avec moins de retard jusqu'au jour, peut-être proche, où je serai envoyé au dépôt. Tes lettres arriveront alors à l'hôpital et traîneront dans les bureaux avant de m'arriver. C'est le gros inconvénient des changements. Toujours à l'hôpital, et toujours en bonne santé j'attends chaque jour qu'on me mette à la porte. La meilleure preuve que je suis en bonne santé, c'est que je ne suis aucun traitement je ne souffre de rien et j'ai un appétit du diable. Aussi, je sens bien que les forces, un moment diminuées, me sont peu à peu complètement revenues et si tu voyais ma bonne figure, tu ne serais nullement en souci de moi. Je ne peux pas te donner de meilleures nouvelles. Je t'accuse réception de ton mandat de 15 jours, je ne l'attendais pas, mais je t'en remercie quand même. Merci aussi de ta bonne lettre du 1er, en elle, je reconnais toute la force et la sincérité de ton affection pour moi. Quant au pèlerinage à N.D. de Lourdes, je partagerais volontiers ton avis, mais ne penses-tu pas que ce serait un peu grever notre petit budget. L'intention est très bonne et si c'est possible, je ne demanderai pas mieux que d'y participer. Je suis content aussi et je conçois toute la joie que chez vous ont dû avoir d'avoir des nouvelles fraîches (!!!) de Françoise. L'essentiel est qu'elle soit en bonne santé de l'autre côté de la terrible barrière de feu qui barre le Nord de la France. Je suis bien certain qu'il lui tarde, à elle, autant qu'à toute la famille, de pouvoir échanger ses impressions de vive voix. Louis-Joseph se trouve pour l'instant le plus à proximité d'elle, mais dans de drôles de conditions. Gardons confiance et espérons qu'il reviendra sain et sauf de cette lutte sauvage. D'ici je vous suis dans vos travaux des semailles et regrette sincèrement de ne pouvoir y donner mon coup. C'est bien dommage que vous ayez tant de pluie et je pense que vous devez en être considérablement ennuyés. Si au moins je pouvais vous envoyer la moitié du beau temps perpétuel qu'il fait ici. Pourtant, il y a deux jours il a fait un fort orage avec beaucoup de tonnerre et de grêle et cette nuit, il est tombé une pluie fine toute la nuit. Etant couché dans mon lit, j'ai bien plaint les pauvres camarades, qui sont sans abri devant les fils de fer qui barrent la route de Monastir. Il paraît que là-bas ça n'avance plus aussi facilement et chaque jour par les malades qui arrivent du front on apprend que de nouveaux camarades sont tués ou blessés. J'ai reçu les lettres d'Alfred et de Louis, ils me disent qu'ils sont en bonne santé, mais ils disent bien aussi que leur service est beaucoup plus chargé. Allons je termine ; de votre côté conservez-vous en bonne santé, j'aime trop vous savoir tous dans cet état. Je souhaite que Marie-Louise et Albert soient toujours bien gentils et bien caressants pour leur maman ; cela compensera les baisers que je ne peux donner que sur cette feuille, et ils sont nombreux et sincères. Ton mari qui t'aime, H. Bougaud

 


 

62.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Salonique, le 2 Novembre 1916

Ma bien chère Félicie,

Hier j'ai reçu à la fois tes deux lettres du 16 et du 17 octobre messagères bien tristes se complétant l'une à l'autre. Je comprends toute l'angoisse que nous cause l'absence de nouvelles de L. Joseph, surtout qu'il se trouvait pris entre l'engrenage meurtrier de la Somme, et pour ma part, je t'assure que cette nouvelle me cause beaucoup d'inquiétudes. Je crains bien quelque chose de très grave pour lui dans le cas où réellement la mort ne l'aurait pas frappé.

En effet, en admettant qu'il n'ait pas pu vous écrire sous le bombardement il n'aurait pas manqué de le faire dès son retour à l'arrière ; s'il était blessé et qu'il n'ait pu le faire lui-même, il l'aurait fait faire par un camarade et d'une façon ou de l'autre vous auriez de ses nouvelles. Maintenant, il se peut qu'il soit très gravement blessé et intransportable et soigné dans la zone de l'avant. Je pense que votre meilleur pour être renseigné sur son sort serait d'écrire à son capitaine ; de cette façon vous ne seriez pas à la merci d'un racontar par ci par là ; dans ces circonstances il vaut mieux avoir une certitude que de rester dans le doute.

Quel chagrin pour tous si jamais un pareil malheur est arrivé et combien nous le regretterons, lui qui était si gentil et si dévoué. On a beau être en guerre et s'attendre chaque jour à de semblables nouvelles, la disparition d'un membre de la famille est toujours pénible, et elle serait encore plus triste dans le cas de la nôtre où l'esprit de famille est développé à un si haut point. Je souhaite que nos appréhensions soient mal fondées, à cause de ton papa surtout qui est si fier de ses garçons et j'attends impatiemment de tes nouvelles pour être fixé à ce sujet. Que le Bon Dieu et la Ste Vierge aient bien voulu vous le conserver pour le bonheur de tous ! Hier matin, jour de la Toussaint, nous avons eu une petite messe basse dans une tente inoccupée et ce matin nous avons eu une messe et une absoute à l'intention de tous nos morts et de toutes nos familles. J'ai été très heureux d'y assister et j'ai bien prié pour vous tous et pour L. Joseph en particulier et Eugène.

Pour moi, la santé va très bien et je dois rentrer au dépôt du 35 le 5 courant. Donc, ne m'écris plus de lettres à l'hôpital et adresse "au dépôt du 35e, secteur 502" ; quand j'y serai je t'indiquerai à quelle compagnie. Là, se trouvent l'adjudant et un sergent du T.R. qui avaient été évacués en même temps que moi. Ils faciliteront mon retour au 260 et au ravitaillement, le lieutenant m'ayant déjà assuré, quand je suis parti, de m'y faire rentrer à mon retour. Tu vois que je n'ai pas envie de me faire évacuer en France ; j'y retournerais volontiers, mais avec le régiment et non individuellement. Dans ta lettre du 16, tu me parles de Cyrille Barbier ; comment se fait-il qu'il soit allé à St Aubin, lui qui était prisonnier depuis le début ?

D'après tes lettres, je vois que tu es complètement découragée. Il y a de quoi quand on est dans l'inquiétude comme vous êtes ; la longueur de la guerre met un terme aux courages les mieux forgés et les fatigues et les sacrifices ne sont supportables que jusqu'à un certain point. Je vois par tes lettres que tu en as bien ta part et je regrette de ne pouvoir rentrer pour te soulager. Pour y remédier dans la mesure du possible, soigne-toi bien et ne fais que ce tu pourras. En terminant, espérons toujours pour Louis-Joseph tant qu'il n'y aura pas de renseignements plus certains. J'attends bientôt une lettre qui dissipera tous ces doutes. Je t'embrasse de tout coeur. Ton cher H. Bougaud

Je pense que l'indisposition d'Albert n'aura été que passagère et qu'il est complètement guéri aujourd'hui de sa fièvre. Je compte sur toi, comme tu l'as d'ailleurs toujours fait pour ne pas laisser avoir froid à ces chers petits que nous aimons autant l'un que l'autre.

 

 

63.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 5 9bre [novembre] 1916

Mon cher Bougaud

J'ai reçu hier ta lettre du 26 et je suis heureuse d'apprendre de bonnes nouvelles de ta santé. Je vois que maintenant ça va et il ne me tarde pas du tout de te savoir au dépôt. J'ai bien le temps d'être en souci de toi quand tu seras au régiment, puisses-tu au moins rentrer au 260, il paraît que c'est assez dur maintenant, en verrons-nous la fin quelquefois de tout ceci? c'est à n'y plus croire,

Et on croirait plutôt que c'est le commencement de la fin du monde car tout s'en mêle pour nous le faire craindre ; s'il en est ainsi nous avons encore le temps d'en voir. Je crois que cette fois nous avons fini les semailles car il y a de l'eau presque autant qu'au 12 novembre 1915 il en est tombé cette nuit et ce matin encore et ce n'est pas tout. Il ne se passe pas de jour qu'il ne pleuve aussi nous avons encore toutes les fourragères à charrier (et pour une journée de sucrières à Papa) et 3j ½ de turquie à couper celui de Papa est dans l'eau jusqu'à mi-jambes et nous nous demandons comment faire pour l'en sortir. C'est décourageant de voir le travail qui reste à faire et tu ne peux te faire une idée de la misère que nous avons. Je me trouve dans les privilégiées, il ne me reste que le turquie de Champin, le Poirier Alnot ; champ des Mottes et le Pré Monsieur à semer mon Papa en a encore 10 journaux et Pierre autant c'est malheureux tout de même d'avoir eu bien de la peine à préparer les terres et de ne pouvoir les ensemencer. Mon turquie est tout débarrassé nous en avons débourré 4 voitures le même soir entre une quinzaine et l'avons monté au grenier hier matin. J'ai pour commis, pour novembre, Kroizer à 45frs c'est assez cher et je crois qu'il n'en fera pas plus que pour ses sous, après on verra je ne sais encore rien. Pierre Moulin est revenu vendredi matin après 5 jours d'absence et il n'a eu à faire qu'à prendre ses ballots et repartir, je le réglerai en temps voulu et après avoir pris les mesures nécessaires pour n'en être pas dupe ; ça n'allait plus et on peut dire qu'il se foutait de tout par trop. Pas engageant de recommencer la campagne et l'on vit comme des machines, on n'ose plus réfléchir cela vous fait peur. Depuis la mort de Louis-Joseph je suis toujours en rêve et je me demande ce que l'avenir me réserve. Ayons confiance en Dieu seul. Il n'y a plus à espérer d'autres secours et prie pour nous comme nous le faisons pour toi. Le service pour notre pauvre frère aura lieu le 16 novembre et hier nous avons assisté à la messe dite à son intention. Nous n'aurons pas grand détail sur sa mort l'aumônier qui a recueilli ses papiers et l'a enseveli est mort des suites de blessures reçues le 8, un brancardier écrivant chez nous le 2 disait en parlant de Louis-Joseph qu'il avait passé ses derniers jours en chrétien modèle et qu'il était des plus réguliers à assister à la messe, dite dans une cabane du camp et communier. C'est déjà pour nous le meilleur gage du revoir au ciel et l'une des plus douces consolations pour nos coeurs de chrétiens.

Marie-Louise et Albert continuent d'aller en classe les après-midi mais il fait déjà bien froid pour envoyer Albert, on serait content d'être rentré mais ce n'est pas de sitôt et nous n'aurons guère de temps libre cet hiver. Pourvu que la guerre finisse et vous ramène sains et saufs c'est l'essentiel ; le reste on s'en arrangera. J'aurai une journée d'ouvrières mardi pour nous habiller un peu, pas le temps de m'en occuper. Nous ne pensons pas encore aux battages et nous en avons encore rudement à faire. Je ne vois plus rien à te dire pour aujourd'hui aussi je termine en t'embrassant de tout mon coeur pour toute la famille

Ta femme qui t'aime. Félicie

 


 

64.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

[Lettre ] H Bougaud - Dépôt du 35e - 50e Compagnie. Armée d'Orient. Secteur p. 502

[Cachet] Trésor et Postes * 7 - 11 - 16 * 502. A

[Cachet] St Aubin du Jura 7* 20-11-16

Salonique le 6 Novembre 1916

Ma bien chère Félicie

Cette fois, je suis sorti de l'hôpital, pas trop fâché, je t'assure car je commençais à y trouver le temps long et j'en avais assez des soins et de la nourriture qu'on nous donnait. J'y ai toujours passé 40 jours loin du front et j'en ai profité de mon mieux pour me reposer. Aujourd'hui, je suis au dépôt ; de sitôt arrivé, j'ai écrit au lieutenant du ravitaillement pour qu'il me fasse rentrer dans mon ancienne place. Notre adjudant et un de nos sergents qui sont aussi au dépôt ont déjà fait des démarches dans le même sens en faveur de tous les évacués du T.R. Je pense donc sous peu t'annoncer que j'ai repris mes mulets. Ce qu'il y a d'ennuyeux, c'est que je vais avoir du retard dans mes lettres par suite de ce changement d'adresse. J'aurais pourtant bien voulu les avoir au fur et à mesure de leur arrivée pour être au courant. Je termine, je t'écrirai bientôt une autre lettre. Pour aujourd'hui, je t'écris au "Cercle du soldat" et comme c'est l'heure de l'appel, on nous met à la porte. Conservez-vous en bonne santé, pour moi, ça va pas mal. Embrasse bien nos chers petits pour moi, aussi fort que je le fais pour toi. Ton mari qui t'aime H. Bougaud

 

65.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin le 12 Novembre 1916

Mon cher Bougaud

Depuis dimanche je ne suis pas venue m'entretenir avec toi, mais nous sommes tellement occupés que tu m'excuseras le retard, j'en suis sûre. Le temps a été un peu plus favorable cette semaine et nous en avons profité pour nous dépêcher après les betteraves, nous avons fait toutes les fourragères de tous, près de 5 journaux, ce n'était pas rien à charrier par des chemins impraticables. Nous avons fait tous ensemble et les chevaux de Papa ont tout sorti au tombereau, pas moyen d'entrer une voiture dans les champs ; les chevaux ne peuvent la traîner ; bon débarras. Chez nous en ont une bonne provision, Pierre peu, Madeleine beaucoup et moi j'en vais vendre 3 à 4000 kg à 28 fr ces jours-ci. Elles étaient claires mais si grosses qu'elles ont beaucoup rendu. Nous en avons une jolie provision dans l'écurie et les autres sont en silo dans les Seillons de Papa, juste au bout du champ. A moitié couvertes de terre, elles sont en ordre pour jusqu'au jour où on aura le temps de terminer.

Il n'a pas mal plu vendredi et samedi seulement, les autres jours nous avons eu des averses et je t'assure qu'il ne fait plus chaud. Il nous reste encore le turquie de papa et une centaine de fagots de Pierre à couper, pour une bonne demi-journée de sucrières de Papa. Vu le beau temps d'aujourd'hui, chez nous profitent pour rentrer le turquie de Pierre qu'on a moissonné hier et le leur du meix. Demain nous sèmerons le Poirier Alnot et commencerons le lot de Pierre ; si ce temps continue, nous en sèmerons encore un peu, pourvu que ça dure.

Leur petit commis, Louis Vadant, est parti d'hier St Martin. Ils auraient bien voulu le garder encore quelque temps mais il était pressé de quitter et il fera bien défaut. Laurence part mercredi, ce sera deux vides et je serai maintenant bien retenue à la maison.

Papa a loué dimanche un commis à Gatey 500 fr pour lui ou pour moi. En tout cas il viendra au 1er janvier chez moi et suivant ce qu'on trouvera on s'arrangera. Mon commis va pas mal et pour le peu de temps que je l'aurai, il me fera un bon service. Je m'informe des bonnes et voudrais bien en trouver une faisant mon affaire. Je ne sais comment je passerai mon mois de décembre, je n'ai encore personne et ce n'est pas facile à trouver. Tous bien occupés, nous prévoyons que l'hiver sera court pour nous reprendre. Nous ferons les battages autour du 10 décembre, pas avant ; ce n'est pas petite affaire non plus.

Je n'ai rien reçu de toi cette semaine et le temps me dure. On en expédie beaucoup en Serbie ces temps-ci et Emile Mougeot, en permission agricole de 15 jours, s'attend à y partir aussi. Que veut-on faire par là-bas ? Je me demande si tu es toujours à l'hôpital et j'attends une lettre pour t'envoyer un colis.

Jeudi, nous aurons un service pour Louis-Joseph. C'est triste tout de même de le savoir mort si loin de nous et enseveli où ? Plus j'y songe, moins je peux m'en faire une idée. Pauvre frère, il nous manque, oh combien, je ne saurais te le dire et la pensée de sa mort brise mon courage. Espérons que du haut du Ciel, il veillera sur nous et nous protégera tous.

J'ai vu dimanche les lettres que chez nous ont reçues de tous côtés, belles et bonnes lettres et parmi les connaissances de Louis-Joseph, des lettres émues et pleines du bon souvenir qu'il a laissé partout. Dieu l'a choisi pour victime innocente, pauvre Louis-Joseph. Que sa mort soit le gage de votre retour. Prions pour lui, pour qu'il intercède en notre faveur et en celle de la France.

A bientôt de tes nouvelles et en attendant, reçois de ta femme qui t'aime les plus doux baisers. Félicie Bougaud

Amitiés de toute la famille.

 

66.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin le 16 Novembre 1916

Mon cher Bougaud

C'est le coeur plein des émotions de ce matin que je viens causer avec toi. Nous avons eu aujourd'hui le service pour notre cher Louis-Joseph. Belle et triste cérémonie, assistance très nombreuse : parents, amis et connaissances sont venus de loin même apporter à notre famille si douloureusement éprouvée le témoignage de leur sympathie en même temps que prier pour notre cher défunt. Combien nous le regrettons et comme les vides se font sentir en ces moments pénibles. Qu'ils sont nombreux ! Et quand donc viendras-tu combler celui que nous cause ton absence ? Honoré arrivé en permission de 15 jours mardi dans le même état de santé toujours a pu s'unir à nous et Pierre a obtenu la permission d'assister au service ; Emile à son dernier jour de permission. Voilà seulement ceux des absents que la cérémonie avait pu réunir.

Il en manque tant d'autres. Toi, d'abord, mon cher Bougaud, Françoise, Raymond, la famille est loin d'être au complet. Nous retrouverons-nous en famille tous ceux qui restent actuellement ? Anna est arrivée avec ses enfants et tante Eulalie est ici pour quelques jours. Arrivée hier, je suis allée la chercher à la gare avec les petits qu'elle ne connaissait pas. Elle a eu vite fait de faire connaissance avec eux, surtout Marie-Louise qui ne la quitterait pas d'une semelle. Elle lui en raconte. Nous avons été tout l'après-midi hier avec elle chez nous ayant assez à faire à préparer pour aujourd'hui. Nous avons été justement bien tendus par les travaux des champs tous ces jours-ci ; le beau temps nous aide. Il est temps, aussi tu peux croire que nous en profitons et que tous se dépêchent. Nous avons semé ces trois jours-ci 10 journaux ½ et il y a encore plus à faire.

J'ai reçu ta lettre du 2 et ta carte du 29 ; j'apprends avec peine que tu quittes l'hôpital et je crains que tu ne puisses rejoindre le 260. Dieu te garde et te ramène à nous ! Je suis contente de te savoir rétabli mais à présent ce sera d'autres inquiétudes. Quel fléau que cette guerre et qu'elle est longue.

Ta soeur Marie-Louise était au service et me disait que dans sa dernière lettre Octave lui parlait que les Boches attaquaient les tranchées avec des crapouillots et qu'il craignait que ça se complique. Suzanne aussi était venue, la famille Bachut, sauf cousin Georges en ce moment à Paris. En un mot, beaucoup d'étrangers de toutes parts.

J'ai de la peine à écrire : Albert et Marie-Louise sont sur moi et me gênent. Que c'est dommage que tu ne puisses jouir de leur présence et partager leurs caresses. Bien qu'ils fassent des sottises, sont bien gentils et je les aime, tu peux croire.

Je t'avais parlé de Cyrille Barbier. Il est rentré en France après deux ans d'internement en Allemagne où il en a vu un peu de toutes façons. Il est rentré avec un convoi d'infirmiers ; le service sanitaire étant rapatrié de part et d'autre, en ce moment je ne sais où il est. Le petit Léon Brenot du Valot est considéré comme perdu. J'ai réglé Laurence hier sans regrets et si j'ai plus à faire, j'aurai plus de tranquillité d'esprit. Elle avait l'air d'être contente de quitter, tant mieux ; qu'elle aille ailleurs, ça m'est égal mais je suis plus contente qu'elle. Toujours personne pour décembre, je voudrais pouvoir conserver Cyrille qui est un peu doux mais bien gentil. Je ne sais si sa mère y consentira.

Les betteraves s'avancent de couvrir de terre et les turquies sont coupés ; il n'y a plus que les sucrières de Papa à finir. Tiens moi au courant de ce que tu fais et reçois en terminant les plus affectueux baisers de ta femme qui t'aime beaucoup Félicie Bougaud

 

67.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

Lundi 11 décembre 1916

Mon bien cher Bougaud

Combien je souffre avec toi de te savoir sans nouvelles depuis si longtemps ; ta carte du 22 que j'ai reçue hier me disant toujours : pas de nouvelles. Que c'est triste de vivre ainsi et combien je te plains. Recevras-tu quelquefois toutes mes lettres envoyées à l'hôpital, je le voudrais bien, elles étaient pleines de détails sur notre pauvre frère et ma mémoire est si courte que je ne saurais te préciser les faits que je te rappelais tel ou tel jour. Ce que je sais très bien, c'est qu'en nos jours d'inquiétude et de deuil je t'ai écrit souvent, même très souvent ; la semaine du 16 au 22 je crois t'avoir adressé au moins 5 lettres ; espérons que malgré le retard elles te parviendront. Par ta carte d'hier j'apprends que tu es en bonne santé, pourvu que cela dure. Tu penses repartir bientôt pour le régiment, est-ce le 260 je le souhaite. J'ai appris que réellement il avait bien trinqué à Monastir, le petit Routhier est porté disparu, on le suppose prisonnier des Bulgares, des lettres de lui ayant été trouvées seules comme trace. Georges Gaulard serait blessé. C'est assez dur et la situation en Orient devient très critique. Tu ne dois pas être bien au courant aussi je tiens à te dire que ça va mal par là-bas. La Roumanie a du nous tendre un piège en se déclarant alliée et en se mettant avec nous, aujourd'hui elle est à peu près toute envahie et les Roumains jetaient des fleurs aux ennemis entrant à Bucarest. Que dire de cela ? Je ne suis renseignée que par ta soeur Jeanne qui a encore la force de lire les journaux et de s'y intéresser à un point qu'elle connaît tous les terrains. Ceci n'est pas mon fort et depuis la guerre je ne veux pas jeter les yeux sur aucun. Bref la situation est très mauvaise pour vous et avec les mutineries d'Athènes et les méchancetés de Constantin et sa suite il y a tout à craindre. Aussi nous pensions que s'il t'était possible d'obtenir l'évacuation en France tu serais sorti d'un bien mauvais endroit ; mais comme tu me dis que ça va il est peu probable qu'on y songe maintenant ; tous nous étions d'avis de te stimuler pour demander le rapatriement, il y en aurait encore trop sur la terre étrangère sans toi. Qu'en dis-tu et peut-être je parle trop tard ; mais il y a si peu de temps que ça va si mal, et ça va vite, que nous craignons beaucoup pour l'armée d'Orient. Tiens moi au courant de tout je te prie, les moindres détails de ta vie m'intéressent.

Hier nous avons eu une messe pour L. Joseph demandée par la Chorale, c'était justement la fête de l'Im. Conception aussi très belle messe. Je me suis fait un pieux devoir d'y assister et je me rappelais avec émotion la confiance que notre cher frère avait pour la Ste Vierge. Il m'est revenu justement à l'idée ceci que Louise Péchinot me racontait dernièrement : étant à Langres pour voir Aubin elle lui demandait où trouver L. Joseph, c'était un dimanche et à l'heure des Vêpres ; Aubin la conduit à la cathédrale et sans chercher elle aperçoit notre frère à genoux devant l'autel de la Ste Vierge la priant avec ferveur, quel bon petit me disait-elle, comme il était pieux ! Eh bien je ne pouvais m'empêcher de le voir par la pensée aux pieds de Notre Dame de Lourdes à St Aubin ; oui il était pieux et c'est notre seule consolation. Pauvre frère je l'ai pleuré et je le pleure il était si bon pour nous.

Pour nous ça va assez bien, le travail ne manque pas au contraire, il y en aurait un peu moins que nous en vaudrions mieux, aussi quoique les jours soient courts on travaille dur et on ne reste pas au lit autant que nous y restions les deux. Je suis, nous sommes obligés de nous lever un peu tôt si on veut y arriver et encore nous avons nos partages qui sont pour 1917 plus moyen d'y compter pour cette année. Aujourd'hui j'ai battu avec la tripoteuse de Raymond. Papa avait amené la machine à 6h avec Henri ; et Arsène et mes deux jeunes soeurs étaient venues un peu après, et ils ont fait une bonne journée, battu une voiture de vesces, un peu de blé qui ne rend rien et le reste en avoine, demain l'équipe va chez Pierre en faire autant. Quels maux pour chez nous et que de reconnaissance à leur devoir. Ils ont vendu hier une belle vache 700 francs c'est de l'argent tout de même mais ils n'y font plus attention et la guerre les tient plus en souci que tout le reste. Henri est allé se faire inscrire hier, c'est le commencement, cela ne finira-t-il donc jamais et faut-il vivre ainsi jusqu'à quand ?

J'ai payé Léon Miellet 100frs et J. Monnot 660 samedi, jeudi j'avais déjà payé 150fs de vin à Prost à 14 sous et les droits et ça augmente, aujourd'hui ça vaut 15 et après le jour de l'an ce sera un sou de droit par litre. Encore pas de commis de réglé je voudrais pourtant bien en être quitte. Celui que j'ai est bien gentil, mais c'est jeune et faible, et ça sort d'un orphelinat, aussi il n'a jamais rien fait 13 ans c'est jeune aussi. En me levant pas trop tôt 5h½ je trouve juste le temps de soigner les bêtes, les enfants qui sont trop tôt éveillés aussi et faire le dîner, peu de jours j'arrive à balayer les chambres avant midi. Les chevaux se passent d'étrier ça c'est réglé pour décembre. Le petit bricole pas bien grand-chose, mais ce qu'il fait est toujours fait et n'a pas à repasser entre mes mains, râper les betteraves, couper les raves, rentrer le bois, autant de petites choses qui me servent bien.

En voilà bien long pour aujourd'hui maintenant je vais aller me reposer, mais avant je vais prier pour toi et t'embrasser aussi fort de coeur que je voudrais le faire réellement. Ta femme qui t'aime Félicie

 

68.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin le 17 Décembre 1916

Mon cher Bougaud

J'ai reçu jeudi ta lettre du 3 en réponse à celle que je t'avais adressée le 16 9bre ; par elle tu as appris la mort de notre cher Louis-Joseph. Peut-être aujourd'hui es-tu en possession des lettres arriérées ; au cas où il n'en serait rien je viens aujourd'hui te donner les quelques détails auxquels tu tiens, ce que je comprends.

Notre frère est tombé devant Rancourt le 4 octobre ; le bataillon ou plutôt la compagnie se trouvait dans une tranchée bombardée violemment.

A un certain moment le bombardement était si violent que le camarade de Louis-Joseph, Magistry de Foucherans dit : "Allons plus loin, nous allons tous nous faire tuer ici." A ce moment, ils se trouvaient couchés, prudence au moment des éclatements d'obus, ils se trouvaient trois couchés sur Louis-Joseph dont la tête seule sortait.

A l'appel de Magistry, tous se lèvent et vont plus loin. Celui-ci fait deux pas et se retournant pour voir si notre frère suivait, il vit qu'il ne bougeait pas. "Fais pas l'imbécile, fais pas le jacques, viens comme les autres !" lui dit-il ; mais s'approchant de lui, il vit qu'il était mort. Un petit filet de sang s'échappait de la tempe. Il avait été touché par un petit éclat d'obus ; il était mort sans un cri, sans un mouvement et aucun de ses camarades se trouvant sur lui ne l'a senti bouger.

Magistry allait s'occuper de lui quand l'ordre de se porter en avant arrivait. Juste à ce moment, l'aumônier du 43e arrivait et il lui recommanda avec insistance notre cher frère. "Sois tranquille, va mon enfant ! " lui répondit l'aumônier, "je ferai pour ton camarade tout ce qu'il me sera possible de faire. Je le connais assez pour savoir qui il est, je lui prendrai ses papiers, le ferai ensevelir à l'arrière et mettrai un signe distinctif pour que sa famille, après la guerre, puisse le retrouver."

Nous attendions de plus amples détails par l'aumônier, mais il a été blessé le 8 et est mort peu après, aussi nous n'avons pas l'espoir d'avoir d'autres détails. Ceux-ci, nous les tenons de Magistry, blessé lui aussi, le 6, très grièvement, onze blessures dont la plus grave est une balle en pleine poitrine et faisant dans le dos un large trou qu'on y mettrait la main.

Evacué à Lille, ses parents sont allés le voir plusieurs fois déjà, mais ça ne va pas fort ; il est resté 7 h sur le terrain au milieu des Boches qui contre-attaquaient de tous côté, et, seul, il s'est fait tant de mauvais sang pendant ce temps qu'il s'est anémié à fond. Mais il est toujours là et l'espérance de la guérison adoucit le chagrin de sa famille.

Il n'en est pas de même de Léon Brenot du Valot disparu depuis le 18 sept. Je crois. On l'a su blessé et Léon Vadant entre autres St Aubin l'a aperçu en partant à l'attaque. Quand ils sont revenus, il ne l'a pas retrouvé et on le croit enterré sous les obus.

Quel triste souvenir et quelle mort cruelle. Pour les parents il est pénible d'apprendre la mort d'un fils mais mieux vaut encore apprendre la mort comme l'a été celle de L Joseph que d'avoir des doutes si cruels. Dieu lui a épargné les trop grandes souffrances et n'a pas permis que lui, si bon, soit mêlé aux sanglants combats et de tout coeur nous L'en remercions.

J'ai appris que le petit Routhier avait été trouvé mort, affreusement mutilé et cela me fait frémir. Ma lettre te trouvera-t-elle au dépôt ? Je le souhaite et demande que tu y restes le plus longtemps possible. Je t'ai envoyé hier un colis contenant du saucisson, chocolat, gaufrettes et une boîte de sardines. Aujourd'hui, je joins à ma lettre un mandat de 15 francs. Pourvu que le tout t'arrive assez rapidement.

Nous sommes en bonne santé et je me prépare à faire la lessive cette semaine. Temps brumeux, humide, souvent la pluie. M. Louise a passé 3 (xx??) jours chez nous pour contenter les tantes. Le temps leur durait de leur nièce. Elle les a bien amusées et devient très dégourdie. Albert est un gros joufflu qui se démène bien fort. Quels bons enfants, toute ma satisfaction. Espérant que ma lettre te trouvera en bonne santé, je te quitte et t'embrasse de tout coeur pour toute la petite famille. Je le fais plus particulièrement pour moi F. Bougaud

 

[note d'Albert:] Mort de parrain Louis-Joseph 4 oct 1916

 

Probablement RANCOURT (80360), au nord de Péronne, direction Bapaume/Arras : un cimetière militaire français est au bord de la N 37, à droite.

 

69.- Louis Mougeot=>F

Carte postale sans titre et sans adresse (une rue avec balcons et minarets)

22 Xbre [décembre] 1916

Bien chère Félicie

Loin de vous encore je viens t'offrir mes meilleurs voeux et souhaits pour l'année qui commence. Bonne santé surtout et que nous ayons le bonheur que 1917 voie finir la guerre et nous ramène auprès de vous tous et en bonne santé. Dans mes souhaits je n'oublie pas tes chérubins et te charge de les embrasser pour moi. J'espère et prie Dieu qu'Il nous épargne de nouvelles épreuves comme vous en avez eu cette année en la mort. ... chez L. Joseph et qu'Il nous donne à tous la santé la force et le courage de supporter les souffrances de cette guerre. Pas de nouvelles fraîches de Bougaud. Ses dernières étaient bonnes et je te prie de ne pas te mettre en soucis pour lui.

Suis en bonne santé. Espère les vôtres de même. En attendant de tes bonnes nouvelles Je t'embrasse L Mougeot [Louis ?]

 


 

1917

 

70.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Nice, le 22 Janvier 1917

Bien chère Félicie

Me voici arrivé à destination. Comme tu peux le voir par l'en-tête, ce n'est pas dans un endroit à dédaigner et je ne pensais pas que la guerre me permettrait de faire une petite saison à la Côte d'Azur. Nous avons embarqué à Salonique dimanche dernier à dix heures sur le plus grand paquebot de France, "navire hôpital France". Nous étions 2520 malades à bord et environ 500 hommes de personnel et d'équipage. Juge de ce que c'est qu'un bateau pareil, quand on pense que nous aurions chacun notre lit sans être gêné le moins du monde. J'étais logé dans une cabine de seconde et n'ai pas eu à me plaindre de ce côté. Nous n'avons quitté Salonique que mardi à midi quand l'embarquement a été terminé et c'est sans regret que nous avons quitté cette terre inhospitalière. Y retournera-t-on ? Peut-être, mais nous aurons eu le plaisir de passer quelques bons moments dans nos familles. Le voyage s'est effectué sans encombres et bien que la mer ait été mauvaise deux jours, je n'ai pas eu à souffrir du mal de mer. Nous n'aurons rien vu d'effrayant en cours de route, car nous avons passé tous les endroits intéressants de nuit (cap Matapan, détroit de Messine, Corse). Dans la nuit de samedi à dimanche nous sommes arrivés devant le port de Toulon où nous ne sommes entrés qu'au matin, car il est fermé la nuit à la navigation. Quelle différence de paysage et de vie avec la Macédoine. D'un côté les villages en ruines, la fainéantise et le désert, d'un autre, une activité fébrile, de jolis villages et partout des arbres à profusion et une végétation luxuriante. On a beau dire, rien ne vaut encore la France. Après la messe à bord, le débarquement comme ça. Les uns sont restés à Toulon, d'autres sont partis à Hyères, d'autres à Avignon et nous à Nice. Nous sommes arrivés hier soir en gare à 8h ½ et aussitôt des voitures nous ont éparpillés par groupes dans tous les hôpitaux de la ville. Nous sommes venus une dizaine à l'"Asile Evangélique", hôpital privé où, je crois, nous ne serons pas trop mal. Ça ne ne ressemble plus les hôpitaux de Salonique où l'on fait attention à vous autant qu'un paquet de linge sale. A peine arrivés, avant d'entrer dans nos chambres, on nous a fait quitter tous nos effets et laver le corps. Après quoi nous sommes allés nous coucher dans un bon lit, comme on n'en a pas de meilleur dans le civil. La propreté y est poussée presque à l'excès. Le service est tout fait par des femmes et tout le monde est d'une prévenance et d'une amabilité extrême. Ce matin nous avons eu au réveil du cacao en guise de café et il paraît qu'on est très bien soigné. La visite est passée par un médecin civil, très gentil et très calé, paraît-il. Je crois que le climat aidant, ma santé s'améliorera rapidement et que je pourrai aller passer bientôt vers toi le mois de convalescence qui est accordé à tous ceux qui sortent d'ici. Enfin, j'ai bonne bouche de l'établissement, je pense que je n'aurai pas à m'en plaindre plus tard. Dans l'espoir que ma lettre te trouvera en bonne santé ainsi que toute la famille, présente mes meilleures amitiés à tous et reçois, pour toi et notre jeune famille mes plus affectueux baisers. Ton mari qui t'aime. H. Bougaud

En traitement à l'Asile Evangélique. Nice.

 

71.- FÉLICIE ==>HIPPOLYTE

St Aubin 28 Janvier 1917

Mon bien cher Bougaud

Cinq années écoulées depuis hier du jour de notre mariage et tu peux croire que j'y ai bien pensé. J'aurais voulu que tu sois près de nous en cet anniversaire. C'est malheureux tout de même qu'en 5 années de mariage il y en ait plus de la moitié de séparation et cela quand l'affection est si profonde de chaque côté. Quand donc pourrons-nous nous retrouver ensemble pour ne plus nous quitter et vivre tranquillement de la vie si douce de la famille. Bientôt j'espère te retrouver mais ce sera encore pour bien peu de temps. Enfin si pendant ce temps la guerre pouvait prendre tournure ce ne serait pas dommage. Profite bien des quelques jours que tu passes à Nice, C'est peut-être la seule occasion que tu auras de profiter du doux climat de cette ville si belle en hiver. Je t'assure qu'ici tu n'aurais pas chaud et il est plus prudent que rentrant de Salonique tu restes quelque temps sous un climat plus chaud que le nôtre. Nous avons un mois de janvier très froid. Depuis 3 semaines que nous avons eu de la neige il en reste encore et la gelée a pris dessus il y a 15 jours, c'est glacial. On n'est bien qu'au coin du feu, hier et aujourd'hui encore la bise souffle et traverse tout. Il n'y fera pas chaud battre à la machine ces jours-ci ; lundi mardi la vapeur sera chez Pierre et mercredi c'est moi qui l'aurai, il y a de quoi se tourmenter par la froidure qu'il fait. Enfin il faut y passer. Nous allons tous nous aider et j'espère que ça ira,le 5 et le 6 février ce sera le tour de Madeleine et de papa et moi chez Mme Girard, nous serons contents d'être quittes des battages. Entre temps et après nous la machine sera chez Marguerite - Marie - Clovis - Augustine Seguin. Ta soeur Marguerite est toujours sans domestique ce n'est pas gai et je la plains car je sais ce que c'est pénible d'être seule.

Tu me diras si tu as reçu le colis et le mandat de 15 frs que je t'ai expédié le 30 Xbre. Ta maman t'avait aussi envoyé un colis le 15 janvier et celui-ci a le temps de courir pour te rattraper. Si tu as besoin d'argent et de colis dis-le moi ; je ne t'expédie rien avant ta réponse.L'hôpital où tu es ne serait-il pas protestant, je sais que les protestants s'affichent beaucoup de l'Evangile et c'est une idée que j'ai eue tout de suite en voyant ton adresse, je ne suis pas la seule à la partager.J'espère que tu me donneras souvent de tes nouvelles et cette fois j'aurai l'avantage de les avoir fraîches. J'ai reçu ce matin ta carte du 11 m'annonçant ton embarquement et une longue carte aussi d'Alfred très gentille. Il sait que tu es proposé pour la France et te souhaite bonne traversée ; il ne demande qu'une chose pour toi c'est que tu ne revoies pas le front et que tu puisses passer quelques bons moments près de nous ; il est en très bonne santé maintenant. Ici, les santés sont bonnes aussi. Albert et Marie-Louise sont grippés mais ce ne sera rien, il n'y a qu'à ne pas les laisser prendre froid. Albert a eu la fièvre toute la journée hier mais aujourd'hui il s'est levé bien gai et ça va beaucoup mieux. Il est toujours très difficile d'avoir du sucre, cependant j'en aurai 25kgs de la sucrerie de Brazey pour 35frs, ici on le paie 34 sous ou plutôt 36 car on ne le donne qu'en ½ livre et encore. A bientôt de tes nouvelles et reçois de ta petite famille les meilleurs embrassements et ta femme l'assurance d'une affection profonde et dévouée et les plus doux baisers. Félicie

Excuse mon écriture, je suis gelée près de mon fourneau.

 

72.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Correspondance des Armées de la République

Carte en Franchise [Cachet:] Camp du Valdahon, République Française, Détachement permanent

Bougaud Hte

60e Régt d'Infie 25e Cie

Groupe d'instructeurs de la classe 18

Valdahon (Doubs)

Le Valdahon 18 Mars 1917

Bien chère Félicie

Je vois qu'avec l'insuffisance des trains, nos lettres ne vont guère aller plus vite que si elles venaient du front et je n'attends pas ta réponse pour te donner de mes nouvelles. L'instruction marche carrément, plutôt théorique que pratique, sauf pour la gymnastique pour laquelle nous avons des instructeurs de Joinville qui tâchent de nous remettre en mains. Il y a bien à faire sous ce rapport, si bien pour l'un que pour l'autre, et chacun en prend pour son grade, officiers, s.-officiers comme les simples soldats. De plus, comme il est question de nous envoyer en perm agricole, je crois qu'on nous fait avaler les bouchées doubles et qu'en 8 jours au plus, on aura tout vu ce qu'on aurait dû voir dans nos 21 jours. Je crois qu'on partira en perm en ayant tout vu et que ceux qui resteront, reverront les mêmes choses pendant le reste du stage qui doit finir le 5 avril.

Après les jours de pluie et neige, nous avons eu ici vendredi et samedi qu'il a gelé comme au plus fort de l'hiver. Ce fut probablement pareil à St Aubin et comme cette gelée a beaucoup asséché les terres, je crois que vous pourrez reprendre bientôt vos charrues. Tâche donc de revoir l'avoine d'hiver et de prendre une décision à ce sujet. J'ai dans l'idée qu'elle sera pas à défaire et dans le doute, voici ce que je voudrais que l'on puisse faire. Si tu mets des fourragères au Pont du Juif, tu n'as plus d'orge et je voudrais qu'au lieu d'avoine on mette de l'orge, avec du trèfle (en 2 coups de charrue, à cause de faire la terre) au Bas de l'Etang, et du trèfle dans le blé de Vannée. 51 ares + 48 refont l'hectare de Crimée. Si l'avoine de Crimée est bonne, semer ce trèfle en Crimée de préférence. Rien de plus à te dire aujourd'hui, sinon de présenter mes amitiés à toute la famille et que je t'embrasse avec les enfants comme je vous aime. H. Bougaud

J'ai vu sur le journal que les jeunes gens de la classe 18 seraient envoyés dans les garnisons les plus éloignées de leur domicile, en commençant par la lettre Q. Donc Henri sera près de St-Aubin, ce sera un grand avantage pour vous et pour lui.

 

73.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre - Expéditeur: Bougaud Hte, 42e de ligne

31e Cie - Groupe du 60e - Mission spéciale, Fort du Larmont Supérieur - Pontarlier (Doubs)

Pontarlier le 25 avril 1917

Ma chère Félicie

Nous voici arrivés à Pontarlier. Quel pays et quelle différence avec St Aubin ; ce n'est pas ici encore que je viendrai m'établir après la guerre à Pontarlier même, quoique la végétation soit très en retard, comme en Février chez nous, il n'y a pas de neige, mais on sent déjà le soleil. Au fort du Larmont où nous sommes, c'est autre chose, et pour n'être qu'à 7 ou 8 km à côté de Pontarlier, c'est l'hiver en plein. Dans les chemins en creux qui mènent au fort comme dans les cours du fort, il y a de la neige à ma hauteur et en terrain libre autour du fort, il y en a une couche uniforme de 50 cm au moins. Ça fond un peu le jour mais la nuit il gèle et on ne laisse pas éteindre le feu dans la journée. Je ne sais pas ce qu'on est venu faire ici, mais je sais bien que j'aurais préféré rester à Besançon, à cause du temps d'abord et pour les permissions surtout. Ici, à part quelques 24 heures seulement, on n'a pas de permissions et je regrette bien la permission agricole que j'aurais pu avoir là-bas. Pour aller en vingt-quatre heures, ce n'est pas chose facile, mon train arrivant à Dôle à 9 h ¼ du soir (heure légale), pour en repartir le dimanche à 16 heures 18. Ça ne vaut donc guère la peine, à moins que je puisse avoir ma bicyclette vers Pierre pour lui remettre le lendemain. Ne compte donc pas trop sur moi. Si je me décide un jour à aller te voir, je t'arriverais autour de 11 heures du soir.

Tu ne t'étonneras pas non plus si tu reçois de mes lettres ouvertes ; presque toutes les lettres passant à Pontarlier passent à la censure. Marie-Louise et Albert sont-ils guéris de leur rhume. Dis leur que leur papa veut qu'ils soient toujours bien gentils et bien obéissants à leur maman et embrasse les bien fort pour moi. Avez-vous déjà passé le canadien à la Basse Tope et au Pont du Juif ? Je crois que ce serait la meilleure façon de culture. Dommage que je n'aie pas pu faire ce travail et planter les betteraves et p. de terre moi-même. Que veux-tu, ici on n'est pas maître de soi, mais ça n'empêche pas l'amitié et de tout coeur je t'embrasse. Ton cher H Bougaud

 

Mes amitiés à toute la famille et bien le bonjour à Lucien et Henriette. N'oublie pas que tu as 1 kg de graine de betteraves jaunes à remettre, à 3,30 fr le kg t que ce sont celles qui sont les premières à prendre dans le sac.

 


 

74.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Vy-lès-Lure le 28 7bre [septembre 1917]

Ma bien chère Félicie

Enfin me voici arrivé à destination et je m'empresse de te donner mon adresse pour que tu puisses m'envoyer de tes nouvelles. Tu as reçu sans doute ma carte de Besançon t'annonçant mon affectation au 88e. Je n'ai pas osé aller te dire au revoir ; j'aurais pourtant pu le faire entre le train du soir et celui du matin, de même que le lendemain à Gray, si l'on pouvait savoir ½ journée à l'avance ce que l'on doit faire. Aujourd'hui qui sait quand il nous sera possible de nous rencontrer.

Arrivé lundi soir à Besançon, nous avons passé la journée de mardi à être habillés, équipés et passés en revue. J'ai fait en ville ce que j'avais à y faire et j'ai passé de bons moments avec Henri à qui j'ai passé mes indications pour ma bicyclette et mes montres. Nous ne sommes partis que le mercredi soir à 6 heures pour aller coucher à Gray. Là encore nous croyions repartir dès le matin, tandis que nous n'avons repris la direction de Lure qu'à la nuit. De nouveau nous avons couché à cette gare et comme nous n'étions qu'à 7 km du cantonnement, nous les avons faits à pied ce matin ; si bien que nous avons mis deux jours pour faire 42 km par le train. Voici notre trajet [dessin] Besançon - Gray - Vesoul - Lure - Vy-lès-Lure.

Le 81 est un régiment du midi (Montpellier), mais, comme dans tous les régiments on y rencontre des gens de tous les coins de la France. Ce n'est pas un régiment d'attaque comme le 60 et nous sommes tous contents d'avoir quitté la fameuse division des as. A Besançon d'ailleurs on a choisi les plus vieux pour nous envoyer à ce régiment. Je crois que nous n'y serons pas malheureux ; l'esprit n'est pas du tout le même qu'au 60. C'est un régiment de secteur comme était le 260 au début. Ces temps derniers il était au Mort Homme. Actuellement il est au repos dans les environs et il doit retourner bientôt occuper un secteur en Alsace entre Thann et Dannemarie, probablement celui que nous avons tenu pendant 14 mois. Tu vois qu'il ne faut pas s'épouvanter à l'avance.

Maintenant, je ne suis qu'au dépôt divisionnaire, pour un temps plus ou moins long. Le régiment d'ailleurs vient d'être renforcé et est au complet. Ce n'est que lorsqu'il aura besoin à nouveau d'hommes que nous partirons d'ici et encore, il y a probablement un tour de départ pour quitter le dépôt. Comme emploi du temps, de l'exercice matin et soir, mais moins pénible qu'à Supt où il n'y avait déjà pas trop à se plaindre. Le beau temps continue et je me réjouis de ce que vous pouvez faire vos travaux assez facilement. Je crains seulement que la terre ne devienne bientôt trop sèche pour labourer et semer vos trèfles. Si vous pouviez avoir un temps pareil pour rouler les betteraves, vous viendriez bien à bout faire le reste. J'ai vu l'autre jour à Supt la taxation des p. de terre à 20 F pour les chaires xx?? blanches et des haricots à 153 F pour les petits blancs. Mais je crois que pour ces derniers le prix remontera car la taxe n'est que jusqu'au 15 9bre. J'ai vu un article aussi sur le Matin (journal gouvernemental et presque officiel) qui plaide en faveur du rehaussement du prix des céréales et d'une taxe minimum de 60 F pour le blé. Au Congrès de Lyon, il y a 2 ou 3 jours, il ne s'est pas fait de vente en maïs à moins de 75 F les 100 kg gare départ. Je crois qu'il ne faut pas se presser de vendre tant qu'on n'y sera pas absolument obligé. Plus rien de nouveau aujourd'hui et je termine en t'embrassant bien fort ainsi que Marie-Louise et Albert. Dis-leur que le papa veut qu'ils soient toujours bien gentils et qu'ils ne fassent pas de misères à leur maman. Bien le bonjour à Henriette et Lucien et mes amitiés à toute la famille. Ton mari qui t'aime H Bougaud

Dépôt divisionnaire du 81e Infie 8e Cie, S.P. 139

[Supt ? : 39300, entre Champagnole et Andelot en Montagne]

[Vy-lès-Lure : 70200, au Sud de Lure]

 

75.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre -Expéditeur : Bougaud Hte

Dépôt divisionnaire du 81e Infie, 8e Cie - Secteur postal 139

Le 4 Octobre 1917

Ma chère Félicie

Nous ne sommes pas restés longtemps à Vy-lès-Lure et nous l'avons quitté ce matin pour nous rendre aux environs de Belfort. Le régiment va probablement reprendre notre ancien secteur et nous nous rapprochons de lui. Nous faisons de petites étapes, 13 km aujourd'hui, 11 demain, mais le sac est toujours assez lourd, surtout qu'il y a déjà bientôt deux ans que j'en ai perdu le goût. Si j'avais eu un brevet de conducteur, il m'aurait peut-être déjà servi car on a déjà demandé des automobilistes. Vivement que vienne ma 1ère permission pour que je tâche de m'embusquer. Si nous étions demeurés encore quelque temps à Vy-lès-Lure, j'avais projeté d'aller te surprendre dimanche. Partie nulle qui se retrouvera peut-être on ne sait quand.

Aujourd'hui, le temps semble vouloir se mettre à la pluie ; c'est dommage, car il fait bon voyager par le beau temps et vous auriez peut-être besoin de quelques jours de roulxx?? pour sortir vos betteraves. Seulement une rosée sera peut-être la bienvenue pour les semailles qui doivent commencer à souffrir du sec. Je pense que vous en avez profité et que vos travaux ne sont pas en retard.

Ma santé est bonne et nous sommes bien nourris ; nous n'avons pas à nous plaindre. Je pense que vous vous conservez aussi et que les enfants ne te laisseront pas de souci à ce sujet. Bien de bonnes choses à tous et à vous mes plus doux baisers. Ton cher H. Bougaud

 

76.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

CARTE-LETTRE adressée à Madame Hippolyte Bougaud-Mougeot

Exp: H B 81ème 7ème Cie S P 139

Roderen le 4 novembre 1917

 

Ma bien chère Félicie

Je fais réponse à ta lettre du 28 et à ta carte du 1er novembre que je viens de recevoir. Comme je te le laissais prévoir dans ma dernière lettre, nous avons quitté la frontière où nous étions et nous voici dans le secteur d'Alsace où Octave a passé de si longs mois tranquilles. Seulement nous n'y sommes pas pour occuper les tranchées comme nous devions le faire quand nous sommes partis d'Eguenigue [Entre Belfort et Lacollonge] . Nous sommes je crois, toujours sur le qui-vive et l'on nous a amenés ici, je crois un peu pour dépister et pour ne pas laisser trop sans rien faire à penser à ce que l'on veut faire de nous. Car nous sommes ici soit disant pour travailler et du travail on n'en fait pas.

Depuis 4 jours, nous avons fait 3 heures de travail de nuit et c'est tout. Il n'y a encore pas d'ordre pour cette nuit et demain nous aurons les douches. C'est dire que nous attendons une autre destination. Je souhaite me tromper car il ferait bon prendre ce secteur, plus calme encore que celui voisin que j'ai connu pendant 14 mois.

Roderen est un joli pays d'au moins 2000 hab. situé dans une vallée juste en bas des Vosges, au bord de la plaine au fond de laquelle on voit Mulhouse à 16 km d'ici. C'est un plaisir de monter un jour de beau temps sur les coteaux qui bordent le pays,car le panorama qu'on a sous les yeux vaut la peine d'être vu. A 200 m du pays s'étend une plaine comme celle de chez nous jusqu'au Rhin et du haut de nos observatoires on voit les lignes dans une vaste friche, qui fut, il y a 3 ans, un des plus riches terrains de l'Alsace.

A 3 km de nous, Thann est caché dans un ravin des Vosges, mais à côté l'on distingue très bien le Vieil Armand de sinistre mémoire, Steinbach et Cernay où de chauds combats se sont livrés en 1914-1915. Au fond, Mulhouse avec ses nombreuses cheminées qui fument ; et dans cette plaine où l'on ne voit aucune silhouette d'hommes, la vie n'est révélée que par les flocons de fumée des obus et le tactac des mitrailleuses que l'on entend ou que l'on voit de temps en temps.

Le jour de la Toussaint fut pour nous une journée de mouvement et nous n'avons pu assister à la messe. Je me suis rattrapé le lendemain et aujourd'hui, l'aumônier du régiment a célébré une grande messe de Requiem à l'intention des braves camarades morts au champ d'honneur. Je n'y ai pas oublié nos chers morts ni notre bien-aimée et regrettée grand-mère. Partout en France, de magnifiques cérémonies ont eu lieu en leur honneur. Puissent toutes ces prières être d'un grand soulagement à leurs âmes et les mettre au rang des Elus du Seigneur.

Ici le beau temps est revenu et l'on se croirait au printemps vis-à-vis de la semaine dernière. Dommage que vous n'ayez pu garantir vos betteraves de la gelée ; mais en les faisant consommer de suite vous parerez un peu au mal et vous n'avez rien à vous reprocher, car vous avez fait tout ce que vous avez pu et vous étiez bien en avance, malgré le peu de bras que vous avez à votre disposition. Tu tâcheras de consommer aussi de suite les pommes de terre qui ont subi l'eau dans l'écurie, le mal ne sera pas grand, c'est malheureux que la maison soit si basse et craigne tant l'inondation. Je m'arrête forcément et vous embrasse tous trois comme je vous aime. Edmond Bonnette qui est avec moi est le cousin germain de l'ouvrier des Miellet.

 

[5 mois manquent : novembre 1917, décembre 1917, janvier 1918, février 1918, mars 1918]

 


 

1918

 

77.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

[Carte-lettre militaire, Trésor et Postes 3/4/18]

Le 2 avril 1918

Bien chère Félicie

Nous voici bien loin de notre point de départ, dans une région entièrement nouvelle pour moi et qui ne ressemble en rien, comme culture, paysage, terre et climat à celle que nous venons de quitter. Inutile de te dire que c'est une des plus riches de France et je peux constater de moi-même ce dont nous parlions avec Honoré et Raymond au dîner du 1er de l'an chez vous. C'est je crois, ne pas avoir besoin de te mettre les points sur les i, te dire assez clairement où nous sommes. Devant nous N..n [Noyon ?], un peu à gauche M..r [Montdidier ?], c'est-à-dire un secteur du front non des moins troublés. Après 28 h de train, nous étions assez fatigués, surtout pour avoir fait le trajet sans bancs dans des wagons ordinaires et tu peux croire que nous avons bien occupé la nuit dernière.

Devant nous, mais assez loin encore, c'est assez calme. La journée, on n'entend pas le canon et de la guerre on ne voit guère que d'assez nombreux avions qui survolent la région : mais la nuit dernière a été assez mouvementée et le canon n'a cessé de rugir jusqu'au matin ; au jour tout s'est calmé. D'après des on-dit (mais c'est probablement des canards) nous aurions repris Nn [Noyon ? ] et fait 10000 prisonniers la plupart Autrichiens et Bulgares [?]. Mais comme on est au mois d'avril, je n'y ajoute guère foi, car je n'ai pas eu l'occasion de voir beaucoup de cette graine-là.

Le pays où nous sommes, gros pays de culture est au 2/3 évacué par les habitants, effrayés par la poussée boche. Compiègne est loin de nous comme nous sommes de Tavaux [7 km] . Nous sommes là en réserve et nous attendons notre tour d'entrer en danse. Quand ce sera, on ne le sait pas ; nous attendons avec confiance. Voilà donc comment nous avons passé Pâques dans le train ; nous avons juste eu le temps d'avoir une petite messe basse - avant notre départ, à laquelle qques braves ont pu faire leur devoir pascal. Le temps n'était pas favorable pour la 1ère communion et je vous ai bien plaints si vous avez eu pour l'occasion une pluie battante comme celle que nous avions pour prendre le train. La santé est excellente, je souhaite que la vôtre soit toujours semblable et dans cette pensée je vous embrasse tous de grand coeur. Bien à vous, HB Même adresse.

[N...n = Noyon ; M...r = Montdidier]

 

78.- A=>H

[Carte postale représentant la musique militaire]

Orient, 3 avril 1918

Bien cher Bougaud

Je t'envoie aujourd'hui la photographie de notre groupe. J'espère que cela te fera plaisir. Tu me verras le troisième à droite du deuxième rang, et Louis au troisième rang à droite du chef. Grattepain à côté du chef et Milleron au-dessus, à gauche. Tu pourras en reconnaître quelques uns. En France il se fait de grands combats, aussi tu peux croire que je suis inquiet sur ton sort. Ecris moi car je suis heureux lorsque je reçois de tes bonnes nouvelles. Personnellement nous n'avons pas à nous plaindre et le secteur est calme ici. Nous avons été pris devant l'église du village où nous sommes. Mais toi, combien je voudrais que sois tranquille aussi. J'espère que toute ta petite famille va bien. Ta permission doit avoir été retardée vu les circonstances. Je suis en excellente santé ainsi que Louis. Je souhaite qu'il en soit de même pour toi et je te quitte, cher frère, en t'embrassant de tout mon coeur.

Alfred Bougaud musique du 260e Armée d'Orient par Marseille S. Pal 508

 

79.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 4 avril 1918

Ma bien chère Félicie

Je t'écris aujourd'hui, ce n'est pas pour te dire bien grand grand-chose de nouveau, mais c'est pour te tranquilliser, car dans cette période mouvementée, je ne te sens pas tranquille tous les jours. C'est pas non plus pour répondre à une de tes lettres, car depuis quelques jours nous n'en recevons aucune et si nous continuons à être en mouvement comme nous le sommes, je ne sais quand nous pourrons avoir de vos nouvelles. Il est vrai que vous êtes probablement dans le même cas, et que, si on craint les indiscrétions de notre part, on ne craint pas de vous laisser bêtement dans l'inquiétude. Aussi pour être plus sûr que ma lettre te parvienne, je préfère l'affranchir et te l'expédier par la poste civile.

Tu dois savoir que nous avons quitté Auxelles le jour de Pâques et que nous sommes dans une région complètement nouvelle pour moi. Nous ne sommes pas restés longtemps où nous avons débarqué et je crois que nous n'avons pas fini de traîner,comme en 1914, nos pattes sur les routes. Hier nous avons fait 25 km au sud-ouest du lieu où nous étions. Nous sommes aujourd'hui auprès de Mr Bajac. Demande là-dessus des précisions à mon papa qui sait de qui je parle. Aujourd'hui, nous sommes revenus un peu sur nos pas par un vilain temps pluvieux ; heureusement que la course n'était pas longue. Demain, nous repartons d'un nouveau bond de 25 km, mais comme on tourne le dos au front, ce n'est pas dangereux. Je crois qu'on concentre dans cette région une armée dont le commandement pourra disposer où le besoin se fera sentir. Pour te donner plus de précisions, c'est dans les environs d'une ville qui a donné son nom aux patates que tu plantes sans doute ces jours-ci. Il n'est plus question de permissions maintenant ; c'est d'avoir eu de la guigne et je crois que pour ne pas trop le regretter il n'en faut plus parler et attendre le jour où elles recommenceront et qui marquera mon jour de départ.

Dans cette région, il n'y a pas de billets de 1 F et 0 F,50 et comme on ne les accepte pas, je t'envoie dans cette lettre ceux qui m'embarrassent. C'est d'ailleurs bien plus plaisant de manier la monnaie blanche. Pour le moment nous ne sommes pas à plaindre, n'ayant que les fatigues de la route et nous nous en reposons dans de bonnes nuits qui sont bien occupées. Je souhaite que nous restions longtemps dans cette situation, qui, si elle est un peu fatigante, n'est pas dangereuse du tout et vous tient exempt de soucis à notre sujet. La santé est bonne et je suis d'un tempérament assez fort pour supporter cela. Pourvu que vous vous conserviez dans le même état et tout va bien. Vous devez être en grands travaux actuellement et les plantations de pommes de terre et betteraves ne doivent guère vous laisser de répit.

Je t'ai écrit, du jour que nous avons connu notre déplacement, environ tous les deux jours. As-tu reçu mes lettres. Je continuerai de même, ne fût-ce qu'une carte avec deux mots, pour te tranquilliser, tant que nous n'aurons pas donné notre coup et que nous ne serons pas venus à une période moins agitée. Peut-être qu'à ce moment il y aura du nouveau et qu'alors on pourra entrevoir la grande permission que nous désirons tous. En attendant, je t'embrasse de tout coeur, ainsi que Marie-Louise et Albert à qui je pense bien souvent. Ton mari qui t'aime. HB

 

80.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre Militaire

Le 28 avril 1918

Ma chère Félicie

Aujourd'hui, Dimanche (mais pas pour nous), nouveau déménagement, cette fois dans la direction des lignes, si on peut dire lignes, car il paraît que devant nous il n'y a ni tranchées, ni abri, ni réseaux, les Boches ayant avancé par là il ni [n'y a] pas très longtemps. Nous sommes dans la même région que je t'ai dit hier, mais en deçà de la ligne (sur une carte c'est facile de t'y reconnaître si tu as reçu ma lettre d'hier) et ce soir nous couchons en avant des premiers canons. Petit à petit notre tour approche et il est probable que nous ne tarderons pas à prendre le secteur. Chacun en est presque content car tout le monde commence à être fatigué de toutes ces marches que nous faisons depuis si longtemps déjà et se réjouit d'être enfin arrivé à destination.

Ici il y a énormément de troupes et nous ne voyons qu'une faible largeur du front, en particulier le régiment d'Honoré et toutes les troupes qui se trouvaient dans la même région que nous cet hiver. Il se peut cependant que nous ne soyons là seulement qu'en réserve et pour travailler et tu ne t'étonneras pas de recevoir encore des lettres que nous sommes toujours dans la même situation. Ne t'effraye pas si je te dis toute la vérité et surtout ne cherche pas à voir autre chose entre les lignes que ce que je t'écris, car je te donne ma parole que tu serais dans l'erreur, ce que je ne veux pas absolument parce que rien n'est plus terrible dans des moments pareils que le doute. Aie confiance comme moi et ne crois pas à tous les racontars et tout ira bien.

Voici bientôt 6 jours que nous ne recevons pas de nouvelles, mais nous vous savons toujours en sécurité. Je souhaite que vous ne soyez pas dans le même cas. Même temps aujourd'hui que tous les derniers jours. Je vais décidément croire que l'on ne voit presque jamais le soleil dans cette région. Maintenez-vous toujours en aussi bonne santé que je me trouve et en même temps que mes amitiés pour toute la famille, reçois pour toi et notre petite famille mes plus affectueux baisers. Ton mari qui t'aime HB

 


 

81.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 29 avril 1918

Ma chère Félicie

Aujourd'hui nous sommes en ligne ; pas précisément ma compagnie, qui est en réserve à 1 km à peu près des premières lignes, mais le régiment. A peine arrivé, il a attaqué et, derniers renseignements arrivés, il paraît qu'il a trouvé les Boches en pleine relève, ce qui lui a permis d'avancer assez et de ramener une centaine de prisonniers - exactement 92 -. Pendant ce temps nous étions sous le feu de barrage pendant environ 2 heures. Heureusement que nous avions eu suffisamment de temps pour nous creuser chacun un petit trou et nous n'avons pas eu de pertes à la compagnie sauf un qui a eu un doigt coupé par un éclat. Si les bataillons qui sont en 1ère ligne n'ont pas trop de pertes pendant le séjour que nous devons passer dans le secteur, il y a des chances que nous ne soyons pas engagés et que nous revenions au repos sans avoir trop de pertes. Nous restons abrités toute la journée pour que les avions ne nous repèrent pas et tu peux croire que tout le monde est assez prudent. Ici, c'est la guerre dans toute son ampleur et dans toutes ses tristesses. Pour un secteur nouvellement tenu, il y a des trous d'obus partout et les nombreuses fermes qui sont éparpillées partout (comme dans la Bresse) sont toutes démolies. Hier soir nous sommes montés à la lumière des incendies allumés par les Boches et à chaque instant de la journée c'en est une autre qui flambe. Il faut s'estimer heureux chez nous de ne pas connaître toutes ces horreurs ; tu ne peux non plus te faire la triste impression que font tous ces réfugiés (les uns avec quelques matelas et quelques provisions sur une voiture, les autres avec ce qu'ils ont de meilleur comme habits et presque rien qu'ils peuvent emporter à dos) que nous avons rencontrés tout le long de notre route. Nous pouvons remercier Dieu qui nous a épargné ce fléau, le pire de tous et le prier de ne jamais nous le faire connaître. Pour moi, je suis en excellente santé et je pense que cela continuera. Ce que Dieu garde est bien gardé et j'ai confiance que la prière des enfants et les tiennes ne resteront pas vaines. Nous sommes exactement à l'endroit que je t'ai indiqué hier.

Je termine pour aujourd'hui mais avant de fermer mon enveloppe je tiens à te redire toute mon affection pour toi et mes deux chers enfants et à y enfermer mes plus gros baisers pour tous.

Ton mari qui t'aime et pense à toi. HB

Mes amitiés à toute la famille. Renseignements dont tu n'auras probablement pas besoin, mais utiles : En cas d'accident, tu pourras t'adresser à l'un de ces camarades à la même adresse que moi : Tersy, brancardier (prêtre) - Debon Lucien - Coutanroch Louis - Saroul Adrien - Clerc Claude (de Neublans) - Satgé (aspirant).

Si je venais à être prisonnier, ne te fais pas de mauvais sang ce n'est pas la moins bonne solution.

 

82.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale Militaire

Le 1er mai 1918

Ma chère Félicie

Je crois t'avoir écrit hier du 29 au lieu d'avoir daté du 30 mais ça n'a pas d'importance. Rien de nouveau depuis, sinon que la bataille continue avec des intervalles de grande violence. Nous sommes dans la même situation qu'hier. Je ne t'en raconte pas davantage pour aujourd'hui car je veux profiter de la journée pour me reposer un peu, ici rien n'étant si peu sûr que les nuits.

Qu'il te suffise de savoir que je suis toujours en bonne santé et que j'espère bien continuer à y rester. Une bonne pensée pour tous et à vous trois particulièrement mes meilleurs baisers. Je viens de recevoir ta carte du 25 et ton colis en parfait état. Je te remercie de tout coeur. Bien à toi HB

 

83.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

(Carte militaire Trésor et Postes 4/5/18)

Le 3 mai 1918

Ma chère Félicie

Rien de nouveau depuis hier. Nous sommes toujours dans la même situation et je suis, c'est l'essentiel, en excellente santé. La fin de la journée d'hier s'est bien passée, mais la nuit et la journée d'aujourd'hui est assez mouvementée. Notre artillerie fait rage et je t'assure que je ne voudrais pas être à la place des Boches. Eux ne répondent pas beaucoup et ma compagnie n'a pas de perte à déplorer que 4 ou 5 blessés. Heureusement nous avons le beau temps car s'il pleuvait, logés comme nous sommes dans les trous d'obus, il ne ferait pas bon. Puissiez vous avoir un temps pareil pour avancer vos travaux. Bon courage et reçois mes plus affectueux baisers avec M. Louise et Albert que je n'oublie pas.

 

84.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

FELDPOSTKARTE 6-5-18

Le 4 Mai 1918

Ma chère Félicie

Hier soir, notre ligne a été avancée de près d'un kilomètre, aussi sur le terrain on trouve des souvenirs et cela t'expliquera pourquoi je t'écris aujourd'hui sur une carte boche. Tu vas déjà croire que je t'écris que je suis prisonnier, tranquillise toi, ça ne viendra pas si vite et nous ne risquons pas de l'être car ce n'est pas nous qui avons mené l'attaque. Nous n'avons eu que le contre bombardement et ce matin un violent marmitage pour passer la rage boche, mais aucune casse et tout va bien. Je pense t'écrire encore tous les jours dans ce sens, quoique notre temps de tranchée doit tirer à sa fin et nous ne sommes plus guère loin de céder la place à d'autres. Mes amitiés à toute la famille et à toi mes plus affectueux baisers, sans oublier Marie-Louise et Albert à qui je recommande d'être toujours bien gentils et bien sages pour contenter et soulager les peines de leur maman.

Ton mari qui t'aime H. Bougaud

 

85. - HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 6 mai 1918

Ma bien chère Félicie

Je viens de recevoir tes lettres du 28 et du 30 ensemble avec le petit bouquet de muguet, porte-bonheur, souhaitons le. Comme toujours, j'ai eu grand plaisir à parcourir tes lignes et je te remercie de prendre sur ton repos pour m'écrire aussi souvent. Cependant, si je suis bien aise de recevoir tes lettres et que leur venue fasse passer un agréable moment dans cet enfer, je ne voudrais pas que tu te prives de repos pour cela et comme je vous sais en sécurité, je ne trouverais pas à redire si tu ne pouvais le faire aussi régulièrement. Tu me dis que tu as le cafard ; ce n'est pas étonnant quand tu me sais dans cette position et encore tu n'as pas les lettres t'annonçant que je suis en ligne ; qu'est-ce que ça doit être aujourd'hui et j'ai presque regret maintenant d'avoir été trop franc. Cependant, je t'en prie, aie confiance comme moi et ne te laisse pas aller au découragement. Tâche de trouver une distraction, comme tu le dis, dans le travail et surtout dans la compagnie de nos deux chers enfants. Bientôt probablement, comme Octave et Raymond, vont aussi t'aller tenir compagnie et nous serons (tu seras) tranquillisés. Clerc de Neublans est évacué malade, par conséquent, il n'est plus question de lui. Aujourd'hui nous sommes revenus en réserve et l'on compte toujours sur la relève sous peu. Quel voyage la nuit dernière que de voir des 1ères lignes ici dans le noir, à la suite d'un violent orage sur un terrain tout bouleversé par les obus ! On commence à trouver le temps long et l'on aspire après le jour où nous repartirons à l'arrière. Merci des renseignements que tu me donnes sur Louis et Raymond Péchinot. Espérons aussi qu'Honoré sera laissé à Madeleine, qui je le comprends, redoute son départ. J'ai reçu des lettres de Louis, Alfred, Octave, Henri, etc. .. Mais je n'écris qu'à toi pour le moment, je ferai leur correspondance quand je serai mieux placé. Mes amitiés à tous et mes recommandations d'être bien sages à Marie-Louise et à Albert et à toi comme eux deux mes plus tendres baisers. Ton mari qui t'aime HB

 

86.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 7 mai 1918

Ma chère Félicie

Aujourd'hui, en réserve, nous avons passé une nuit à peu près tranquille et je t'assure que je l'ai utilisée par un sommeil de plomb. Tu peux croire qu'après 7 jours de lignes, surtout ici, on commence à être fatigué et l'on se regarde l'un l'autre tellement on a la figure défaite et les traits tirés. Ce matin, autre misère, nous avons eu la pluie battante et bon gré mal gré il a fallu sortir se faire mouiller dehors pour rafistoler nos cagnas et garder au moins un petit coin sec pour s'asseoir à l'intérieur. Quel gâchis avec toute cette terre remuée ; le soleil est venu à midi, pourvu qu'il ne tombe plus d'eau, car je te promets que ce n'est pas le rêve. On parle toujours de relève, mais ne sait quand ; en attendant nous remonterons en ligne ce soir. Nous aimons autant car c'est moins dangereux qu'ici où les obus ne cessent de tomber un peu partout. La santé est toujours excellente, j'espère bien qu'il continuera d'en être ainsi et je pense que ma lettre vous trouvera de même. Je ne te parle pas de tes travaux, tu m'excuseras, mais je m'associe à toutes vos prières et prends note de tout ce que tu me dis dans tes lettres. En terminant je te redis toute mon affection pour toi et nos deux mignons et je vous embrasse de tout mon coeur. Ton mari qui t'aime et pense à toi HB

 

87.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale Militaire

Le 8 mai 1918

Ma chère Félicie

Aujourd'hui neuvième jour que nous sommes en lignes ; on ne parle encore pas de relève pour ce soir : on commence à trouver le temps long à suivre ce régime : ne jamais dormir que par intervalles très courts et à plusieurs reprises dans la journée et ne jamais rien manger de chaud. Si au moins ce qu'on nous donne comme repas froid était bon : mais bien souvent on aime autant y jeter que de mettre la dent dessus. Il est vrai qu'avec la fatigue on n'a pas beaucoup d'appétit et l'on vit de peu. Si je te dis cela, ne crois pas que je te réclame plus souvent des colis : comme je t'ai dit suffira. Malgré cela chacun conserve la gaieté et l'on est même à ne plus penser au danger auquel on est constamment exposé. D'ailleurs le beau temps revenu après la dégoûtante journée de pluie nous redonne un peu de réconfort et de bonne humeur. Je garde toujours espoir que je m'en tirerai comme je suis en très bonne santé et je te demande d'avoir toujours comme moi bonne confiance. Dans mon petit trou où l'on n'ose trop bouger la journée pour ne pas se faire repérer je ne vous oublie pas et à chaque instant ma pensée est avec vous. Je pense que vous êtes toujours en bonne santé et que Marie-Louise et Albert sont toujours bien obéissants et bien gentils et te donnent toute satisfaction ainsi qu'à leurs maîtresses. En attendant demain je t'envoie les meilleurs baisers de ton mari qui t'aime et pense souvent à toi. Bon courage

 

88.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale Militaire

Le 11 mai 1918

Ma bien chère Félicie

Je crois cette fois que nous allons être relevés. Après 12 jours, tu peux croire que le temps que nous avons passé ici est suffisant et beaucoup qui sont venus le premier jour n'ont pas attendu aussi longtemps pour repartir. Heureusement la plupart sont blessés et les morts ne sont pas excessivement nombreux. Des indices nous font penser que la relève sera pour ce soir ou demain. Il paraît que les cuisines sont reparties une dizaine de km à l'arrière. Or il y a de fortes chances que nous les suivions sous peu. Personne n'en sera fâché et chacun aspire à faire un bon somme tranquille dans un cantonnement à peu près convenable sur une bonne litière de paille. La santé reste toujours excellente, je ne désespère pas que cela continue encore ces quelques moments qui nous séparent du repos. Je t'envoie mes meilleures amitiés et mes plus affectueux baisers. Ton cher qui t'aime HB.

 

89.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale Militaire

Le 12 mai 1918

Ma bien chère Félicie

Encore un Dimanche qui ne différera pas pour nous des autres jours, car nous sommes toujours dans la même situation, sinon que nous sommes en réserve au lieu d'être en première ligne. Il n'y a pas beaucoup de différence, à moins que les obus tombent plus drus ici. Heureusement nous sommes dans un coin où il n'en arrive aucun ; mais de chaque [côté ?] ils n'arrêtent de tomber. Nous attendons toujours la relève avec impatience ; on dit cependant que c'est pour ce soir ou demain le plus tard. Ce sera pas trop tôt, car la fatigue de tous est extrême.

J'ai reçu tout à l'heure ta lettre du 8 ; je vois que tu n'es pas très tranquille depuis que je suis dans la mêlée. Aie confiance, tout s'est bien passé jusqu'à présent ; je ne doute pas que cela continue jusqu'au bout de notre passage dans le secteur. Je regrette que vous ayez la pluie continuelle qui gâche vos travaux et vous cause des fatigues dont vous vous passeriez bien. Je suis en bonne santé, faites de même et bon courage. Je vous embrasse comme je vous aime.

 

90.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte Postale Militaire

Le 13 mai 1918

Ma bien chère Félicie

Mon petit mot journalier te disant que je suis toujours en bonne santé t'arrivera encore aujourd'hui du même endroit, c'est-à-dire à deux km des 1ères lignes. C'est probablement la dernière fois que je t'écris d'ici, car le bruit court avec persistance (quoiqu'il n'y ait rien de bien officiel) que nous serons relevés cette nuit. Quelle joie et quel soulagement pour tous de penser que nous allons aller un peu nous retaper à l'arrière ; nous en avons besoin. Déjà la nuit dernière et ce matin j'ai rattrapé du sommeil en retard ; j'étais dans une petite niche assez bien installée et j'avais pu trouver un peu de paille dans une ferme voisine ; comme je n'avais pas le souci du service de tranchées, j'en ai fait qu'un somme d'au moins 15 h, sans entendre les marmites qui tombaient de chaque côté de nous. Rien que cela, on se sent un peu moins fatigué. J'ai oublié hier de t'accuser réception de ton colis ; tout y était : le saucisson, le pâté et le beurre un peu écrasé, les biscuits surtout. Je t'en remercie et s'il y avait des morceaux, ils étaient bons quand même. Mes félicitations pour tes gâteaux, mais qui sont un peu plus fragile (peut-être trop) que les autres. Toute la journée d'aujourd'hui il tombe une petite pluie fine qui nous oblige à rester à l'abri. Nous n'en souffrons pas et sommes forcés ainsi de nous reposer. Les permissionnaires sont déjà partis. Je ne sais au juste quand ce sera mon tour mais il est probable que dans une quinzaine nous aurons le plaisir de nous embrasser et de nous raconter nos impressions et nos peines. En attendant je le fais par le crayon et t'envoie mes plus doux baisers. Ton mari qui t'aime et pense à toi HB.

 

91.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 14 Mai 1918

Ma bien chère Félicie

Contrairement à notre attente, nous n'avons pas été relevés hier soir et nous ne savons toujours rien de certain à ce sujet. Pourtant un bataillon de chez nous est descendu à l'arrière mais il a été relevé par un autre de la même division. Ce n'est pas la bonne relève après laquelle chacun aspire. Cependant, un nouveau bruit circule (de source sûre dit-on) suivant lequel la relève commencerait demain soir. On n'ose plus y croire, mais on le souhaite ; et après tout, il n'y aurait rien de surprenant, car 16 jours passés sans discontinuer dans un secteur pareil, c'est, je crois, la limite de ce qu'on peut demander à des hommes. Sans parler de la fatigue, le ravitaillement est franchement mauvais pour ne pas dire insuffisant, car la moitié de ce qu'on nous donne est immangeable. De plus nous sommes d'une saleté repoussante et ce n'est pas ici qu'il faut penser à se nettoyer. Malgré cela chez tous bonne humeur et entrain et pour moi surtout bon espoir et confiance. Hier et une bonne partie de la nuit, nous avons eu de la pluie. Comme, avec mon camarade, j'avais déniché des tôles pour nous abriter, nous n'avons pas eu trop à en souffrir, mais combien d'autres ont eu à courir à tout moment pour se garer de l'inondation et ne pas se trouver dans un puits plutôt que dans un abri. Aujourd'hui il fait beau : vive le soleil! Nous en avons été quittes à ne pas sortir de nos trous de toute la journée d'hier et ce matin. Quelle existence et quand donc ce métier va finir. La santé malgré tout est toujours excellente, puisse-t-elle continuer encore longtemps ainsi. Je vous embrasse du plus profond du coeur.

Ton mari qui t'aime et pense bien souvent à toi et à sa petite famille HB

Mes amitiés à tous et je te charge d'embrasser pour moi Marie-Louise et Albert. Sont-ils toujours bien gentils pour toi et bien affectueux?

 

92.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 19 mai 1918

Ma chère Félicie

Je ne t'ai pas écrit hier, car à présent que tu sais que nous sommes en sécurité, il n'est pas nécessaire d'écrire jour par jour. D'ailleurs je t'arriverai peut-être en même temps ou je suivrai de près cette lettre. Il part deux permissionnaires demain et je reste après eux le premier à partir. Ça ne tardera pas si nous restons encore un jour ou deux ici mais il est probable que je devrai attendre encore quelques jours car il est question que nous allons embarquer pour aller nous [?]mer et passer une période de repos. Ici, ce n'est qu'un passage pour les troupes qui descendent des lignes. Où irons nous ? On ne le sait pas au juste mais on dit avec insistance que nous allons en Lorraine. Si c'était vrai, j'aurais peut-être occasion d'y voir Henri et Raymond. Ce qui est certain c'est que les permissionnaires partant d'ici doivent rejoindre Is-sur-Tille pour être aiguillés sur une autre direction. Depuis quelques jours il fait ici un temps magnifique sans aucun nuage et le soleil est très chaud. Aussi les denrées en terre sont magnifiques et j'admire les pièces de blé ou d'avoine d'une pousse sans pareille. Il y a aussi beaucoup de lin, de pois, de chicorée et de betteraves. Il faut dire que le terrain sablonneux de la région est un terrain rare, comme on n'en voit guère chez nous. Si vous pouviez au moins avoir un peu du beau temps dont nous profitons, cela ne vous ruinerait pas et vous auriez beaucoup moins de misères ; mais il n'y rien à dire et il faut malheureusement bien se conformer à la température. Je t'ai dit que nous étions au bord de la mer ; j'y suis déjà allé deux fois et hier j'y ai pris un bon bain qui m'a fait beaucoup de bien, je t'assure. Il ne sera pas dit que je sois venu ici sans l'aller voir ; mais elle est loin d'être aussi belle et le pays aussi que la Méditerranée et la Côte d'Azur. J'ai reçu hier soir ta longue lettre du 12. Merci de tous les renseignements qu'elle contient. J'ai appris avec douleur la mort de Félicie Gaulard, achevant le malheur survenu dans cette maison au dernier quand sa mère est morte. Que va devenir sa jeune soeur et sa petite fille ? Je plains son pauvre mari, qui certainement ne méritait pas un sort pareil. Il n'y a pas de quoi être gai et avoir du moral après un malheur semblable. Quand donc cette vilaine guerre prendra fin pour ramener la tranquillité dans tous les foyers et faire cesser le retour de semblables choses. Tu me dis que Raymond est en perm et qu'Octave doit arriver autour du 15. Peut-être aurai-je le plaisir de me trouver avec vous avant qu'il ne soit reparti. En attendant ce beau moment, je vous envoie mes plus doux baisers et mes amitiés à toute la famille. Ton mari qui t'aime et qui pense à toi H. Bougaud.

Je te joins à la lettre deux petites violettes cueillies au Mont Rouge, épargnées je ne sais comment de la désolation qui règne par là-bas. Ce sera un souvenir en même temps qu'un gage d'affection de ma part pour toi.

 [juin 1918 = ?]

 

93.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre : Le FOYER DU SOLDAT Union Franco-Américaine

Le 9 juillet 1918

Ma chère Félicie

Je reçois aujourd'hui ta lettre du 4. Par elle, je vois que vous êtes submergés par le travail et que vous donnez plus que vous pouvez pour vous tenir à niveau. Je te sens bien fatiguée et voici la moisson venue qui ne sera pas là pour vous laisser du repos. Quelle misère de vous sentir dans cet état pendant que nous sommes ici à faire, je ne veux pas dire rien, mais peu s'en faut. Enfin, comme tu me le dis, je souhaite que toi, et tous, vous puissiez tenir [le] coup et que le surcroît de fatigue ne vienne à vous mettre complètement à bas. Prenez toutes les précautions possibles pour cela et puisque vous fatiguez beaucoup, ne négligez rien pour vous bien soigner. Le jour viendra toujours bien quelquefois où notre retour vous permettra de prendre un peu de repos que vous aurez bien mérité. Ne regarde pas non plus à une journée d'ouvriers quand tu en éprouveras le besoin ; l'argent est encore moins rare que la santé. Maintenant, ne t'y prends pas si [???] comme dans ma dernière lettre je te disais que j'en attendais une de toi : je sais que tu le fais assez régulièrement le dimanche et le jeudi et je suis un peu déçu quand elle mettent un jour de plus à me parvenir. Mais, je sais aussi que tu prends toujours sur ton repos de la nuit pour m'écrire et je ne m'offusquerai nullement quand tu jugeras que tu es trop fatiguée et que tu me feras attendre un peu plus longtemps. Je me mets bien à ta place, et te conseille de ne pas augmenter tes fatigues pour moi. Il serait impardonnable que je te laisse sans nouvelles de moi ; en cette période de travail il n'en est pas de même pour toi vis à vis de moi. J'ai rencontré ici Ferdinand Vincent et nous faisons nos correspondances à la même table aux foyers du soldat, oeuvre de bienfaisance où l'on peut passer sainement ses soirées à lire et où l'on a tout le nécessaire pour écrire ou jouer gratuitement. Nous travaillons sur le même chantier dans la journée, lui faisant partie d'une équipe spéciale pour faire des emplacements de mitrailleurs dans les travaux de défense que nous faisons. Il a été aussi étonné de me trouver ici que moi de le trouver dans ce groupe. On aime toujours bien à retrouver des pays de temps en temps. Il me charge de te dire bien des choses de sa part, je m'en acquitte. Je pense que Marie-Louise continue à être bien sage à l'école et qu'elle ne l'est pas moins à la maison. Quant à Albert, je voudrais qu'il n'ait plus ces désobéissances qui te contrarient et je serais heureux qu'ils te donnent toujours et en tout la plus grande satisfaction. Mes amitiés à toute la famille et à vous trois mes plus affectueux baisers. Ton mari qui t'aime. HB.

 

94.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre

Dimanche 4 août 1918

Ma bien chère Félicie

Deux mots seulement aujourd'hui pour te donner de mes nouvelles et t'annoncer que je suis toujours en excellente santé, ce qui est le plus essentiel. Nous sommes encore aujourd'hui un peu en arrière ; demain soir nous irons remplacer pour le reste de la semaine une autre section de la Cie qui est actuellement en ligne. Cette nuit, ou plutôt hier soir à la tombée de la nuit, un groupe de volontaires a fait un coup de main sur un petit poste boche en avant de Moncel [9 km à l'est de Fère en Tardenois] et a ramené 8 prisonniers et une mitrailleuse. Ce sera probablement au communiqué. Sachant que ce poste n'était occupé que la nuit, les nôtres y sont allés de jour en rampant et en se faufilant dans les buissons. Ils ont désamorcé les grenades boches qui s'y trouvaient puis se sont placés en embuscade derrière la tranchée boche. Quand ceux-ci sont venus occuper le poste, les nôtres se sont jetés sur eux ; les Boches se sont défendus à coups de grenades ; naturellement aucune n'a éclaté et ils ont dû se rendre. 2 Boches qui se défendaient à coups de fusils ont été pris, mais malheureusement, ils ont tués un caporal de la 5ème Cie et blessé un soldat. Avez-vous reçu des nouvelles d'Henri ; probablement vous êtes sans doute rassurés sur son compte. Je pense que vous avez commencé les avoines, à moins que le temps ne vous contrarie. Ici, la température s'est rafraîchie et de temps à autre on a une petite nuée, mais la terre n'arrive pas à se tremper tellement elle était sèche. Bien des amitiés à tous et à vous trois mes plus doux baisers. Ton mari qui t'aime et pense souvent à toi. HB.

 

95.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre : Le FOYER DU SOLDAT Union Franco-Américaine

Le 11 Août 1918

Ma bien chère Félicie

Je n'ai pas grand-chose de nouveau à te raconter aujourd'hui mais je ne veux pas te laisser passer la journée sans t'envoyer un petit mot. C'est dimanche, mais nous sommes en ligne et ce jour ne diffère pas pour cela des autres. Nous nous rattraperons dimanche prochain quand nous serons en repos.Car nous y serons à partir de demain soir. Même nous devons quitter les tranchées ce soir et on nous a retardés d'un jour. Cela a peu d'importance, car ici on est aussi bien dans un endroit que dans l'autre. La seule différence est dans la nuit que nous avons entièrement blanche ici ; mais nous nous rattrapons en dormant la journée.

Et à St-Aubin, que faites vous ? Sans doute vous avez terminé les avoines, car la pluie n'a pas dû vous gêner, s'il a fait un temps comme ici. Au changement de lune, quelques forts brouillards, puis le beau temps est revenu et je ne crois pas que vos terres ne soient encore trempées de cette fois. C'est bien dommage, car vous allez avoir beaucoup de peines pour faire un médiocre travail. Si nous étions là-bas, nous nous accommoderions mieux de la charrue, quoique difficile, tandis que je vous plains de tout coeur. Mais rien ne sert de se lamenter puisque ça n'avance rien, pas même la nouvelle offensive qui se fait entre Amiens et Mont-Didier. Les journaux parlent carrément du 5ème hiver et de la plus formidable offensive alliée du printemps. Donc!!!.-

Etes-vous tous en bonne santé, bien que je vous sache très fatigués ? Pour moi, on ne peut pas désirer mieux et je crois pouvoir affirmer maintenant ne plus avoir à me ressentir des fièvres.

Mes amitiés à toute la famille, mes plus tendres caresses à Marie-Louise et à Albert qui, je pense sont bien sages et mes plus doux baisers pour toi. Ton mari qui t'aime et pense à toi HB.

 


 

96.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Lettre-Enveloppe avec le lion de Belfort au dos et la mention : "Nous Vaincrons !"

Le 4 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Aujourd'hui nous sommes, pas précisément en 1ère ligne, mais nous occupons des positions en plaine à 1 km en arrière de celle-ci et autant veut dire que nous sommes en lignes. Tu as dû recevoir ma carte écrite hier au petit jour et t'annonçant notre départ. Effectivement 2 heures après nous montions en autos et en route pour le front. Nous avons passé à Villers-Cotterets, Vic-sur-Aisne et les autos nous ont déposés à Nouv[e]ron-Vingré, reconquis aux Boches depuis peu et où passait la ligne boche en 1915 et 1916, avant leur 1er recul sur Laon et St-Quentin. En cours de route, dans la région que les Boches avaient envahie dernièrement, beaucoup de blés et seigles ne sont pas encore fauchés. Par endroits ils sont tous versés et l'herbe [???] ; en tous cas ils ne sont pas jolis, car ils sont noirs d'être trop mûrs. Des équipes de territoriaux et de prisonniers les exploitent à la lieuse et à la faux. Ce serait dommage de les perdre car je t'assure qu'ils font des moyettes. A Villers-Cotterets, déjà bien des maisons démolies par les gros obus et les bombes d'aéros. Sur la place sont exposés les trophées des dernières avances et plus de 50 canons de tous calibres et beaucoup de mitrailleuses étaient alignés. Nous les avons regardés avec curiosité. Entre Villers-Cotterets et Vic-sur-Aisne, pas une ferme, pas une usine n'est intacte. Dans cette localité, où nous avons traversé l'Aisne sur un pont de bois fait par le génie, toutes les maisons sont éventrées ; on sent que ç'a été là autrefois le front et les Boches se sont acharnés dessus. Mais aucun pays n'est plus piteux à voir que Nouv[e]ron-Vingré. Ce ne sont que des tas de pierres et de déblais et s'il n'y avait une route le long de laquelle ces tas de pierres sont alignés, on ne croirait jamais que ce fut un village. Il ne reste pas même un pan de mur intact. Ce qui représente un mur est ajouré comme une dentelle et les pierres qui le composent sont tenues par un miracle d'équilibre qu'un souffle briserait. Là aussi et tout le long de la route que nous avons suivie après à pied, des obus boches, des grenades, des fusils mitrailleurs et toute sorte de matériel. Nous sommes allés ensuite à 7 km de là et nous y avons attendu la nuit. Celle-ci venue, nous sommes partis relever en ligne où nous sommes arrivés peu avant le jour, après avoir fait de nouveau une quinzaine de km. La ligne avait encore été portée en avant dans la soirée et ç'a été du chemin supplémentaire à faire. Nous sommes entre le canal et l'Ailette et la ligne passe bien en avant de ces deux cours d'eau. Pour y venir nous sommes passé dans 2 villages (Crécy-au-Mont, je crois) où tout est démoli aussi. L'artillerie donne, mais les obus tombent moins serrés qu'à Locre [Loker, Belgique Batailles des monts de Flandre, fin avril 1918 ] . Le terrain est aussi beaucoup moins abîmé. Je ne sais ce qu'on demandera de nous, mais quoi qu'il arrive, j'ai confiance et ne quitte pas l'idée que j'ai toujours eue de sortir sans une égratignure. Je te recommande de partager la même confiance et tout ira bien.

Et maintenant parlons un peu de vous. La terre a-t-elle été assez mouillée pour permettre la continuation des labours. Je pense que vous n'avez pas rien à faire sur ce sujet en ce moment. Pour nous, il faudrait du beau temps continuel et il ne ferait pas bon dans ces marais où nous sommes s'il venait à pleuvoir. Voici la nouvelle lune, sûrement nous aurons un changement de temps. Je souhaite pour nous qu'il ne soit pas grand et pour vous qu'il ne change pas la grande période de sécheresse que vous aurez subie en une autre période beaucoup plus ennuyeuse de grande pluie, chose qui, malheureusement, est à prévoir. Je vous recommande toujours de vous bien soigner pour supporter toutes les fatigues que vous avez. De mon côté, je ne veux rien négliger quand il me sera possible, comme ce n'est pas facile en ce moment, je te redis de m'envoyer un colis par quinzaine, mais pas plus. Il me suffira avec ce que nous touchons. Je ne sais combien nous resterons dans ce secteur ; il n'y faut pas penser au moment qu'on y arrive. Je suis en très bonne santé. Puisse ma carte vous trouver de même et quelle vous apporte le meilleur de mon coeur et mes baisers les plus affectueux. Celui qui vous aime et pense à vous.

 

97.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en franchise : LE FOYER DU SOLDAT

Le 5 septembre 1918

Ma bien chérie

J'ai reçu cette nuit ta dernière lettre m'annonçant réception de mon mandat et l'envoi d'un colis. Je t'en remercie d'avance et pour le prochain ne crains pas d'y mettre du beurre un peu salé. Je ne sais si ma carte pourra partir aujourd'hui, car je ne sais comment se fera le ravitaillement qui les emporte. Depuis la pointe du jour, en mouvement à courir après les Boches. Nous avons avancé aujourd'hui de plus de 3 km et je ne sais encore quand nous nous arrêterons. Jusqu'à présent, pas trop de pertes, pourvu que cela continue. L'avance se fait sans bruit, presque pas de canon et seulement de temps à autre quelques coups de mitrailleuses. Le Boche lâche pied au fur et mesure que nous avançons. Seulement, si on n'en trouve pas, on trouve bien quelques morts et du matériel en masse, surtout sur les emplacements de batteries où il y a beaucoup d'obus. Je pense que cela continuera et que je m'en tirerai, comme je l'ai toujours pensé, sain et sauf. C'est dans cette pensée que je t'embrasse comme je t'aime, bien fort. Ton cher

Le 6 septembre

Ma carte n'a pu partir hier, elle comptera pour aujourd'hui. Hier nous avons avancé de 4 km et pris Jumencourt, Landricourt et Quincy-Basse où nous sommes arrêtés aujourd'hui. Je ne sais si c'est pour longtemps. Tout va bien. Bons baisers. Ton cher

 

98.- A=>H

Carte postale CAMPAGNE D'ORIENT 1914-18

Femme Serbe à la source

Orient 7 septbre 1918

Cher Frère

J'ai reçu ta lettre du 22 Août et je te remercie de tous les renseignements. Je suis content de voir que vous êtes encore tranquilles en ce moment là, mais certainement tu n'as pas du souci depuis, après tout ce qui se passe maintenant là-bas. Il ne doit plus guère avoir de régiment qui n'ait pas participé à la danse. Je ne me rappelle pas depuis quand je t'ai écrit mais j'ai dû t'avoir dit où nous étions. Nous avions avancé de l'autre côté du D....i tout près d'Olbasan. Mais nous avons été obligés de retirer les lignes de ce côté-ci, nous avons donc battu en retraite un peu, mais sans casse. Je te dirai d'ailleurs que le climat était très mauvais comme au Behes et il y a eu beaucoup de palu. Tu dois savoir que Louis est évacué et il est à Salonique bien loin d'ici en ce moment. Je ne crois pas qu'on le reverra au régiment car il va peut-être profiter de l'occasion pour entrer aux autos. D'ailleurs il n'était pas très malade (1er accès de palu) et il a eu de la chance que cela arrive les jours de fatigue et de branle-bas sans ça il n'aurait pas été évacué et je suis sûr que maintenant il en est très content.

Le secteur est plus calme pour l'instant et il fait très chaud. La santé est toujours bonne et je souhaite la même chose pour toi. Si toutes ces offensives pouvaient amener la fin de la guerre. Je le désire bien aussi car ça devient trop long. Mais si elle n'était pas finie avant mon tour de départ en perm, malgré que je perdrai tout en quittant ici j'aurai bien du mal de la refuser. Je suis très content quand je reçois de tes nouvelles et te remercie bien encore de tes renseignements. Vivement la fin de la guerre et que nous nous retrouvions. Mais dans le cas contraire tu ne seras pas surpris de me revoir en France. Ton frère Alfred

 

99.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

CARTE-LETTRE "Le FOYER du SOLDAT" Union Franco-Américaine Y.M.C.A

Le 7 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Je vais répondre un peu plus en détail aujourd'hui à ta lettre de dimanche, car, avant-hier, quand je l'ai reçue, je t'ai écrit pendant la progression et j'ai dû m'y reprendre à trois fois pour faire cette carte qui n'a pu partir le même jour, notre mouvement ayant continué pendant toute la nuit. Tu as dû voir sur les journaux la prise de Coucy-le-Chateau, Coucy-la-Ville, Jumencourt, Landricourt et Quincy Basse. C'est mon bataillon qui a pris Landricourt et Quincy Basse. Il est vrai que ce n'était pas difficile, puisque les Boches se repliaient. Cependant il fallait se défier de leurs mitrailleuses qui de loin en loin nous saluaient et nous forçaient à ralentir. Je me demandais notamment comment on allait grimper sur le plateau de Coucy, qui domine de 50 m au moins abrupts la vallée de l'Ailette. Mais tout s'est bien passé et nous n'avons pour le moment, après 4 jours dans ce secteur, que 8 blessés à la Cie. Je souhaite que cela continue. Le 1er Bataillon, qui est dans la plaine a souffert davantage. Depuis hier, nous avons atteint notre ancienne 1ère ligne et les Boches leur fameuse ligne Hindenburg qu'ils ne semblent pas vouloir lâcher si facilement, car, si nous n'avions guère d'artillerie les premiers jours, çà a bien changé, quoique ce soit encore loin d'arriver à la violence de Locre. Leurs mitrailleuses aussi sont plus actives et les tentatives d'avance de notre part ne sont plus si faciles. Nous avons devant nous la haute forêt de Coucy et je ne vois pas que ce soit un morceau commode à avaler. Il est probable qu'on ne l'attaquera pas de front et qu'on ne la fera tomber que par enveloppement. Dans ce cas, nous sommes peut-être pour quelque temps encore à la surveiller pendant que des mouvements d'avance se feront de chaque côté. Je t'en tiendrai au courant et j'ai bonne idée que çà continuera à bien marcher. J'ai reçu ton colis mais j'aurais bien voulu que le saucisson soit cuit. Mais, j'ai trouvé sur des Boches de l'alcool à brûler et un réchaud et si je trouve de l'eau, dans un moment je le ferai cuire dans ma gamelle et cela me fera un peu de soupe, chose inconnue pour le moment. Je te répète aussi de ne pas te mettre en frais pour me répondre à chaque lettre et je préfère que tu prennes une demie heure de repos qui t'est bien nécessaire. Je ne suis pas en souci de vous comme toi de moi. Après-demain, tu vas battre à la machine, rude journée encore pour toi et je serai heureux que tu soies débarrassée de ce souci. Ne sois pas en peine de moi, je crois que tout ira bien comme jusqu'à présent et si nous continuons comme je le crois à avoir le beau temps nos privations seront bien moindres. Je suis content que Marie-Louise et Albert ont promis d'être sages pour que le Bon Dieu me conserve, je souhaite pour toi qu'ils tiennent leurs promesses. En terminant je suis de pensée et de coeur avec toi et vous embrasse comme je vous aime.

 

100.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en franchise

Le 8 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Aujourd'hui, Dimanche. Quelle triste journée quand on veut penser à que ce devrait être un jour de repos uniquement réservé à Dieu. Ici, il n'y a pas de différence avec les autres jours de la semaine et bien que nous soyons revenus en réserve depuis hier soir (oh pas loin, à 2 km environ des 1ères lignes) nous devons le passer au fond de notre petit trou, creusé à tâtons dans la nuit. Les obus y pleuvent même davantage, car nous sommes dans la zone de batteries et les Boches les cherchent. Mais ils ne tombent pas si drus qu'à Locre, et comme on a passé là-bas entre les grêlons, on tâchera bien d'en faire autant ici qu'ils sont moins serrés. Ne te fais pas plus de mauvais sang que moi. Avant de t'écrire je viens de faire ma petite cuisine comme je te le disais hier et je ne me rappelle pas avoir si bonne soupe et si bon appétit depuis ma permission. A propos de permission, elles ont repris depuis avant hier et il y en a 12 déjà de partis en 3 trois jours ; (les veinards !). Tout cela avance mon tour auquel il ne faut pas encore penser, car il est trop loin et si je pouvais être à St-Aubin (car je pense bien y retourner) à la Toussaint, je serais bien content. Je ne vois plus rien de nouveau aujourd'hui à te dire sinon que la santé est excellente et le moral aussi. Chose aussi bonne, car il ne faut pas perdre la tête dans de telles circonstances. En ce moment nos artilleurs envoient du gaz en masse aux Boches ; probablement qu'on va essayer une nouvelle avance ; mais ce n'est pas nous qui la ferons et je souhaite qu'elle réussisse. Avant de terminer je vous envoie un petit témoignage d'amitié et j'affranchis ma carte de trois gros baisers pour toi, Marie-Louise et Albert à qui je pense bien souvent, à toi, toujours.

Aujourd'hui pas moins de pluie. Ce sera un beau temps pour vous à condition qu'il ne dure pas trop. Pour nous ce ne sera pas la même chose mais si on reste stationnaires un jour ou deux, on essaiera bien de se garantir. Ton mari qui t'aime

 

101.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en Franchise : LE FOYER DU SOLDAT

Le 9 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Rien de nouveau aujourd'hui sinon que la santé est toujours aussi bonne. Le secteur est à peu près tranquille. Peut-être les Boches ont fait un nouveau repli. En tout cas nous n'avons presque pas d'obus aujourd'hui et nous ne nous en plaignons pas. Ce soir nous remontons en ligne relever un autre bataillon de chez nous. Tu le vois, on n'est pas longtemps à l'arrière. Il paraît que là-bas on est dans de bons abris et pas du tout bombardé. Ceux que nous allons relever aimeraient autant garder leur place que de venir ici. Donc pas la peine de se faire du mauvais sang. Après la journée pluvieuse d'hier, le beau temps est revenu aujourd'hui et je pense qu'à St Aubin il en est de même. Pour ta journée de machine aujourd'hui, j'avais peur que tu aies du mauvais temps. Je serai content que tu me donnes des détails sur le rendement. J'ai reçu hier soir ta lettre du 5 ; j'approuve ton idée de vendre tout de suite une voiture de blé, ce sera du souci et du déchet de moins pour toi. En terminant, je t'envoie mes amitiés pour toute la famille et mes plus tendres baisers pour toi Marie-Louise et Albert. Celui qui t'aime et pense à toi HB.

 

102.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en Franchise : LE FOYER DU SOLDAT

Le 17 septembre 1918

Ma chère Félicie

Encore simplement une carte aujourd'hui ; peut-être trouveras-tu que je suis chiche de papier. Mais si tu veux avoir ton petit mot chaque jour, il faut savoir se contenter de peu car je n'ai pas grand-chose à te dire, si je ne veux pas trop me répéter. La faute en est au calme dont jouit notre secteur, ce dont il ne faut nous plaindre ni l'un ni l'autre. Quelle différence en effet avec le secteur voisin à notre droite où il ne se passe pas un jour sans qu'il y ait une attaque et des contre-attaques avec de grands bombardements. Encore aujourd'hui, les Français ont dû avancer sur le plateau de Vauxaillon ; peut-être ce soir les Boches essaieront-ils de reprendre ce qu'ils ont perdu. Je plains les pauvres soldats qui sont obligés de vivre dans cet enfer. Avec cette forêt, je ne crois pas qu'on essaie qquechose avant que le Chemin des Dames soit tombé, ce qui n'est pas encore fait. Ne voyons donc pas trop notre misère, il y en a qui sont plus à plaindre que nous. Comme je te l'ai dit hier, nous sommes remontés en réserve de 1ère ligne et sommes adossés à une butte où nous ne risquons rien que de la pluie. C'est ce qui nous est arrivé au beau milieu de la nuit avec force éclairs et tonnerre. Nous avons eu assez de peine à nous garantir avec nos toiles de tentes hâtivement tendues mais l'orage n'a pas duré et nous aurions pu être mouillés jusqu'aux os comme nous avons réussi à nous conserver à peu près secs. Ah ! Qu'on regrette notre bon lit dans ces moments-là. Mais mieux vaut n'y pas penser. L'Autriche aujourd'hui demande la paix : que va-t-on faire de ses offres ? Je voudrais bien qu'on les prenne en considération et qu'un terrain d'entente soit enfin trouvé qui nous amène la paix. En l'attendant, je t'aime toujours aussi profondément et t'embrasse de même. Ton mari qui pense à toi.

 

103.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre

Le 18 septembre 1918

Ma bien chérie Félicie

Toujours même situation aujourd'hui et je n'ai rien à t'annoncer outre que je suis en excellente santé. Cette nuit nous avons eu de la pluie, fine mais continue ; mais, nous avions eu le temps dans la journée de nous arranger et nous n'avons pas eu à en souffrir. Depuis hier soir, à part quelques obus çà et là, notre coin est calme et à notre droite aussi. Au moment où je t'écris, on entend une canonnade assez loin, mais on ne voit rien et ce doit être en face d'Henri où nous avons pris Vailly, d'après le dernier communiqué. Comme je te le disais sur ma carte d'hier, je ne crois pas qu'on n'essaye rien en face de nous tant que le Chemin des Dames et le plateau de Craonne ne seront tombés entre nos mains. Aussi, nous faisons simplement l'occupation et la garde du secteur comme en Alsace et en Lorraine et pour peu que l'on reste dans cette situation, je ne trouverais pas étonnant qu'on nous laisse ici pour l'hiver. Il faudra bien des troupes ici comme ailleurs et pour peu qu'on attende, la mauvaise saison qui vient à grands pas aura vite fait d'arrêter les opérations et de figer les troupes sur leurs emplacements. Aussi cette solution ne m'étonnerait nullement et après tout, si cela arrive, il ne fera certainement pas plus mauvais ici qu'ailleurs. On a commencé des travaux et après 15 jours, personne ne parle de relève. Le plus ennuyeux, si nous y restons, c'est que nous ne serons jamais en contact avec le civil qu'en permission et, que, en ligne, en réserve ou en repos, nous serions toujours dans un désert, car à 40 km à la ronde, il n'y reste pas un village possédant une maison ayant encore un reste de toiture. Ce n'est que ruines et monceaux de déblais. Heureusement, depuis le début, nous avons appris à vivre ailleurs que dans des maisons et nous n'en passerons pas l'hiver dehors pour autant. J'ai reçu hier ton colis, mais je n'ai pas encore ta lettre au moment où je t'écris. Il était en bon état et je te remercie de tout coeur. J'ai encore du saucisson de ton autre colis ; tu vois que je n'ai pas besoin que tu m'en envoies plus souvent. Le ravitaillement marche aussi bien qu'il peut aller dans les circonstances où nous nous trouvons et il n'y a pas à se plaindre à ce sujet. Les permissions ont repris hier, je souhaiterais qu'elles continuent pour que je puisse être avec vous au moins en fin de semailles. Avant de fermer ma carte, je t'envoie mes meilleures amitiés à la famille et mes plus doux baisers pour vous trois. Ton mari qui t'aime. HB

 

104.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en Franchise : LE FOYER DU SOLDAT

Le 19 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

J'ai reçu hier soir ta lettre m'annonçant le colis que j'ai reçu. J'y ferai réponse plus longuement demain car on vient de me désigner pour aller reconnaître immédiatement les emplacements en 1ère ligne où nous allons ce soir. Je te dirai demain comment nous nous y trouvons installés. Ma lettre servira seulement aujourd'hui à te dire que je suis en bonne santé et que je désirerais bien, plutôt que d être ici, être avec vous pour commencer bientôt les semailles. Mais puisqu'on ne peut faire autrement, prenons notre parti de la situation ; ça vaut mieux que de se faire trop de mauvais sang. Je pense à vous dans mon éloignement et vous embrasse comme je vous aime. Ton mari pour la vie. HB.

 

105.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en Franchise : LE FOYER DU SOLDAT

Le 20 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Je réponds aujourd'hui à ta bonne lettre du 15. Tout d'abord je te prie de ne pas trop t'inquiéter sur mon compte, car nous sommes dans un secteur, quoique secteur d'attaque, où les risques sont nombreux et depuis 17 jours, les pertes sont extrêmement légères, du moins à ma Cie. Ce ne serait pas la même chose si nous étions à 5 ou 6 km à droite, du côté de Vauxaillon ou d'Allemant. La preuve que ça ne barde pas trop trop ici, c'est que nous avons fait l'autre jour un prisonnier ; ils venaient de passer quelques jours dans le secteur dont je te parle et ils étaient revenus ici depuis deux jours comme au repos. Tu vois qu'ils ne l'ont pas toujours belle. Il faut dire qu'aujourd'hui nous ne sommes pas dans le coin rêvé, mais nous n'y sommes que pour 3 jours et ce sera encore bientôt passé. Ce n'est pas qu'on y risque sa peau, mais on risque d'y être surpris et de se faire faire prisonnier. Nous sommes en 1ère ligne et en pointe. Devant nous les Boches on ne sait juste où, mais peut-être pas à plus de cent mètres ; c'est traître, mais c'est d'un calme absolu ; il n'y a qu'a faire attention et on n'y manque pas.

J'ai reçu aujourd'hui une lettre d'Octave ; au ton de sa lettre, je vois qu'il est radieux et je me figure son bonheur, pour avoir eu le semblable avant lui ; et puisque tout va bien chez lui, c'est pour le mieux. Je vois aussi que vous tapez dur pour préparer les semailles ; le temps semble vous être propice, car ici, après deux ou trois orages qui nous ont un peu ennuyés, mais dont on s'est garanti quand même, le ciel semble vouloir se réclaircir et le beau temps revenir. Maintenant, je sais que tu fais tout ce que tu peux et même plus et je ne pense pas que quelqu'un te jette la pierre à ce sujet. L'épreuve est trop longue voilà tout et je regrette de te laisser toutes les fatigues du métier, alors que bien souvent ici, je ne sais que faire de mes membres. Espérons que malgré le rejet de la proposition de paix autrichienne nous en approchons et que le jour n'est pas loin où nous serons réunis dans le bonheur intime de la famille. En terminant je t'envoie mes plus affectueux baisers. Ton mari qui t'aime. HB.

 


 

106.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en Franchise : LE FOYER DU SOLDAT

Le 22 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Encore aujourd'hui mon petit mot quotidien à la va-vite, car de nouveau je suis pris à l'improviste pour aller reconnaître l'emplacement où nous devons loger en descendant des lignes ce soir. Nous retournons dans nos grottes où nous serons assurément mieux qu'ici comme sécurité et sécurité [sic]. Je t'écrirai plus longuement demain ; qu'il te suffise aujourd'hui que je suis en excellente santé. Ma pensée est souvent avec vous, mais je voudrais que ma personne y soit plus souvent elle aussi. Je t'embrasse comme je t'aime en te chargeant de mes caresses à Marie-Louise et Albert que j'aime bien aussi et à qui je recommande toujours l'obéissance et la gentillesse pour te faire paraître moins dure la longueur de notre séparation. Ton mari qui t'aime. HB.

 

107.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 23 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Avant de quitter les 1ères lignes hier soir, j'ai reçu tes lettres du 18 et carte du 20 et c'est en toute tranquillité du corps et d'esprit que je viens y répondre. Tranquillité du corps, car dans ces carrières à 10 ou 11 mètres sous terre nous ne risquons rien des plus gros obus, surtout que nous y sommes logés tout au fond et que jamais la lumière du jour n'y vient. Donc la vie s'y fait à la lumière des bougies et je garantis que ça ne fait guère de lumière dans la journée. Tranquillité d'esprit, car nous ne craignons pas rien comme d'où nous venons, d'être surpris à tout instant, et une surprise est toujours délicate, car c'est la prise ou presque sûrement la mort. Enfin nos trois jours s'y sont bien passés et nous n'avons en tout qu'un blessé au moment de la pose des postes de nuit. La nuit du 21 au 22 a été particulièrement mouvementée et nous l'aurons longtemps dans la mémoire ; heureusement il n'y a pas eu de casse dans toute la Cie. Le soir, d'abord, à la pose des postes, les bombes habituelles qui avaient blessé un de mes camarades la veille, mais dont on se méfiait et qui ne duraient pas plus d'un quart d'heure. Mais dans la nuit en question les Boches ont fait une attaque du côté de Vauxaillon. Or, pour donner le change, ils ont fait la préparation sur nous : à deux reprises et d'½ heure chaque fois ç'a été une avalanche d'obus sur nous et l'arrière du secteur. Puis, à 11 heures, ils ont attaqué par surprise à droite ; d'ou déclenchement des 2 artilleries et nous avons eu encore notre part. Après quoi, un dépôt d'obus placé entre deux de nos postes, a pris feu à la suite d'une bombe tombée dessus et ç'a été pendant une heure à avoir cet incendie à 80 mètres de nous pendant lequel les obus éclataient les uns après les autres. Collés au fond de nos trous, il nous tardait que ça finisse ; heureusement personne n'a eu une seule égratignure et le jour est arrivé peu après au grand soulagement de chacun. Je t'ai déjà dit que les Boches laissaient partout beaucoup de matériel en reculant : ce dépôt contenait au moins 200 obus et à côté, tout le long de la lisière où nous sommes il y en a encore d'autres tas ; sûrement là plus de 200 de 150 sont en notre possession. Hier, au moment de la relève, nous avons eu de la pluie et ça s'est passé comme si cela s'était passé au milieu de la plaine tranquille de chez nous. Nous voici donc pour une douzaine de jours en arrière où nous serons en sécurité, après quoi on reprendra peut-être les lignes si nous ne sommes pas relevés ; seulement nous ne serons pas dans ce sale coin d'où nous sortons. Quant à refaire une attaque, ne le crains pas pour nous. Presque certainement ma division en fera une, mais pas avant que la situation à droite soit favorable et comme un régiment de la division n'a pas été encore engagé, lequel est réputé le meilleur, ce sera sûrement lui qui la fera. C'est mon avis personnel qui n'a rien de certain, et je crois que notre régiment tiendra les lignes tant que ce moment favorable ne sera pas venu. Voilà les renseignements que je peux te donner à peu près sur notre situation actuelle ; je passe un peu maintenant sur un autre sujet. Tu seras obligée de lire 2 fois la même page mais tu t'y reconnaîtras bien, je pense. D'abord l'encre et après la fin de la page au crayon recommence du crayon entre les lignes d'encre. Je ne voudrais pas en avoir tant à te dire.

[Fin de la lettre ? Ou bien, y-a-t'il une suite au crayon ?]

 

108.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 26 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Je ne t'ai pas écris hier mais je ne veux pas laisser passer aujourd'hui sans venir répondre à ta bonne lettre du 22. Tout d'abord tu me parles de tes commis et de tes bonnes que tu as reloués ou que tu peux relouer. Je ne suis pas si étonné que tu le crois des hauts prix qu'il faut mettre pour avoir de ces auxiliaires faibles et pas toujours faciles à garder. Je crois que sous ce rapport tu n'as pas eu à te plaindre cette année et je serais heureux qu'ils aient, l'an prochain, la même bonne volonté, qualité appréciable chez un domestique. Naturellement, il faut y mettre des prix exorbitants ; mais qu'y-a-t'il à présent qui ne soit pas exorbitant, et à bien penser, il serait injuste que la main-d'oeuvre reste aux anciens prix alors que toutes les denrées ont triplé et quadruplé. Et pourtant tu ne peux te passer d'aides, surtout, comme tu me le disais dernièrement, que notre tâche est plus forte que celle de Pierre et que nous lui sommes plutôt à charge. C'est une impasse à laquelle on est acculé et il faut y passer. Le seul remède serait que la guerre finisse et que nous rentrions chacun prendre la direction de nos affaires. Alors seulement on verra à pouvoir faire mieux et plus économiquement. Quand à la question du passe-montagne, je serais bien content d'en avoir un autre cet hiver, mais pas encore ; je n'en ai toujours pas besoin avant ma permission, pas plus que d'autres effets d'hiver à ce moment-là, il te sera toujours assez temps pour me munir de ces articles. D'ici là, nous aurons probablement touché les effets d'hiver et je verrai ce qu'ils seront cette année et si j'aurai besoin d'autres. Nous avons touché hier soir la 2ème couverture et s'il vient à faire un peu froid d'ici quelque temps, elles nous seront suffisantes. Question pécuniaire, je te remercie de tes renseignements et te félicite de pouvoir mettre un peu de côté, malgré les difficultés d'une mauvaise année. A la fin du mois, puisqu'il nous est matériellement impossible de dépenser de l'argent, je tâcherai de t'envoyer encore un semblable mandat et avec l'argent que j'emporterai en permission, j'aurai dépassé le but projeté. Inutile de te dire que je ne m'arrêterai pas là et que je continuerai par la suite toutes les fois qu'il me sera possible. Si tu peux faire, comme tu le dis, tes prix avec le reste de ta récolte, tu auras un beau résultat cette année et je t'en suis plus que reconnaissant. Seulement, pour [illisible], ne te refuse rien qui te soit utile ou te fasse plaisir comme nourriture, habillement, mobilier, etc.

Pour nous, rien n'est changé dans notre situation et nous sommes toujours en réserve. C'est à peu près calme devant nous et si ça continue de la sorte, nous pouvons rester longtemps dans le secteur sans courir grand risque. Hier, nous avons eu un temps brumeux et froid ; aujourd'hui le soleil est revenu et il fait bon. Je pense que ce serait un beau temps pour commencer les semailles si je pouvais y être ; mais je suis encore au moins le 50ème à partir en perm et mieux vaut n'y pas penser. Cependant le pourcentage est un peu augmenté et peut-être mon tour viendra d'ici à peu près un mois. Si cela arrivait et que je tombe en une période de beau temps, je crois que je serais encore utile.

Plus rien aujourd'hui à te raconter d'intéressant, sinon que je suis toujours en bonne santé. Ne te fais pas de mauvais sang à mon sujet et sois aussi confiante en l'avenir que moi, de cette façon tout ira bien. Je souhaite de mon côté que ma lettre vous trouve tous en bonne santé, toi aussi bien que les enfants à qui je recommande toujours la gentillesse pour toi et l'obéissance. Mes amitiés à toutes la famille et à vous trois mes plus gros baisers et le meilleur de mon coeur. Ton mari qui t'aime et pense à toi. HB.

 

109.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre : LE FOYER DU SOLDAT

Le 27 septembre 1918

Ma chère Félicie

Cette carte sera aujourd'hui un simple bulletin de santé, car je n'ai absolument rien d'intéressant à te raconter. Le secteur est toujours calme et tout porte à croire que la ligne va se stabiliser devant nous, ce qui voudrait dire que nous resterons probablement dans la région. Après tout, celle ci ou une autre dans l'état actuel du front français il n'y a guère à choisir et nous apprendrons à nous y trouver aussi bien qu'ailleurs. Ce soir nous cédons notre place au bataillon qui est en ligne et nous allons prendre des emplacements de réserve entre les 1ères lignes et ici. Il s'établit, tu le vois, un roulement comme dans un secteur organisé. Nous n'y serons pas plus en danger qu'ici ; nous y serons seulement à la merci du temps que nous désirons beau. Mais, s'il ne vient pas trop d'eau pour inonder nos terres nous nous garantirons toujours dessus. Il paraît qu'il y a encore une avance notable du côté de Verdun ; si, tout de même, ces succès continus voulaient nous amener la paix, il y en a peu qui s'en plaindraient. Ce jour-là nous oublierons vite nos misères actuelles. Bien des amitiés à toute la famille et à vous trois mes plus affectueux baisers. Ton mari qui t'aime. HB.

Dire que Marie-Louise a 5 ans demain.

 

110.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre

Le 28 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Je viens répondre à ta bonne lettre du 25 que j'ai reçue hier. Sans doute aujourd'hui tu es tranquillisée sur mon sort et peu-être ai-je tort de te renseigner trop exactement, car je te mets dans l'inquiétude quelquefois pour peu de chose. Ne te fais pas non plus une montagne de me sentir prisonnier, car c'est une chose qui peut se produire d'un moment à l'autre et dont on ne meurt pas. Cette solution, qui n'est pas la pire, mais que je ne chercherai jamais cependant, ne m'effraie pas, moi qui y suis le plus intéressé, car de deux maux il faut choisir le moindre. Il est certain qu'il n'y a aucune comparaison avec l'état actuel où périodiquement on peut faire apparition au milieu des siens, ce qui fait énormément plaisir. Mais au moins là-bas on a la certitude de revenir, chose d'ailleurs que je conserve au dedans de moi même quoi qu'il arrive. Mais tout ceci sont choses pour ne rien dire et espérons que cela ne se produira pas et que bientôt les événements actuels amèneront la paix et nous ramèneront dans nos familles. Donc, inutile d'en dire plus long à ce sujet ; je sens d'ailleurs que je ne te ferais pas plaisir. Aujourd'hui nous sommes au milieu de la plaine, dans un petit trou, en réserve. Nous avons trouvé quelques tôles et de la sorte nous serons garantis de la pluie s'il en vient, ce que je crois. Nous resterons quelques jours dans cette situation et après nous monterons en ligne : cette fois, tu seras tranquille, ce ne sera pas notre tour d'être dans ce vilain coin. Comme je te disais dernièrement, que nous resterons ici en secteur et qu'il n'est plus question d'attaque devant nous. Notre division a élargi son front et le régiment qui n'avait pas encore été engagée a pris la surveillance du secteur d'une autre division. Un roulement va donc s'établir entre les trois régiments : période dans un secteur, période de repos, période dans l'autre secteur, et cela peut durer longtemps.

Quant à Henri, je n'ai pas de nouvelles plus fraîches que vous et je le crois aujourd'hui en permission ; je lui ai d'abord écrit à St-Aubin. Je prends note de la mort du fils Javel et ceci me laisse penser qu'il a peut-être été volontaire pour aller dans les tranchées car à chaque instant on en demande parmi nous. Ce n'est pas encore la place rêvée d'être là-dedans, et, en tous cas, c'est bien malheureux de voir tomber la jeunesse de la sorte.

Merci de tous les renseignements que tu me donnes sur la culture. Si la pluie a pu faire du tort aux souris, ce ne serait pas dommage, mais il y a bien à craindre qu'elles aient pu se garer. Tu me diras plus tard ce que tu as fait à Longwy et si tu as vendu des vaches, comme tu en as l'intention. Je suis complètement de ton avis à ce sujet et te laisse toute liberté de faire comme tu l'entendras. Tu me dis aussi que tu vas acheter du raisin : il doit être fameux cette année et je te souhaite de faire un vin extra.

Seulement, tu n'auras certainement guère de sucre. Plus rien à te dire sinon que la santé est toujours très bonne et que je vous embrasse de tout coeur et qu'il me tarde que la permission arrive pour le faire réellement. Ton mari qui t'aime.

 

111.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

CarteLettre : LE FOYER DU SOLDAT

Le 29 septembre 1918

Ma bien chère Félicie

Je viens aujourd'hui répondre à ta lettre du 26 reçue hier soir. Je suis content de voir que les correspondances marchent si vite. De la sorte on peut avoir des nouvelles fraîches et vous n'êtes pas longtemps à connaître l'issue de nos mauvaises passes, quand il s'en trouve. C'est donc un grand souci qui vous est épargné.

Aujourd'hui, les journaux annoncent la demande de paix et d'armistice de la Bulgarie [chute de Skopje, Franchet d'Esperet]. On refuse l'armistice avant de savoir ce que les Bulgares veulent faire, mais au moins pour la 1ère fois, on consent à recevoir officiellement les délégués. Ce serait un bon coup si on pouvait couper en deux par une paix séparée le bloc de nos ennemis et ce serait probablement, comme on dit, le commencement de la fin. Cela donne espoir, car on commence de voir un peu clair dans toutes ces affaires. Si jamais on fait cette paix et que les opérations continuent favorablement sur notre front,(le dégagement de l'Armée d'Orient pouvant faire beaucoup en ce sens) ce serait probablement la paix générale à brève échéance. Vivement qu'elle se réalise et que nous rentrions dans nos foyers, car on commence à trouver le temps bien long. Louis, avec tout le remue-ménage d'Orient, doit se trouver heureux d'être évacué. Je ne sais si le régt d'Alfred fait l'avance ; je ne crois pas car il devrait être plus à gauche. Si oui, je plains ceux qui y sont, car je sais les fatigues qui doivent en résulter dans ce pays sauvage et par les journées encore très chaudes sous ce climat. Pourvu qu'il n'arrive rien de fâcheux là-bas ni à Alfred ni à Louis pas plus qu'à tous les St-Aubin qui y sont.

Pour nous, rien de nouveau, nous sommes toujours dans notre petit trou que nous avons bien couvert et bien aménagé. Les obus ne tombent pas trop près et nous serons dans d'autres endroits certainement plus mal. On sait se contenter de peu. On entend au loin le canon qui tonne depuis hier matin sans arrêt. Ce doit être en Champagne où nos troupes on avancé ces derniers jours. Je n'ai encore pas reçu le colis que tu m'as annoncé avant hier ; il ne tardera certainement pas. La santé se maintient toujours pareille, puisse-il en être de même pour vous. Je vous suis dans vos travaux et serai curieux de savoir prochainement ce qu'ont rendu les p. de terre que vous avez dû arracher hier. Je souhaite que vous soyez trompés en bien. Plus rien à te dire sinon que mon affection pour toi grandit avec la longueur de notre séparation et de tout coeur je vous envoie mes plus affectueux baisers. Ton mari qui t'aime.

 

112.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre

Le 2 Octobre 1918

Ma bien chère Félicie

Je ne t'ai pas écrit hier, comme je t'en avais prévenu, mais je ne veux pas laisser passer aujourd'hui sans le faire. Je ne vois pourtant rien de nouveau à te raconter. Nous sommes toujours au même emplacement au milieu de la plaine et cela jusqu'au 4 au soir. Alors nous retournerons dans une autre position légèrement plus en arrière où nous passerons encore une période de 6 jours dans de bons abris. Il y a actuellement des changements ainsi prévus jusqu'à la Toussaint ; tu vois que nous ne sommes pas encore relevés ; du moins nous ne nous y attendons pas.

L'avant dernière nuit il a fait un peu plus froid que de coutume et cette nuit, depuis minuit, la terre était toute blanche et ce matin c'était gelé assez fort. Plusieurs camarades n'ont pas eu la précaution de s'installer aussi bien que moi, se sont plaint du froid, mais je n'ai pas souffert le moins du monde ; car dans notre petit trou à deux bien fermé on ne sent pas d'air et comme c'est assez restreint, il reste une assez douce chaleur. La matinée a été très belle, mais au moment où je t'écris, le temps se couvre et menace de pluie ; sûrement nous allons payer la gelée blanche.

Depuis hier, je suis entré dans la territoriale mais je ne m'en apercevrai guère car il n'y aura rien de changé pour moi. Je ne suis d'abord pas des plus vieux ici, car il y en a encore beaucoup qui ont 6 ans de plus que moi. Enfin, cela a peu d'importance si les événements continuent à aller comme ils vont maintenant. La capitulation de la Bulgarie qui est un fait accompli maintenant, puisqu'ils ont signé l'armistice en acceptant toutes nos conditions, ouvre les plus belles espérances ; et puis que ça avance partout, le Boche va peut-être se rendre compte qu'il a joué ses dernières cartes et que la partie est perdue pour lui.

Peut-être les mois qui nous séparent de l'hiver verront-ils la fin de tous ces carnages et la cessation générale des hostilités. Je ne parle pas du retour immédiat dans nos foyers, mais si on arrivait à ce résultat, ce serait appréciable et je le souhaite. Henri est-il en permission maintenant ? Je le souhaite pour vous tous à qui sa présence en cette période de grand travail se fera utilement sentir. La santé reste toujours bonne. Puissiez-vous être dans le même état. J'ai tout de même rempli ma feuille, il ne me reste plus qu'à t'assurer de mon affection profonde et à vous embrasser aussi fort que je vous aime. Ton mari qui pense à toi.

 

113.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre : LE FOYER DU SOLDAT

Le 4 octobre 1918

Ma chère Félicie

J'attendais ta lettre de dimanche hier soir ; elle n'est pas arrivée, ce sera pour ce soir sûrement. Aussi, ne l'ayant pas pour répondre à ce qu'elle contient je n'ai absolument rien de nouveau à te signaler aujourd'hui. La santé se maintient excellente et je pense que cela continuera.

Le secteur est toujours assez calme, comme d'habitude et dans un mois écoulé ce matin que nous y sommes, nous n'avons pas eu de pertes (ce n'est pas nécessaire d'ailleurs) que les 2 ou 3 premiers jours quand nous avons avancé, et elles sont légères. Ce soir nous changeons de place et nous allons passer une semaine dans des abris où nous serons à couvert de la pluie et des obus.

Je pense que le beau temps vous favorise les semailles et je souhaite que les souris ne fassent pas trop de ravages dans les ensemencements. Dans l'espoir que ma carte vous trouvera en bonne santé et je te charge d'offrir mes amitiés et mes remerciements à toute la famille et je t'envoie, ainsi qu'à nos deux chers enfants les plus affectueux baisers. Ton mari qui t'aime et pense à toi H. Bougaud

 


 

114.- Delcey=>H

Carte Postale BAYONNE - Hôpital militaire et vue sur l'Adour

Le 4-10-18

Mon cher Bougaud

Je reçois seulement à l'instant ta lettre du 24/7bre qui m'a fait bien plaisir et qui est la 1ère que je reçois de toi, celle dont tu me parles ne m'est pas parvenue. J'apprends donc avec surprise que Coutanroch a été blessé et de plus soigné au même hôpital que moi, c'est vraiment dommage qu'on ne se soit pas vu, car je suis depuis 10 jours à Bayonne, peut-être y-est-il venu aussi.

Renseigne moi donc là-dessus et donne moi son adresse. Comment a-t-il été blessé?

Pour mon sac je sais qu'il t'est impossible de t'en occuper, mais que veux-tu, j'en ferai mon deuil, je te remercie d'avoir prévenu Claveau.

Pour parler un peu de moi, je vais bien, mes blessures au bras sont guéries. Le côté, ce sera dans une quinzaine, et ma jambe, dans 3 ou 4 mois! Dans la salle où je suis se trouve mon ancien cabot "Cô" qui souhaite le bonjour à Barrère.

Mon cher ami, espérant vous savoir tous bientôt à l'abri, je termine en te serrant cordialement la main.

Ton vieux copain Delcey

Le trio s'est effondré, cette fois!

 

115.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 6 octobre 1918

Ma bien chère Félicie

J'ai reçu hier ta très longue lettre de dimanche et lundi et au moment où je vais t'écrire, on me donne celle du 3. Je vois que tu as bien du souci rapport à ce cheval que tu voudrais acheter et je comprends sans difficulté que ce soit chose absolument difficile. Ta lettre de lundi trahit, par son écriture, l'énervement où cette journée du 30 t'avait mise. Quand donc viendra le temps où je prendrai seul le souci de ces démarches, qui te causent tant de souci ? Je désire que ce soit bientôt. Et pourtant depuis ici, je suis incapable de rien faire en ce sens, surtout pour faire achat d'un cheval. Et pourtant, je suis bien d'avis que ton attelage est faible pour ta culture et c'est pour cela qu'au début de l'année je te conseillais de demander un cheval à l'Armée. Je ne doute pas non plus que ce soit horriblement cher et pour se lancer à acheter un cheval fait, on risque une forte somme et la malchance de tomber sur une bête qui ne vaut rien, car ceux qui ont de beaux chevaux les gardent. Je pense toutefois que tu trouveras quelque chose et je le souhaite, parce que je ne vous sens guère forts en attelage.

Tu me parles aussi que tu as reloué Charles pour le prix de 400. Cela ne m'étonne nullement. C'est dommage que tu ne puisses le garder toute l'année et que tu sois obligée de passer deux mois seule. Que de maux tu vas avoir avec ton bétail, et je comprends que tu hésites à acheter un poulain non castré, qui ne manquera pas d'être dru quand il ne fera rien et presque sûrement ennuyeux avec les juments. Si tu pouvais trouver quelqu'un pour enlever les fumiers 2 fois par semaine ; mais ce n'est pas chose bien facile. Si le père de Louise y consentait, par exemple, entre ses heures de travail, en payant naturellement, ce serai un grand soulagement pour toi. Tu pourrais lui en causer, il ne refuserait peut-être pas : il est vrai qu'il fait le ferblantier et que cela lui prend bien du temps. Tu me parles aussi de la fermeture des écoles par suite d'épidémie à Dôle et dans la région. Je regrette bien que les enfants soient obligés de rester à la maison en cette période de travaux et pourtant c'est une bonne précaution, car la grippe espagnole est, paraît-il, une assez grave maladie et il n'y a jamais trop de précaution à prendre pour éviter un malheur. Espérons que l'épidémie passera sans que St Aubin en soit inquiété. J'espère que Henri est actuellement en permission malgré le retard que le renfort a apporté à son tour. Ce serait une bonne chose pour vous car vous êtes dans la période où la présence des hommes vous fait le plus défaut, pour la charrue et surtout pour semer et faire les charrois.

Au régiment, on a augmenté le pourcentage dernièrement, mais ça marche moins vite qu'avant, je ne sais à quoi cela tient. Je suis encore environ le 35ème. En comptant 20 permissionnaires environ par 15e tu vois où cela me pousse et je ne pense pas y aller avant la fin du mois. C'est ce que j'ai toujours compté : et encore il ne faut pas qu'il vienne de renfort pour me jouer le tour qui a été joué à Henri... Tout cela c'est bien, mais c'est la grande permission qu'il nous faudrait. Peut-être approche-t-elle car les journaux d'aujourd'hui sont bons et la demande de paix générale formulée par tous nos ennemis laisse de grands espoirs. Il y a à craindre que se soit une ruse pour pouvoir effectuer tranquillement leur repli et se reformer un peu plus en arrière sans être inquiétés. Mais il y a des chances qu'on leur fasse ce qu'on a fait à la Bulgarie, c.à.d, qu'on ne cessera les hostilités que si les Boches acceptent sans discussion toutes les conditions qu'on leur posera. Ce n'est peut-être pas encore chose faite, mais cela vient.

En tout cas, je crois qu'on ne se battra plus cet hiver et ce ne sera pas rien. Quel souci de moins si on ne courait plus aucun risque des obus ou des balles et qu'on puisse monter des baraquements en 1ère ligne et faire du feu librement pendant les froids. Cela ne me ferait encore rien de passer 6 mois dans ces conditions et qu'on nous rende ensuite à nos familles. Enfin, comme disent les Noirs : "Y a bon ! " L'essentiel est de se garder jusqu'au bout ; et si nous restons encore longtemps comme maintenant, je crois qu'on y arrivera sans peine. Le calme est presque complet maintenant et il ne se tire guère plus d'obus maintenant que cet hiver en Alsace. Peut-être les Boches se préparent aussi à reculer devant nous comme ils le font presque sur tout le front et il n'y aurait rien d'étonnant qu'un de ces jours on nous mette en marche à leur suite à travers la forêt de Coucy. Je redoutais ce secteur quand nous y sommes arrivés ; aujourd'hui je le préfère à tout autre où il aurait fallu briser la résistance de l'ennemi. Ici, c'est certain qu'il se retirera par la force des choses. Pour l'instant nous sommes logés dans de bons abris à 7 ou 8 mètre sous terre ; nous ne craignons rien.

Dans quelques jours nous partirons en réserve de division à 7 km au moins plus en arrière ; nous y serons plus en sécurité. Après, ma perm ne sera plus guère loin. Je prends note de vos premiers travaux de semailles et je vous souhaite le beau temps pour favoriser votre travail. Je regrette seulement de ne pouvoir être avec vous plus tôt. En attendant ce jour là, je vous envoie mes meilleurs amitiés et je vous embrasse de tout coeur comme je vous aime. Ton mari qui pense à toi HB.

 

116.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte en Franchise : LE FOYER DU SOLDAT

Le 8 Octobre 1918

Ma bien chère Félicie

Rien de bien nouveau aujourd'hui. Cependant je ne veux pas laisser passer le jour sans t'envoyer mon petit mot pour te dire que je suis toujours en bonne santé. Le secteur est toujours aussi XYZ et nous sommes toujours au même endroit qu'avant-hier. Seulement aujourd'hui il est question de mouvement et certains bruits en l'air laissent prévoir que nous ne resterons pas dans cette situation. Les Boches se sont repliés au nord de Reims ; probablement en vont-ils faire autant devant nous et nous devrons, naturellement, les suivre. D'autre part, derrière nous se trouvent de nouvelles troupes ; dans quelles intentions ? On ne le sait, mais peut-être serait-il aussi question de nous relever car voilà bientôt 40 jours que nous sommes là. Quoique nous ne soyons pas trop malheureux comme nous sommes actuellement, nous préférerions encore laisser la place à d'autres : Et après, par les temps qui courent, n'aurons-nous peut-être plus à recommencer des aventures comme celles de Locre et celle-ci.

Depuis deux jours nous avons un peu de pluie et le temps brumeux : c'est la saison après tout, mais, s'il fait le même temps chez nous, vous en êtes peut-être assez ennuyés pour vos travaux. Je vous embrase de grand coeur comme je vous aime. Ton cher HB.

 

117.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 10 Octobre 1918

Ma bien chère Félicie

Je m'empresse de répondre à ta lettre du 6 que je reçois à l'instant. S'il est une nouvelle à laquelle je ne m'attendais pas, c'est bien celle de la mort de Mme Stiernemann. Je savais bien qu'elle avait été souffrante tout l'hiver et qu'elle avait eu bien des soucis et bien de la misère en soignant son mari, mais je n'aurais pensé qu'elle en fût là et je suis bien certain que toi non plus. Voici Anna bien seule à présent et elle doit être bien affectée de perdre à si peu d'intervalle son père et sa mère. Si encore elle était complètement guérie, mais j'en doute et tous ces tracas ne sont pas faits pour hâter sa guérison. Comme toi je regrette la disparition de Mme Stiernemann, car après tout, elle était bonne voisine et nous lui devons de la reconnaissance pour bien des services rendus. Je vais écrire un mot à Anna, mais dis-lui quand même que je prends bien part à sa douleur et que je n'oublierai pas sa mère dans mes prières.

Tu me dis que tu es allée chercher du raisin à Champvans et que tu en [a] pris un peu plus, comptant que je serai là l'an prochain pour boire le vin. Je le souhaite et je pense que cette fois nous ne serons pas trompés. D'autre part, si le raisin est bien mûr, je te souhaite de faire un excellent vin. Je suis heureux que tu aies fait un bon voyage et j'aime mieux cela que de savoir dans l'état où tu devais être retour de Longwy. Tu as surtout réussi de trouver Raymond à Myarle xx?? et vous avez pu causer un bon moment tranquillement. Il a plus de chance que moi pour sa période et il peut au moins grandement soulager Anna, ce que je regrette de pouvoir faire pour toi.

Heureusement mon tour approche et je ne suis plus guère que le 30e, ce qui me reporte toujours à peu près à la date que je t'ai indiquée. Nous devrions partir plus en arrière ce soir. Hier au contraire l'ordre était venu de monter en ligne un peu plus à droite, puis contre-ordre est arrivé et nous restons encore ce soir ici. Demain je ne sais ce qu'on fera de nous, mais je ne crois pas que nous partions en arrière. On s'attend d'un jour à l'autre au repli des Boches devant nous, et il est probable que sous peu nous allions voir d'autres pays. On parle aussi vaguement de relève : bref je ne sais qui croire, chacun se disant bien informé. Le mieux est d'attendre et de vivre au jour le jour. Pour peu qu'on traîne encore, la permission arrivera et quand je serai à St Aubin, il se fera peut-être du changement au régiment. Vivement que ça vienne. En attendant je ne vous oublie pas et je vous envoie me plus doux baisers. Ton mari qui t'aime, HB

J'oublie de te dire que il y a deux ou trois jours je t'ai envoyé 50 F : Seulement le vaguemestre te les a envoyés en mandat-carte. Les as-tu reçus ?

 

118.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre

Le 12 Octobre 1918

Ma chère Félicie

Je vais reprendre à dater d'aujourd'hui mon petit mot quotidien. Le mouvement en avant prévu est commencé depuis deux heures. Au moment où je t'écris, les patrouilles de tête sont entrées sous bois devant nous, Anizy est pris tandis qu'immédiatement à gauche de nous, deux bataillons du régt qui n'avaient pas encore donné ont attaqué. Il y a eu qques coups de mitrailleuses et maintenant c'est le silence le plus complet. Ça semble donc vouloir marcher comme l'avance que nous avons faite il y a 40 jours, c.a.d. sans casse. Cela vaut mieux et j'aime courir après l'ennemi que l'obliger à lâcher pied, surtout quand on a devant soi une position formidable comme celle qui est devant nous.

Je te tiendrai au courant des événements. Aie confiance, tout ira bien et nous y allons tous de bon courage et complètement rassurés. J'aurais voulu me trouver en permission pendant que ce mouvement se ferait, mais puisque mon tour n'est pas encore arrivé, il ne faut pas s'en casser la tête ni l'un ni l'autre. Peut-être aussi la réponse de l'Allemagne à Wilson arrêtera les opérations, car je la crois bien mal partie. Peut-être aussi pensera-t-on à nous relever quelque fois et je ne crois pas que nous restions aussi longtemps dans le secteur que nous y avons déjà été. Pourvu que, pour ces opérations, nous ayons le beau temps, ce qui n'est pas sûr car en ce moment le temps est lourd et le brouillard coule. Puisse-t-il vous être favorable pour faire lever de beaux blés. Je termine en te renouvelant le témoignage de mon affection profonde et de mon amour pour nos deux chéris et je vous embrasse de tout coeur comme je vous aime. Ton mari qui pense à toi HB.

 

119.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 13 Octobre 1918

Ma chère Félicie

L'avance continue. Depuis hier à midi que nous sommes partis à aujourd'hui 3 heures après avoir couché sur le terrain, nous avons fait une avance d'environ 15 km. Toute la forêt le Coucy et de St Gobain est dépassée et je t'écris de Crépy, village situé au nord ouest de Laon que nous avons très bien vu en cours de route et qui, paraît-il, est tombé entre nos mains. Après trois jours qui ont été plus mouvementés, surtout la journée du 11 où les Boches ont débarrassé leurs obus sur nous, (sans nous faire seulement un blessé, il est vrai) nous avançons l'arme à la bretelle et nous ne trouvons pas les Boches qui filent comme des lapins. Aussi nous n'avons pas un blessé dans la division. Peut-être les trouverons nous un jour ; peut-être aussi qu'à ce moment-là nous serons relevés. On ne voit plus de journaux ; mais il nous tarde de savoir des nouvelles de la paix, qui ne peut manquer d'approcher.

A Crépy nous retrouvons qques civils, tout heureux de nous revoir après 4 ans de captivité. Les Boches se replient en ordre, cette fois, sans rien laisser et ils incendient tous leurs baraquements et dépôts et même trop de maisons dans les villages. J'ai reçu ta lettre du 6 ; très ennuyé de savoir Louise malade, à cause d'elle d'abord et à cause du danger que cela cause à la maison, je souhaite que ce malaise passe aussi vite qu'il est venu et n'ait pas d'autres conséquences qu'un arrêt momentané. J'ai confiance que tes soins énergiques sauront parer à toute éventualité. Je t'embrasse comme je t'aime, ton mari HB.

 

120.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre

Le 14 Octobre 1918

Ma chère Félicie

Mon petit bulletin de santé seulement car nous sommes en mouvement et je n'ai guère de temps libre. Partis hier matin à 3 heures, nous avons avancé jusqu'à 11 heures du soir, heure à laquelle nous sommes venus nous buter sur les arrière-gardes ennemies. A cause de leurs résistances nous avons dû rester sur place et nous avons passé le reste de la nuit tant bien que mal, pas trop chaudement, car la bise était assez forte et maintenant nous sommes en plaine sans le moindre abri.

Depuis ma lettre d'hier nous avons encore avancé d'au moins 10 km et à midi, malgré la résistance plus opiniâtre des Boches l'avance continue. Nous n'avons malgré cela aucune perte et, avec la prudence qu'on y met, tout va pour le mieux. D'autre part les nouvelles générales sont bonnes et je crois que d'ici peu on n'entendra plus le canon. Vivement que ce moment désiré arrive. Je suis toujours en excellente santé et je pense que chez vous c'est la même chose et que Louise est en bonne voie de guérison, si elle n'est pas encore debout. Je vous embrasse comme je vous aime et te conseille plus que jamais le calme et la confiance comme je l'ai toujours eue. Ton mari qui t'aime et pense à toi. H. Bougaud

 

121.- A=>H

Carte postale MONASTIR (Serbie)

Vue de la chapelle du monastère de San Vedéla

Orient 16 octobre 1918

Bien cher Bougaud

J'ai reçu ta lettre du 18 Sbre ; je vois que tu étais en pleine bataille dans un sale coin. J'espère que tu t'en es bien tiré encore cette fois. Je crois que nous approchons de la fin. Tous les jours on apprend de bonnes nouvelles. Il s'agit pour nous de tenir jusqu'au bout pour voir la fin qui doit être prochaine. Ici nous marchons depuis une quinzaine tous les jours qu'il pleuve ou non. Nous avons parcouru des montagnes très hautes comme je n'en avais pas vu ici encore. Arrivé aux portes d'Elbasan les Italiens y entraient devant nous. Nous voilà repartis d'un autre côté, je ne sais où mais on s'appuie quelque chose comme marche. Le plus ennuyeux c'est la pluie tous les jours et de coucher sur la terre humide. Je monte ma guitoune avec Grattepain. Depuis notre mise en route il n'y a pas eu deux jours de beau temps. Les Autrichiens se replient devant nous. Le régiment a encore eu de la chance jusqu'à maintenant et on n'a pas trop écopé. Il paraît que les Serbes peuvent aller jusqu'au Danube. Tu vois que nous ne connaissons pas notre but. Aujourd'hui on nous dit que les Boches demandent la main, cela donne du courage et malgré le manque de pinard redonne du moral. J'espère que tu es toujours en bonne santé pour moi cela va. Louis a bien réussi d'être évacué en ce moment ici. Je n'ai pas le temps d'en écrire davantage. Je te souhaite bonne chance et bon courage en attendant cette paix qui fera plaisir à tout le monde. Ton frère qui t'aime Alfred Bougaud

 

122.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 17 Octobre 1918.

Ma Bien Chère Félicie.

Contre ma promesse, je ne t'ai pas écrit hier. Il faisait si mauvais et nous avions tant de peine à nous garantir de la pluie que je n'en ai pas eu le courage. Je pense que tu n'en auras pas été inquiète. D'ailleurs, avec la vie que nous menons actuellement, on est pas sûr de faire partir le soir la lettre écrite dans le jour. Quel métier que la vie en campagne par la pluie et surtout ici. Dans la nuit du 15 au 16, nous avons changé de place 4 fois dans la nuit et chaque fois nous avons dû nous creuser un trou, car il n'y a naturellement ni tranchée ni bois dans la région. Hier, à 4 heures du matin, la pluie, et notre dernier trou pas fini ; de suite on improvise la toile de tente, car on ne trouve pas, comme dernièrement, des tôles après de vieux baraquements qui n'existent pas et comme nous sommes dans une espèce de vaste plaine où il n'y a ni un fossé, ni un arbre, ni le moindre buisson, juge de la difficulté pour nous installer à peu près. Bref, nous avons eu la pluie jusqu'au milieu de l'après-midi et nous n'étions pas fâchés alors de pouvoir sortir de dessous cette toile mal installée et suintant de partout. Les obus sont bien terribles, mais je ne les redoute pas tant que la pluie qui ne tue pas cependant. Enfin, le beau temps est à peu près revenu et nous avons retrouvé notre gaieté, car nous n'en manquons pas. J'ai reçu avec plaisir hier soir ton colis, mais pas encore la lettre me l'annonçant. Ce sera probablement pour ce soir. Je t'en remercie, car il m'est d'une grande utilité, arrivant juste au moment où mes dernières provisions étaient épuisées. Ce n'est pas étonnant après l'avance que nous avons faite. Nous avons été trois jours sans ravitaillement régulier, car il ne pouvait arriver. Ce n'étaient pas chose facile avec l'état des routes dans la forêt de Coucy. Les Boches en reculant avaient abattu un gros arbre et le plus gros du coin, tous les 50m environ en travers de tous les chemins et cela sur au moins 10 à 12 kms et à plusieurs endroits la route était sautée par une mine qui y avait creusé un trou où notre maison aurait disparu. Tu vois ce travail pour remettre tout cela en état. Hier soir nous avons touché le ravitaillement d'avant hier et d'hier. Tu vois que si on n'avait pas un peu d'avance, on se mettrait parfois une belle ceinture. Mais je crois que maintenant ça ira plus régulièrement et ce n'est pas la peine de m'envoyer un autre colis avant ma permission, à moins que je te le demande. Voilà 5 jours que nous sommes en 1e ligne et nous commençons en avoir plein le dos. Mais je crois que notre bataillon est relevé ce soir ; nous n'en serons pas fâchés. Quand notre tour viendra, la relève de la division sera peut-être faite et peut-être aussi je serai en permission. Cela vaudra mieux. Depuis deux jours nous n'avançons plus et nous sommes sur nos positions, car les Boches offrent de la résistance. Je croix qu'on attendra encore comme nous l'avons fait le mois dernier qu'ils soient forcés de reculer tout seuls. Nous sommes à l'est de Barentoncel que tu as pu voir sur le communiqué d'hier à 1 km environ au Nord de Laon que nous avons continuellement sous la vue. La santé est bonne, je pense que vous êtes tous dans le même état et que vos travaux de semailles marchent sans trop d'arrêts. Je vous embrassse du grand coeur comme je vous aime.Ton mari à qui il tarde de se voir réuni à vous pour toujours.

 

123.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 23 Octobre 1918

Ma bien chère Félicie

Aujourd'hui nous restons tranquilles et il n'y a pas d'actions dans notre secteur. Au lieu du village de Mortier dont je te parlais hier, c'est Chalandry qu'un de nos bataillons a occupé. L'avance faite hier est d'environ 3 km. Pour moi, je suis logé dans un abri boche, où ils pouvaient subir n'importe quel bombardement sans rien craindre. La ligne que nous avions devant nous et qu'on a enlevée hier parce qu'ils ont bien voulu l'abandonner était très forte, comme tranchée bétonnée, abris de même et réseaux excessivement fournis. Les emplacement des mitrailleuses y sont semés à foison et ce n'est pas étonnant que nous nous soyons cassé le nez l'autre jour.

Aujourd'hui nous sommes (les 1ères lignes), dans le bas-fond formé par la Serre et un petit ruisseau qui s'y jette, terrain marécageux dominé par les positions boches sur l'autre rive. C'est tranquille aujourd'hui, mais peut-être ce ne sera pas tous les jours pareil. En attendant, nous sommes en 3e ligne et quand notre tour viendra de reprendre les 1ères, si nous ne sommes pas relevés, peut-être y aura-t-il du changement et nos emplacements seront meilleurs car le Boche recule petit à petit. Bientôt sans doute, le front viendra en Belgique dans la région de Françoise. Si elle avait au moins la chance de rester de ce côté de la barrière, ce serait une grande joie pour tous. Je ne crois pas qu'elle risque quelque chose de la bataille car les Boches ont eu la précaution de tout évacuer les endroits dangereux. Ainsi nous avons trouvé des civils dans le cours de notre avance, mais ici où il fait de la résistance, l'ennemi a tout fait vider les villages de leurs habitants. Aujourd'hui il part 6 permissionnaires ; petit à petit mon tour arrive, mais ce ne sera sûrement pas [bas de page déchiré, illisible]. .. Ne te fais pas d'illusions, ne m'attends pas encore. ..

Je regrette de n'avoir pu y aller plus tôt, mais malgré cela, vous avez bien fait du travail et je vous en félicite. Après la journée pluvieuse d'hier, nous avons aujourd'hui un temps splendide. Pourvu qu'il continue et que la santé de tous se maintienne comme je suis actuellement. Je vous embrasse comme je vous aime. Ton mari qui ne vous oublie pas. HB.

 

124.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 24 Octobre 1918

Ma bien chère Félicie

Je viens répondre à ta bonne lettre du 20 que j'ai reçue hier soir. Probablement tu as reçu mes lettres que je t'ai écrites régulièrement et tu dois être tranquillisée à présent sur mon sort. Je te remercie de me donner tous ces renseignements sur vos santés et je constate que cette vilaine maladie frappe largement et partout, causant de gros soucis et des fatigues supplémentaires à ceux qui n'en sont pas encore atteints. Et si il n'y a que cela, c'est encore un demi mal et à tout instant, je redoute de recevoir l'avis que quelqu'un de vous est dangereusement atteint. Je ne peux que vous recommander de prendre beaucoup de précautions contre le froid et la pluie et surtout de vous soigner minutieusement et sans délai si vous venez à tomber malade.

Tu me dis que tu te sens un peu souffrante ; je pense que ce ne sera rien et que bientôt, je recevrai la nouvelle que ta santé est meilleure. Malgré le plaisir que j'aurais à vous voir, je ne tiens nullement à aller en permission pour semblable occasion et préfère vous savoir toujours bien portant. Pourvu encore que les enfants n'attrapent rien, ce seraient bien d'autres soucis pour toi et pour moi aussi. Nous sommes aujourd'hui sur les mêmes positions qu'hier et c'est très calme devant nous. Mais au moment où je t'écris, le canon tonne terriblement au nord, sûrement on va encore avancer par là et forcer le Boche à se replier un peu devant nous.

Je suis en excellente santé, c'est l'essentiel et je pense bien rester ainsi. Puisse ma carte vous trouver dans le même état, c'est mon plus grand désir. En terminant, laisse moi t'embrasser bien fort comme je t'aime. Je pense que Marie-Louise et Albert sont toujours bien gentils. Embrasse-les un bon coup pour moi. Ton mari HB.

 

125.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

LE FOYER DU SOLDAT

Le 25 Octobre 1918

Ma bien chère Félicie

J'attendais un peu une lettre de toi pour y répondre, mais comme il se fait tard et qu'on ne les a pas encore apportées, je ne veux pas laisser passer la journée sans venir te dire bonjour et t'informer que je suis toujours en excellente santé. Nous n'avons pas changé d'emplacement et sommes toujours à l'arrivée de la division dans un petit coin très calme, où il ne tombe pas un obus, quoique devant nous il se fasse assez de bruit. Cette nuit le canon a tonné fort et les mitrailleuses aussi. Ce matin, il a repris de plus belle et on nous a apporté au lever du jour que la Serre était franchie. Peu après en plusieurs groupes défilèrent une centaine de prisonniers.

Depuis, tout le secteur compris entre Crécy-sur-Serre et Mortiers a été rempli de la fumée des obus. Du moment qu'on nous fiche la paix et que nous ne risquons rien, c'est l'essentiel. On ne parle plus de relève, je sais quand elle viendra ; elle peut cependant venir, mais on nous a tellement bernés de racontars qu'on n'y croit plus. Vivement que la permission vienne. Je dois être autour du 15e et comme il en est parti 9 ces deux derniers jours, il faudra attendre qu'ils soient rentrés pour partir, c.a.d. autour de la St Martin. Tu peux donc encore m'envoyer un colis avant sans que je risque d'en être embarrassé. Je pense que ma carte vous trouvera en bonne santé et c'est dans cet espoir que je vous envoie mes meilleures amitiés et que je vous embrasse bien fort comme je vous aime. Ton mari qui pense à toi HB.

 


 

126.- A=>Parents

[Carte postale SOUVENIR D'ORIENT 1914]

Femmes serbes à X...

Orient 26 octobre 1918

Bien chers parents

Après bien des marches très pénibles nous avons un peu de repos, nous logeons dans des anciennes baraques bulgares et ils ont laissé beaucoup de matériel, mais il y en a la moitié de brûlé.

Je ne sais pas où nous irons. Je souhaite que le repos dure un peu car nous sommes tous fatigués. La moitié de notre groupe est évacué. Il y a une épidémie de grippe qui est très mauvaise. Je l'ai attrapée, j'espère que ça se passera car je ne pourrais pas suivre la colonne s'il fallait remarcher tout de suite. Envoyez moi des colis. Je vais à la visite ; je ne suis pas le seul. Je vous redonnerai d'autres nouvelles. J'espère que tout le monde va bien. Je vous embrasse de grand coeur. Alfred

 

127.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

LE FOYER DU SOLDAT

Le 26 Octobre 1918

Deux mots à la hâte pour te dire que je suis en excellente santé. Hier soir nous avons quitté brusquement l'abri dont je te parlais et dans la nuit nous sommes venus prendre position pour attaquer. A 3 heures du matin nous franchissions la Serre entre Crécy-sur-Serre et Mortiers et une demie heure après ce pays était à nous. Nous avons fait une centaine de prisonniers et il n'y pas trop de casse. J'espère bien que j'en sortirai sain et sauf comme j'en ai toujours eu la conviction et je soupire après la permission pour aller vous voir et passer quelques instants moins mouvementés. Je pense que vous vous maintenez en bonne santé et que la grippe n'aura pas de conséquences fâcheuses. Bonjour à tous. Je vous embrasse comme je vous aime.

 


 

128.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

LE FOYER DU SOLDAT

Le 27 Octobre 1918

Je reçois ta lettre du 23. Je suis content de savoir que ton indisposition ne se soit pas aggravée et de tout coeur, je souhaite que la grippe t'épargne, ainsi que les petits, et tous les parents qui n'en sont pas atteints. Tant mieux qu'il y ait de l'amélioration chez Honoré ; en cette saison il n'a pas besoin d'être plus longtemps arrêté. Je plains également ton papa resté seul et je souhaite que tes soeurs soient vite remises. Pour moi, ça va toujours la même chose, mais ça irait mieux si on nous donnait la relève ; on commence à trouver le temps long et on voit s'allonger la liste de ces jours de misère. On avait fait courir le bruit hier soir que nous serions relevés aujourd'hui, mais il n'en est plus question. Quand viendra-t-elle ? Je ne crois pourtant pas que ça tarde. Les Boches se sont un peu repliés aujourd'hui et naturellement nous les suivons. Nous sommes presque à Dercy qu'ils tiennent. Plus rien de nouveau, je t'embrasse comme je t'aime ainsi que nos chers enfants. HB.

 

129.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

LE FOYER DU SOLDAT

Le 28 Octobre 1918

Ma chère Félicie

Je t'envoie aujourd'hui la lettre d'hier que j'ai oublié d'expédier. Nous sommes toujours en mouvement et c'est pardonnable de ne pas penser à tout. Pour l'instant je t'écris de la gare de Dercy-Mortiers que nous occupons d'hier et où nous sommes arrêtés, les Boches se trouvant aux lisières de Dercy à 400 m environ de nous. Nous ne sommes pas bombardés, mais on n'a pas un moment de repos avec ces déplacements continuels et ces trous qu'on est obligé à chaque fois. Ici, c'est comme au début de la guerre et il faut mettre en pratique la devise : "Manger et dormir quand on peut."

On commence à réclamer la relève à cor et à cris, car si cela continue encore quelque temps comme cela nous serons aussi abattus qu'à Locre. On en parle tous les jours, on l'attend chaque soir, on sait que les troupes de relève sont à 4 ou 5 km derrière nous, mais on n'est pas souvent remplacé. Enfin on a espoir. Ce sera probablement comme en Belgique pour ma permission et j'y serai probablement quand le régiment sera au repos. Ce soir partent ceux qui sont rentrés le 3 juin ; comme j'y suis du 6, mon tour approche mais n'y compte guère avant la date fixée. Je suis toujours en bonne santé, c'est l'essentiel et je voudrais qu'il en fût de même pour vous tous. C'est dans cette pensée que j'envoie mes amitiés à toute la famille et que je vous embrasse de tout coeur. Ton mari qui t'aime et voudrait vite être auprès de toi, HB.

 

130.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Carte-Lettre

Le 30 Octobre 1918

Ma bien chère Félicie

Je m'empresse de répondre à ta bonne lettre du 27 qui m'a fait grand plaisir car elle me donne de bonnes nouvelles au sujet de vos santés. Je pense que l'amélioration ne fera que s'accentuer et que sous peu, tous les malades seront debout. Je suis content surtout que tu aies consulté le médecin pour toi et quand tu me dis que ce ne sera rien, je suis plus tranquille. Néanmoins, soigne-toi bien et prends le plus de précautions possibles, ce qui n'est pas toujours facile. Que de contretemps et de soucis tout cela vous donne et combien je voudrais vite être auprès de vous pour vous donner un peu d'aide. Cela vient tout doucement ; je suis maintenant le 8 ou 9e et demain partent ceux rentrés le 4 juin ; moi je suis rentré le 6.

Je t'ai dit dernièrement que tu pouvais m'envoyer encore un colis et comme tu m'en parles sur ta lettre, je te dirai non, si tu ne l'as déjà fait. Ici depuis quelques jours nous avons un bien beau temps et s'il fait de même à St Aubin, cela ne doit pas nuire à votre travail. Pour nous, c'est avantageux à cause des nuits que nous devons passer à la belle étoile. Peut-être cette vie touche-t-elle à sa fin, et après des alternatives et des discussions, on voit de plus en plus se dessiner cette paix tant désirée, qui sera bénie de tous.

Les journaux d'aujourd'hui annoncent la capitulation de l'Autriche qui demande l'armistice et la paix sans conditions, laissant l'Allemagne se débrouiller seule. Celle-ci a ces derniers jours demandé les conditions de l'armistice des alliés, se trouvant seule, elle sera certainement obligée de crier grâce sous peu et d'accepter tout ce qu'on lui demandera. Notre général de corps d'armée a annoncé hier soir à ses troupes la capitulation de l'Autriche et dit que la guerre sera finie avant 15 jours. Je voudrais bien qu'il dise vrai.

En attendant, la bataille continue et petit à petit, de gré ou de force, le Boche évacue. Nous sommes toujours au même endroit qu'hier en 1ère ligne. C'est suffisamment calme et nous avons eu souvent ces temps derniers des coins plus mouvementés que celui-ci. La relève de la division ne se fait toujours pas, mais, je crois que demain nous retournerons en réserve. Puis ma permission sera là et après il y aura sûrement du nouveau. En attendant je te fais part de mon affection toujours plus grande et je vous embrasse de tout coeur. Ton mari qui t'aime et qui chérit ses enfants, HB.

 

131.- Louis Mougeot / Bachut ?=>H

[Lettre de L. Mougeot ?? à Hippolyte Bougaud]

Carte Postale Die Bahnstation von Skoplje (Üsküb)

Le 26 novembre 1918

Cher Hippolyte

Depuis une douzaine de jours j'ai quitté le TM 955 pour aller avec 3 autres copains rejoindre une autre section à Uskub. Arrivés dans cette ville nous n'y avons pas trouvé notre nouveau groupe et avons appris qu'il était à Nisch [?] même à Belgrade. Comme toute marche en avant est suspendue, rapport à je ne sais trop quoi (moyens de transport d'abord) tous ceux qui sont dans notre cas attendent ici comme nous. Nous sommes au gîte d'étapes et chacun voudrait bien aller d'un côté ou de l'autre au plus vite car la nourriture laisse à désirer ici. Tous les jours nous allons aux renseignements à la place ou ailleurs pour essayer d'avoir une décision sur notre sort et chaque jour on nous dit d'attendre. Ça fait déjà 6 jours que nous sommes là. De temps en temps on entend dire que nous allons être dirigés sur Salonique pour reprendre notre route par une autre voie car à partir d'ici le train ne va pas plus haut. Il doit y avoir du démoli sur la voie. Il n'y a du reste que deux jours qu'il vient jusqu'à Uskub. Il y avait un pont de sauté depuis. [Krivolac Negotino ?] [?] Il existe encore un transbordement de qq km entre Veles [?] et Gevgelija [?] . J'ai appris ce matin avec plaisir que j'étais rapatriable, alors tu penses si je me suis empressé d'aller me faire inscrire. J'attends les suites et espère que j'embarquerai bientôt pour Salonique et ensuite la France. Cela demandera sûrement qq jours car il va peut-être falloir que je retourne au (D.I.??). Mais si une fois je suis sur la route de France ça ira et comme la guerre. ... Il faut [la] croire finie, je laisse tomber les autos. Ma santé est toujours bonne. Mauvais temps tous ces jours : neige et pluie. Pas de nouvelles d'Alfred comme de tous car tout en déploiement mes lettres ne me parviennent pas. Peut-être ton frère avec tous les St-Aubin du 250 partiront avant moi et tu comprends pourquoi. Enfin à qq jours près c'est un détail et je voudrais bien être auprès des miens pour les fêtes de Noël et jour de l'an. Si je pars pour la France je t'enverrai deux mots pour que tu n'aies pas le mal de me répondre. En attendant je te serre cordialement la main.

[Louis???]

TM 955 Groupe Bachut Secteur 550 [??]

 

132.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 4 Décembre 1918

Ma bien chère Félicie

Au reçu de ta lettre du 1er, je te remercie de ton mandat ; j'aurais peut-être fait sans cela, mais j'aime mieux n'être pas tant à court et il ne sera pas perdu si je n'en ai pas besoin. Je t'enverrai aussi dans ma prochaine lettre un certificat de présence au corps, ce qui demande quelques jours.

Toute la semaine nous n'avons absolument rien fait. Pour nous passer le temps, on nous a fait assister à des concerts ou à des conférences, mais pas d'exercices, une petite revue par ci par là, pour qu'il ne soit pas dit de n'avoir rien à faire ou bien tout simplement la liberté d'aller où nous voulons. Des permissions pour Paris sont données dans la plus large mesure et on y va même sans permission. C'est dommage que le temps soit toujours plein de brouillard et de fumée et qu'il tombe de l'eau la moitié du temps.

Demain nous allons assister à l'arrivée d'Albert 1er ; pourvu que le ciel soit plus clément que pour la visite de Georges V. S'il fait beau, il y aura encore foule et ce ne sera pas facile à la contenir. Cet après-midi, je suis allé à Montmartre, mais on ne voyait pas à 200 m de soi et je n'ai pas pu jouir du beau panorama qu'on a de là-haut. Je me suis contenté de visiter la basilique et d'y faire mes dévotions. Dimanche, si je peux, je tâcherai de faire mieux. C'est très beau, mais pas fini et les barricades de planches qui sont tout autour défigurent beaucoup le monument.

Petit à petit j'arriverai à voir tout ce qu'il y a d'intéressant, pour peu qu'on reste longtemps, car les jours sont courts et on ne peut voir large dans une journée. Merci des renseignements que tu me donnes au sujet de Marguerite. Je vois qu'elle a été sérieusement tenue et que malgré tous les bons soins qu'elle a, la guérison ne va pas vite. Espérons que le temps, qui n'est pas si pressant maintenant, la remettra et qu'elle profitera de l'hiver pour reprendre des forces et redevenir ce qu'elle a toujours été.

Je suis aussi particulièrement content de te savoir soulagée par la présence de Charles et de savoir que tu l'auras jusqu'au nouvel an. Peut-être qu'après, comme tu le dis, il consentira à rester, sinon, janvier sera encore vite passé et s'il y a quelque chose de pénible à faire pendant que tu seras seule, je pense bien que tu feras appel à Albert, s'il est encore là, ce qui est probable.

J'ai à t'annoncer qu'à mon retour de permission je me suis trouvé cité une deuxième fois à l'ordre de la division. Cela me fera 22 jours à avoir à la prochaine permission, si, d'ici là, je n'ai pas encore obtenu la grande. Je ne sais si c'est la citation, dont je te parlais, mais je crois qu'ils en ont fusionné deux ensemble et que cela a empêché qu'elle aille plus haut, car avec le premier motif, elle serait sûrement sortie à l'armée. Je m'en fiche après tout et n'attache d'importance qu'à la feuille de route qu'on me donnera bientôt et qui me ramènera au milieu de vous. Je ne pense plus arriver au grade de sergent ; depuis l'armistice on tâche de donner des emplois aux jeunes des classes 17 et 18 pour remplacer les vieux ; on nommera sûrement aussi des gradés dans ces classes pour avoir des cadres à l'active qui restera. On a demandé ces jours derniers s'ils y en avait qui pensait rengager ; l'avancement se fera sûrement parmi ceux-là. Tu peux bien croire que c'est le dernier de mes soucis et que je n'attache pas plus d'importance à leur grade qu'à leurs citations. Pourtant je fais journellement le service d'un sergent, même le service de jour et si ce n'étaient les circonstances, je suis bien certain que je serais le premier à passer. Marie-Louise et Albert sont-ils toujours aussi sages que pendant ma permission ? Embrasse-les bien fort pour moi comme je le fais pour toi. Ton mari qui t'aime, H. Bougaud.

 

133.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 8 Décembre 1918

Ma chère Félicie

Je m'empresse de répondre à ta lettre du 5 reçue ce matin. Merci des nouvelles à peu près bonnes que tu me donnes au sujet de Marguerite. Il est à souhaiter que le mieux s'accentue et que sous elle soit franchement convalescente. On trouvait de prime abord que le major de St Jean-de-Losne était un peu boucher ; il faut reconnaître à présent que l'énergie était nécessaire et il ne faut pas le regretter puisque la malade est en bonne voie de guérison.

Je constate aussi avec plaisir que vous vous arrangez bien avec Charles et je désirerais que son père consentît à ce qu'il reste, comme il le voudrait. Je serais bien plus tranquille à ton sujet en te sachant ainsi soulagée et tu t'en trouveras bien mieux aussi. Peut-être à deux obtiendrez vous gain de cause. Je t'envoie par le même courrier un certificat de présence au corps ; ce n'est pas au juste ce que je demandais, mais voilà ce qu'ils donnent à ceux qui le demandent, c.a.d. à presque tous, puisque chacun est le motif à quelque degré pour l'allocation. Tu y verras les motifs de mes citations et, puisque Barton me les avait demandés pendant ma permission, tu pourrais lui donner le certificat pour qu'il en prenne copie. La pièce signée et timbrée du colonel n'est pas discutable. Je te disais dernièrement que nous devions assister à l'arrivée d'Albert 1er ; or, aujourd'hui qu'il est parti, je vais un peu te raconter cela.

C'était jeudi après-midi. Le temps était un peu brumeux, mais pas froid et nous n'avons pas eu à souffrir de ce côté-là. A 10 heures, la soupe mangée, nous partons prendre place sur les Champs Elysées entre la place de la Concorde et l'Arc de Triomphe de l'Etoile. Mais pour y arriver, il faut un peu plus de temps que l'écrire et nous avons mis 3 heures pour nous y rendre, dont les deux tiers au pas derrière la musique qui jouait. Aussi, tu peux croire, s'il y avait foule à nous suivre. De temps à autre on rencontrait des femmes ou des jeunes filles avec des fleurs qui nous en donnaient gracieusement, si bien qu'à l'arrivée, chacun avait sa fleur, son petit drapeau ou une cocarde quelconque.

Nous avons fait deux pauses en pleine ville et alors on nous jetait des fenêtres des cigarettes, des cigares, du chocolat, même de l'argent, ce à quoi le commandement à trouvé à redire en disant qu'il ne fallait pas passer pour des mendiants mais ce n'était pas l'avis de tous les soldats toujours prêts à recevoir n'importe quoi qui soit donné de bon coeur.

A l'heure exacte, le roi arrive accompagné de Poincarré ; dans le landau suivant, c'est la reine avec Mme Poincarré, ensuite leur fils avec Clemenceau, puis d'autres notabilités que je ne connais pas. Sur son passage, c'est un tonnerre d'applaudissements, des cris de "Vive le roi, vive la reine, vive la Belgique, vive Poincarré, Clemenceau etc... C'est un vrai vacarme ; puis on prend le chemin du retour. Nous devons défiler en revenant dans les plus belles rues de Paris, musique en tête.

Pour démarrer c'est assez difficile, le civil se mêlant de force avec nous, les jeunes filles surtout intercalant leurs rangs avec les nôtres. On n'avance pas à pas, puis finalement la police vient à bout de nous séparer et le défilé commence aux cris mille fois répétés tout le long du parcours de "Vivent nos poilus ! " Depuis notre campement [?] à l'emplacement que nous occupions, il y a une trotte et le service est assez pénible, si bien que nous étions tous bien fatigués au retour. Mais de voir qu'on vous manifeste tant de sympathie, on ne regrette pas ses fatigues et je garderai bon souvenir de ces journées. Le lendemain, même programme, mais nous sommes allés un peu moins loin. Le cortège a été encore pareillement acclamé et nous aussi ; seule différence, nous n'avions pas la musique et souvent nous n'étions pas tenus de marcher au pas.

Samedi prochain, ce sera Wilson ; je crois que ce sera encore plus enthousiaste que jamais, car il est considéré comme le grand artisan de la paix. Je ne sais si on sera encore là, car il est question que partirions bientôt en Alsace. Ce matin, 8 décembre, je suis allé à la messe et communier à Montmartre ; ç'a été mon intention le 1er jour que je suis arrivé ici, je suis content d'avoir pu le faire. J'ai bien prié pour vous tous ; ce n'est peut-être pas de si tôt que j'aurai semblable occasion. Je m'arrête forcément et vous adresse avec mes plus affectueux baisers, le meilleur de mon coeur. Ton mari qui t'aime H. Bougaud.

 

134.- HM=>H

[Carte Postale Gruß aus Vahl-Ebersing]

Friedrichstal le 10 décembre 1918

Bien cher Bougaud

Que vas-tu penser de moi, car depuis longtemps je ne t'ai pas écrit. Tout d'abord j'attendais un peu de tes nouvelles et je ne savais pas si tu avais rejoint ton régiment. Je crois que tu dois faire comme nous, faire l'occupation. Depuis 8 jours nous sommes à Friedrichstal et je crois que nous y resterons encore une quinzaine. C'est un pays d'usine, je crois même que ce devait être le grand centre pour la production du fer et du charbon pour l'Allemagne. Où es-tu ? Nous, nous faisons toujours [partie] de l'armée Mangin. En attendant de tes nouvelles reçois de ton beau-frère les meilleurs embrassements. Ton beau-frère Henri

268 RAC 48 Bte SP 134

 


 

135.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Le 15 Décembre 1918

Ma bien chère Félicie

Je t'accuse réception de ton colis reçu avant-hier. C'est bien la lampe que je t'avais demandée et j'attribue l'usure de la pile à l'humidité, dans le cas où ce ne serait pas la faute des enfants. Je t'en remercie de tout coeur. J'ai reçu aujourd'hui avec ta carte du 12 ta lettre du 13 et je les ai parcourues avec intérêt. Je suis content de savoir que vous avez eu des nouvelles détaillées de Françoise et qu'elle est en très bonne santé après tant de privations et de misères. Je lui ai écrit il y a déjà quelques temps une longue lettre dont j'attends prochainement avec plaisir la réponse. Si tu lui écris personnellement, je pense que tu n'oublieras pas de lui envoyer la photographie de notre petite famille pour qu'elle ait une idée des changements survenus pendant son exil. Merci aussi des bons renseignements que tu me donnes sur Marguerite et si, comme tu me le dis, elle a bon moral, c'est tout et elle ne saurait tarder à être complètement remise sur pied. Heureusement pour elle que nous nous trouvons à la saison d'hiver, car elle voudrait reprendre le travail trop tôt, ce qui ne lui vaudrait pas grand-chose. Je pense aussi que dimanche tu seras bien reçue par le Maire et que tu seras contente d'être débarrassée de ce souci. Je te félicite pour ma part et te remercie de tout mon coeur pour cet effort que tu as pu réaliser en mon absence. J'aurais voulu pouvoir y contribuer davantage ; espérons que nous aurons moins de déboires par la suite et que nous pourrons assez vite nous liquider du reste.

A présent que la guerre est finie et qu'on peut envisager le retour prochain, nous allons nous remettre courageusement à l'ouvrage et nous oublierons dans le bonheur d'être réunis les misères et les soucis que nous avons eus pendant notre séparation comme les misères que nous aurons par la suite en commun.

J'en reviens maintenant à nos occupations. Hier, tu as pu le voir sur tous les journaux qui n'ont rien exagéré, Paris a reçu la visite du Président Wilson. Le temps a été beau et la fête projetée s'est déroulée dans toute son ampleur. Je prévoyais que l'affluence et l'enthousiasme dépasseraient tout ce que j'avais vu pour les rois d'Angleterre et de Belgique. Je n'ai pas été trompé et vais essayer de t'en donner une idée bien imparfaite. Dès quatre heures du matin nous avons réveil et à 6 heures nous partons. Ce n'est qu'après une heure de marche que le jour vint et à ce moment nous arrivons dans les quartiers riches de Paris, tambours et clairons en tête. Les Parisiens sortis du lit sont tous aux fenêtres en négligé qques uns même à peine réveillés pour nous voir passer.

Nous arrivons à 8 ¼ sur l'avenue des Champs Elysées où nous formons la haie. Des milliers de personnes y sont déjà réunies et jusqu'à 10 heures il en arrive de plus en plus de tous côtés ; et ce n'est pas seulement là qu'il y a foule, c'est sur tout le parcours que doit suivre le cortège. A 9 h ½, le landau du Président de la République passe ; il se rend à la gare pour recevoir Wilson. Tout le long du chemin il est frénétiquement acclamé. A 10 heures ½, le cortège apparaît sous l'arc de triomphe, chacun se pousse pour mieux voir et derrière nous, qui sommes au 1er rang, il n'y aurait pas place pour laisser tomber une épingle. Au loin, on entend une immense clameur qui grandit et derrière le cortège on voit le ruban blanc de l'avenue se garnir de monde et ce n'est bientôt plus qu'une immense tache noire mouvante. Les clameurs approchent avec les voitures et bientôt le cortège arrive devant nous, précédé comme d'habitude par un rang aligné de gardes républicains à cheval en Grande Arme.

C'est d'abord la voiture des deux présidents, après celle de Clemenceau toujours acclamé et d'autres personnalités. Derrière, une quinzaine d'automobiles contenant diverses notabilités et, pour terminer (c'est bien de l'américain) une automobile portant un cinématographe qui prenait la scène tout le long du parcours. Puis aux cris de "Vive Wilson ! Vive Poincarré ! Vive l'Amérique ! Vive Clemenceau !" le cortège passe et disparaît. Immédiatement, nous nous formons pour défiler, mais la foule envahit tout et ce nous est impossible. Pendant au moins 2 km malgré la musique, on ne peut aller qu'au petit pas, ayant toute la peine du monde à rester réunis. Enfin on parvient à se dégager un petit peu et c'est aux cris mille fois répétés "Vivent les Poilus, vive l'armée" et tout fleuris que nous rentrons au cantonnement. C'est de rudes corvées, certainement, mais on en garde bon souvenir et on ne les regrette pas.

Demain nous recommencerons, mais ce sera peut-être moins enthousiaste et après on attendra jeudi l'arrivée du roi d'Italie pour recommencer. Aujourd'hui, je suis allé de nouveau à la messe à Notre-Dame et cet après-midi je suis retourné avec des camarades à Montmartre, croyant avoir un beau point de vue sur la ville ; mais il y a toujours un brouillard sur la ville et c'est rare qu'on puisse avoir une vue d'ensemble. Nous sommes revenus par l'Opéra, la place Vendôme, et le Jardin des Tuileries et le Louvre, si bien que je suis bien content de mon après-midi malgré tout.

 

136.- A=>F

[Carte Postale : Constantinople Tour de Léandre]

Constantinople, 19 Décembre 1918

Chère Félicie,

Je viens t'offrir mes meilleurs voeux de bonne année que bientôt revienne la vie du temps de paix et que Dieu t'accorde la santé pour toute la famille. Je viens d'écrire à Bougaud. Nous sommes de passage ici en allant à Sofia. Nous prendrons le train demain probablement. La ville de Constantinople est superbe. Nous n'en verrons qu'une petite partie mais en arrivant dans le port c'est magnifique. Les soldats turcs sont froids pour nous, mais le civil est plus affable. Les rues sont noires de monde. Nous avons mis 3 jours par mer depuis Salonique et nous avons passé les Dardanelles de jour. Il paraît qu'il faut 5 jours pour aller à Sofia depuis ici. Comme nous sommes que la musique, je crois que le voyage sera plus confortable. Embrasse bien Marie-Louise et Albert pour moi, ils vont être contents de retrouver leur papa et reçois la bonne affection de ton beau-frère.

Alfred Bougaud

musicien au 260. Armée d'Orient par Marseille, s. Postal 508

 

137.- Sr Emilie=>H

+ Gozée, ce 22 Décembre 1918.

Que la grâce du Saint Esprit soit avec nous!

Mon bien cher Frère

J'ai enfin des nouvelles de France, des nouvelles de toute la famille, Dieu en soit béni et remercié.

Merci à toi aussi, mon cher Frère, de ta longue missive qui m'a fort intéressée. Les épreuves ne t'ont pas manqué les périls ont été nombreux ; espérons que maintenant tout danger a disparu et que bientôt tu jouiras de la vie de famille et feras goûter à Félicie le bonheur après lequel elle soupire depuis si longtemps. Il me tarde de faire connaissance avec Marie-Louise et Albert et de vous dire à tous combien j'ai vécu près de vous ces longues années de tristesses et d'épreuves. Que de vides, que de deuils dans nos familles et encore je ne sais pas tout. A chaque correspondance, j'apprends du nouveau : M. l'Abbé Mougeot, René Bougaud, Sr Seguin - Je ne puis me réjouir entièrement à la pensée d'une réunion prochaine, car je ne reverrai pas mon cher Louis-Joseph. Du haut du Ciel, j'en ai la douce confiance, il veillera sur tous les siens et nous obtiendra la grâce d'aller le rejoindre un jour. Henri m'a écrit et m'a envoyé sa photographie, cela m'a bien fait plaisir. Je remercie le bon Dieu de sa paternelle Providence sur nous et Lui demande instamment de nous donner au plus tôt la paix, une paix en rapport avec tous les sacrifices qui ont été faits. C'est là mon voeu le plus ardent, celui que je déposerai aux pieds de l'Enfant Jésus, le jour de Noël. Daigne ce divin Enfant t'accorder, mon cher Bougaud, ainsi qu'à ma chère Félicie, avec cette paix, promise aux âmes de bonne volonté, une plénitude de grâces spirituelles et temporelles. Que l'année 1919 soit pour vous et vos chers enfants une année de joie, de bonheur et de prospérité!

Mais surtout que cette nouvelle année soit pour toutes nos familles l'année de la réunion définitive ; depuis si longtemps vous souffrez de la séparation. Que ce soit enfin pour la France l'année d'un triomphe glorieux, accompagné d'un renouveau d'esprit chrétien. C'est le voeu de tous nos héros qui sont tombés et celui de tous les coeurs chrétiens et patriotes.

Merci, mon cher Frère, des sentiments de filiale affection et de vive gratitude que tu exprimes à l'égard de nos chers Parents. C'est pour eux le meilleur des réconforts ; plus que jamais ils en ont besoin.

Le bon Dieu les a frappés dans leur plus chère affection, mais en bon Père, Il met dans le coeur des fils qui restent les délicatesses et l'amour de notre cher Louis-Joseph.

Comment va-t-on dans ta famille, et nos chers soldats, les cousins Mougeot surtout, que sont-ils devenus ? L'éloignement a dû être moins pénible lorsque tu étais avec Alfred et Louis.

Allons, bon courage, ma chère Félicie, bientôt tu seras soulagée dans tes travaux et tu jouiras d'un bonheur acheté aux prix de bien des souffrances et des inquiétudes.

Aux chers Petits et à vous deux, je redis : "bonne, heureuse et sainte année". Je vous embrasse tous les quatre avec la plus vive affection.

Votre Soeur et tante qui vous aime :

Soeur M. Emilie.

Mon cher Frère, je te serai reconnaissante de lire mes trois lettres, puis de les expédier à Saint Aubin. C'est un acte de patience.

 


 

138.- A=>H

[Carte postale SOFIA Bulevard Tzar Befreier]

Sofia 28 Xbre [décembre] 1918

Bien cher Bougaud

Nous voilà à Sofia depuis une semaine. Nous sommes logés en caserne et en subsidiaire au 35ème colonial, mais écris-moi toujours au 260. Nous sommes la seule musique ici, aussi nous avons beaucoup de service, prise d'arme, défilé en ville. Nous faisons des concerts très souvent au cercle des Alliés et on nous paye un peu à boire.

La ville n'est pas mal mais comme capitale ce n'est pas ça, je préférerais Dijon. C'est un peu mieux que Salonique. Le climat est froid et ne vaut pas Constantinople ou Salonique. La vie est très chère. Il y a des cinémas qui jouent en Français. Il y a théâtre. Un bock vaut 3 francs, une paire de chaussures 250 f et plus, une chemise coûte 20 frs. Les Bull ne nous font pas trop mauvaise figure. La ville est plutôt à l'Européenne et les femmes bulgares imitent les Françaises. Je n'ai pas de lettres depuis que j'ai quitté la Macédoine. J'espère en recevoir bientôt. Le temps me dure de savoir où tu es et ce que tu fais. Il me dure aussi du rapatriement car j'ai assez voyagé et il me tarde de te revoir ainsi que les nôtres.

Ton frère affectionné Alfred

Musique du 260 a.O. M. PO8


 

1919

 

139.- HIPPOLYTE ==> FÉLICIE

Rennes le 27 janvier 1919

Ma bien chère Félicie

Depuis deux jours il n'est arrivé aucune lettre à la compagnie. Je ne sais d'où proviennent tous ces retards et ce mauvais fonctionnement. Bien que je n'aie pas la lettre attendue, je ne veux pas laisser passer ce jour qui nous rappelle à tous deux l'heureux souvenir de notre union, sans venir te renouveler l'assurance de mon affection toujours grandissante et de l'union parfaite qui doit en résulter. Voila déjà 7 ans de cela et sur tout ce temps combien de jours avons-nous dû vivre loin de l'autre dans de continuels soucis l'un pour l'autre et obligés de supporter des charges et des fatigues que nous n'aurions pas eues si cette guerre n'était pas venue. J'avais pensé un moment que je pourrais être avec toi cette année et que nous aurions été heureux tous deux de fêter ensemble ce doux anniversaire. Ce sera le dernier de ce genre et dorénavant je pense bien que chaque année et longtemps nous pourrons nous le rappeler. Notre séparation a été longue, notre amour en a grandi et plus que jamais nous marcherons la main dans la main comme nous l'avons fait jusqu'à ce jour. Nous continuerons dans l'avenir d'agrandir notre petite famille et d'élever nos enfants dans les meilleurs sentiments, et du mieux qu'il nous sera possible, pour qu'on puisse les prendre comme exemple et que leur éducation et leurs bons sentiments fasse le bonheur de notre vie.

Peu de temps nous sépare du moment tant désiré de notre réunion. Dans les premiers jours de Mars, je pense bien être rendu définitivement à toi. Sur le temps qui nous sépare de cette date, j'aurais du avoir une permission qui nous aurait fait paraître ce temps moins long. Ce n'est pas encore chose faite, mais j'ai bien peur qu'elle ne soit supprimée et que mon tour arrive juste à la fermeture de la porte. Dans la dernière huitaine, du 22 au 30, il ne part que deux permissionnaires. Je reste le 6ème après cette date. Le 7 février je n'y ai plus droit ; si les permissions ne sont pas plus nombreuses après le 30, il faudra que j'en fasse mon deuil. Ce serait malheureux ; espérons que cela n'arrivera pas. Depuis 4 jours, nous avons la gelée, mais hier il est tombé un peu de neige et aujourd'hui, le temps est bien radouci. Je ne crois pas que nous ayons encore cette fois un bon quartier de gelée. Ce serait pourtant bien utile pour la culture. Je pense que ma lettre vous trouvera tous en bonne santé et en te renouvelant l'expression de mon affection profonde et de mon entier dévouement, je te charge de mes caresses pour Marie-Louise et Albert et je t'embrasse du plus grand coeur. Ton mari qui t'aime et qui ne tardera pas de te revenir. H. Bougaud

 

140.- A=>F

[Carte Postale : Die Katedrale Kyril u. Metodi zu Sofia]

Salonique le 3 février 1919

Chère Félicie,

Cela m'a fait grand plaisir de trouver de tes nouvelles en arrivant à Salonique. Surtout la lettre de Marie-Louise et d'Albert m'a touché profondément. Ce sont déjà de grands enfants bien élevés qui font plaisir à leur parents, embrasse-les bien pour moi. J'ai reçu aussi des bonnes nouvelles de Bougaud et quand tu recevras ma carte il sera probablement rentré pour toujours. Je serai heureux de l'apprendre bientôt.

Pour moi, ma classe ne sera libérée qu'en avril, probablement ; et comme je suis rapatriable ce mois-là, cela ne change pas beaucoup les affaires. J'ai donc encore deux mois à patienter. Le temps veut bien me durer quand je vais voir partir Grattepain prochainement car il se trouve dans le même cas que Bougaud. Nous retournons prochainement à Constantinople et j'espère que c'est ma dernière étape et que je rejoindrai la France depuis là-bas. Je suis en bonne santé et je souhaite que ma carte te trouve de même ainsi que toute la famille. Ton frère affectueux. Alfred Bougaud

 

141.- A=>H

[Carte postale Constantinople Mosquée d'Ahmed et l'Hippodrome]

Constantinople 23 Février 1919

Cher Bougaud

Je t'écris à St Aubin et j'espère que c'est là que tu la recevras car Grattepain m'a quitté ici depuis deux jours pour le retour. Le quartier où nous logeons est le plus beau et le plus riche coin de la ville. Il est peuplé de Grecs et d'Arméniens qui ont tellement souffert sous la domination turque. .. qu'ils sont heureux de nous sentir ici et de pouvoir respirer. Aussi on ne dirait pas un peuple ennemi, et s'empressent-ils de nous faire voir leur sympathie pour nous.

La santé est toujours bonne et j'espère que toi aussi ainsi que toute la famille. Le temps dure à papa que je rentre, et dans 1 mois ½, j'espère prendre le bateau pour la France et la vie civile, et le temps m'en dure aussi. On vient de me donner la croix de guerre. Au plaisir de vous voir bientôt. Reçois pour tous l'assurance de mon affection sincère.

Alfred Bougaud

 

== FIN ==